Le pouvoir n’est pas dans le gaz

Plus ça va et moins je crois au « power to gas » comme un bon moyen de stocker les énergies renouvelables éoliennes et solaires « excédentaires ». Les arguments sont connus: nous n’avons guère de moyens de stocker l’électricité en grands volumes et pour de longues durées, sans la transformer en composés chimiques faciles à conserver – par exemple en réutilisant les stockages dont nous disposons déjà pour le gaz naturel. En transformant l’électricité en pseudo- gaz naturel c’est-à-dire en méthane, nous gagnerions en outre la possibilité de substituer ce gaz au gaz naturel voire, par la réaction de Fischer Tropsch, en toutes sortes de carburants liquides. Le raisonnement pêche en deux endroits: la rentabilité de la conversion en hydrogène d’électricité « excédentaire »… et le gaspillage inhérent de la réaction de Sabatier par laquelle on convertirait l’hydrogène en méthane. Sans parler de la source du carbone, impérativement pris dans l’air et pas dans le sous-sol. Heureusement, il y a d’autres solutions… qui répondent au vrai problème de mettre sur pied un système énergétique mondial sans émissions de CO2, à défaut de répondre au faux problème d’assurer « l’indépendance énergétique » du pays, de la région, du canton et mon jardin.

Le premier point est visible sur le graphe ci-dessus: le coût de production de l’hydrogène par électrolyse de l’eau dépend moins du prix de l’électricité que de sa disponibilité. Même avec des hypothèses plutôt favorables sur les coûts des électrolyseurs ( $ 1000/kW, CMPC 7%, durée de vie 30 ans, efficacité 74%), à 500 ou 1000 heures par an on est très loin du coût de l’hydrogène par reformage vapeur du gaz naturel (figuré par le petit intervalle rouge à droite de la figure), même assorti de capture et stockage du CO2) (coût de l’hydrogène par reformage vapeur du gaz naturel 1.5 to 2.5 $/kg, coût de la capture/stockage 0.5 $/kg H soit ~50 $/tCO2). Pour parvenir au même niveau il faut au moins 3000 heures et plutôt 4000 ou 5000. Il ne peut s’agir de « surplus » de renouvelables variables: il faut des équipements additionnels ou dédiés.

Intervient alors le coût de l’électricité: s’il compte peu dans le coût total à gauche du graphe (que l’électricité en « excès » soit réputée gratuite est de peu d’intérêt), il compte énormément à droite du graphe, comme on peut le voir sur ce second graphe (ligne en pointillés rouges) où l’on n’a gardé que l’hypothèse d’un coût de l’électricité à 3 cent/kWh.

Il devient donc important d’avoir de l’électricité à un coût très faible. Or en ce qui concerne le solaire et l’éolien, aussi bas que soient les coûts d’investissement, le coût de l’électricité reste fonction de la qualité de la ressource. Si l’on atteint en Europe 6 centimes pour l’éolien et le solaire, il est des régions du monde où l’on arrive à 3 centimes, et sans doute moins dans quelques années. Les très hauts facteurs de capacité qui expliquent ces coûts très bas, voient leur rôle considérablement démultiplié s’il s’agit, non pas de fournir l’électricité quotidienne de nos réseaux, mais d’alimenter des installations industrielles coûteuses. Un mix de solaire et de vent en Europe sera toujours et plus coûteux, et moins abondant, que le même mix au Sahara occidental, pour prendre la région favorable la plus proche, et l’hydrogène sera au moins deux fois plus cher à fabriquer chez nous.

Et maintenant, la transformation de l’hydrogène en méthane, par la fameuse réaction de Sabatier. Son inefficacité devrait nous sauter au yeux. Elle s’écrit en effet comme suit:

CO2 + 4 H2 = CH4 + 2H2O

Vous ne remarquez rien? On dissocie l’hydrogène de l’eau à grand frais… dont une moitié va finir en méthane, et l’autre moitié redevient de l’eau! Comparez ce gâchis à la fabrication du composé azoté le plus simple, l’ammoniac, par le procédé Haber-Bosch:

N2 + 3H2 = 2NH3

Rien n’est perdu du précieux hydrogène. Bon, on reparle bientôt de l’ammoniac.

 

 

 

7 réflexions sur « Le pouvoir n’est pas dans le gaz »

  1. Christian Couturier

    Bonjour Cédric,
    bien sur qu’il est plus logique de produire de l’ammoniac avec de l’hydrogène sans passer par la méthanation ! Pour mémoire, Paul Sabatier qui a donné son nom à l’université des sciences de Toulouse est aussi le fondateur de l’école d’agronomie de Toulouse.
    C’est bien ce que nous avons prévu dans le scénario négaWatt : priorité aux usages directs de l’hydrogène, à commencer par l’industrie lourde.
    Ensuite il y a un pari à faire sur les autres usages de l’hydrogène, notamment dans les transports. La version « méthane » est moins performante mais plus crédible techniquement. SI on peut développer la solution hydrogène c’est bien. D’ailleurs l’hydrogène est bien un gaz et donc on reste bien dans le power to gas !
    Tout ce que tu avances ici a été discuté dans notre étude : http://www.grtgaz.com/fileadmin/engagements/documents/fr/Power-to-Gas-etude-ADEME-GRTgaz-GrDF-complete.pdf
    Y compris la question de la source du carbone que tu sembles méconnaitre.
    J’aimerais voir un scénario chiffré sur le déploiement à grande échelle d’une utilisation diffuse de l’hydrogène. Il ne s’agit pas de « croire » ou de ne pas croire, mais d’examiner des solutions sur la base d’hypothèses explicites et que l’on puisse discuter.

    Bien cordialement.

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    1. Cédric Philibert Auteur de l’article

      Merci Christian. Je ne vois pas ce qui dans mon papier peut te laisser penser que je trouverais « le déploiement à grande échelle d’une utilisation diffuse de l’hydrogène » plus crédible que la méthanisation. Mon message principal, c’est qu’on ne fera vraisemblablement pas d’hydrogène avec des « surplus » de renouvelables variables dans des pays européens, ou en tout cas pas en quantités suffisantes. Il sera plus économique de l’importer de pays mieux dotés en ressources éoliennes et solaires, et il est possible que l’ammoniac soit un vecteur de choix pour ce transport et pour des stockages de longue durée, voire pour certains usages finals, préférable à l’hydrogène pur comme au méthane de synthèse. Et non, je ne trouve pas cela dans l’étude ADEME-GRT! Quant aux sources de CO2 pour la fabrication d’hydrocarbures de synthèse, j’y reviendrais mais je ne peux pas tout aborder dans une note de blog, qui ne prétend pas à l’exhaustivité d’une étude de 238 pages! A suivre, donc…

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  2. GREGOIRE

    Bonjour
    Je lis et je comprends. Je vois même que vous avez en ligne de mire d’autres alternatives intéressantes. Merci.
    Mais je ne suis absolument pas d’accord sur certains points – la discussion va être intéressante 🙂 Je serai enchanté de lire vos réponses et d’échanger.
    – vous partez d’une hypothèse de 3 cents € le kWh. Je pense que la vraie valeur en Allemagne vers 2030 voire avant sera en heures de surplus à 1 cent d’euro le kWh. En effet, les investisseurs exigent de ne JAMAIS passer en prix négatif, ce qui arrive assez souvent. un prix garanti de 1 cent leur paraitra déjà miraculeux par rapport à actuellement. Voire 0,5 !
    – Le power2gas fait sens uniquement dans les pays fortement engagés en EnR donc on exclut immédiatement la France pour au moins jusqu’à 2030 voire plus tard. Si le coût carbone d’importer du H2 est quasi nul, oui il sera plus simple pour la France d’en importer.
    – il ne faut pas importer de CH4 déjà formé ou alors avec de fortes contraintes environnementales. Le CH4 a un effet radiatif 84 fois supérieur au CO2 sur 20 ans. Perdre 1% d’un chargement est effroyable en effet radiatif. Sans garantie de 0 fuite, il vaut mieux s’abstenir d’importer du CH4
    – pour le moment, çà commence à changer, tout le monde part du principe que nous allons gérer le changement climatique du aux émissions de CO2 sur le siècle. Je pense que c’est faux. Nous sommes passés en emballement climatique depuis 2015. le CH4 pèse ou pèsera sous peu de temps 60% de l’effet radiatif contre 40% pour tous les autres GES dont le CO2. Il va devenir urgent de lutter contre les émissions de CH4, de CO2 , de capter du CH4 atmosphérique. Stocker les surplus EnR sous une forme quelconque quelque soit le rendement va devenir une priorité absolue quand l’inertie sur le rôle réel du CH4 en tant que GES aura été réellement pris en compte. C’est en cours. sur 15 ans on vient de passer son effet radiatif moyen par rapport au CO2 sur un siècle de 21 à 34. Il est de 84 sur 20 ans. à la cadence où le CH4 fond dans le grand nord, on ne peut plus raisonner sur un siècle. Il va falloir passer à une période de 20 ans.

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    1. Cédric Philibert Auteur de l’article

      Merci pour ces commentaires. La valeur de 3 cents je la donne comme valeur actuelle dans les zones les plus ventées ou ensoleillées du globe – ce sont les prix d’enchères récentes pour l’éolien au Maroc, pour le solaire au Chili et à Dubaï. Dans la plus récente note (en anglais) je montre d’autres courbes avec y compris une valeur nulle pour un surplus « gratuit » en Allemagne ou en France. Mais il faut 1500 h de « surplus » pour arriver à un coût de l’hydrogène comparable à celui qu’on obtient avec des meilleures ressources – c’est beaucoup de « surplus ». Pour conclure sur ce point, je ne dis pas qu’on ne fera jamais d’hydrogène comme ça, mais j’estime qu’on ne pourra pas en produire à l’échelle de nos besoins, surtout si on étend l’utilisation d’hydrogène à la fabrication d’acier sans émissions de GES, et de combustibles synthétiques neutres en carbone pour remplir de multiples rôles.
      Les émissions de méthane sont un problème réel même si je persiste à penser que la question du CO2 est et restera centrale – voir sur ce blog (et celui d’Alter Eco) ma longue dispute sur ce point avec mon ami Benjamin Dessus (https://cedricphilibert.net/180/ et avant). L’accélération inquiétante des émissions « naturelles » de méthane, elle-même conséquence du réchauffement, ne modifie pas l’évaluation qu’on peut faire du potentiel de réchauffement global de ce gaz, ou de son potentiel de changement de température global (et si la différence vous échappe, reportez-vous à ladite polémique!). Mais cela plaide bien sûr, comme vous le dites, pour une action plus forte et plus rapide… sur tous les GES.

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  3. François-Eudes Ruchon

    Bonjour,
    J’aimerai m’informer sur l’origine des courbes, pourriez-vous inclure les références des graphiques svp ?

    Merci,

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    1. Cédric Philibert Auteur de l’article

      Travail maison! Que j’ai poursuivi à l’AIE, jusqu’à arriver à la courbe que je publie dans ma plus récente note de blog (en anglais) en fournissant les hypothèses de calcul.

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