La fin tragique de l’économiste Martin Weitzman – il a mis fin à ses jours, à 77 ans le 27 aout dernier – nous invite à revisiter son œuvre, considérable et essentielle. Il a été en effet pendant un demi-siècle le meilleur et le plus fameux représentant de l’économie de l’environnement. Professeur d’économie à Harvard, il y dirigeait avec Robert Stavins un célèbre séminaire sur les politiques et l’économie de l’environnement. Il a publié près de cent articles dans des revues à comité de lecture, et trois livres.
Il était notamment fameux pour avoir montré que si les coûts de réductions de la pollution étaient parfaitement connus, on pourrait aussi bien la réduire par des taxes ou par des quotas, de préférence échangeables. Mais comme ces coûts sont le plus souvent incertains, taxes et permis (ou « prix et quantités ») ne sont plus équivalents : en comparant les pentes des courbes de coûts et bénéfices marginaux de la dépollution, on pourra choisir l’instrument qui minimisera l’erreur inévitable dans la fixation des prix ou des quantités. Ce résultat, devenu un classique et constamment discuté dans l’analyse du changement climatique, on le doit à un papier « fondateur » de Martin Weitzman de 1974. A l’époque, Weitzman travaillait surtout à comparer les avantages et inconvénients du marché et de la planification. Il a ainsi plaidé pour la participation des salariés aux bénéfices des entreprises.
Son attention s’est ensuite portée de plus en plus sur les questions d’environnement, qu’il s’est constamment efforcer de modéliser avec une approche mathématique rigoureuse. Il s’est ainsi intéressé à la question du taux d’actualisation, plaidant pour des taux décroissants au fil du temps. Il a contribué à repenser la notion de PIB pour y inclure l’environnement. Il a cherché à chiffrer la valeur de la diversité biologique. Si ses interventions dans le domaine du changement climatique ont été très remarquées, d’autres sont malheureusement passées inaperçues ; ainsi, dans un article de 2001 il montrait l’inanité des quotas de pêche quand la dynamique démographique des espèces halieutiques est mal connue, et prônait la taxation d’une activité que de nombreux gouvernements persistent à subventionner.
Depuis une quinzaine d’années, la préoccupation principale de Martin Weitzman fut de montrer que les politiques de lutte contre les dérèglements climatiques devaient impérativement tenir compte de la possibilité d’une évolution absolument catastrophique, même si la probabilité peut (pouvait ?) en sembler faible. Cette analyse contredisait assez frontalement celles, autrement modérées, de William Nordhaus, récipiendaire en 2018 du prix de la banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel. Pour avoir beaucoup débattu avec son collègue et concurrent de Yales, Weitzman reconnaissait la valeur de son travail et affirmait depuis longtemps qu’il – Nordhaus – méritait de recevoir ce « prix Nobel d’économie », mais il aurait indubitablement aimé le partager avec lui.
D’en avoir été écarté – une erreur doublée d’une injustice – l’avait plongé dans une profonde dépression, affirment ses collègues. Ils rapportent aussi qu’avoir commis une erreur algébrique minime dans un brouillon envoyé en consultation à ses amis et collègues l’avait amené à douter de sa capacité à contribuer encore à sa discipline. « Marty » Weitzman était un homme chaleureux, ouvert au débat, à la critique, et à la variété des points de vue – l’opposé du chercheur assénant ses vérités depuis sa tour d’ivoire. Puisse l’Académie Royale de Suède consulter la suédoise Greta Thurnberg pour ses prochains choix.
Cette note a bénéficié de sa relecture par mes amis d’Alternatives Economiques, Guillaume Duval au premier chef, qui l’ont mis en ligne ici. J’ajoute ici que je dois à Martin Weitzman la fierté d’avoir présenté mes travaux sur les prix planchers et prix plafonds dans les instruments de lutte contre les changements climatiques dans son séminaire à Harvard, le 1er avril 2009, et non, ce n’est pas un poisson. Je suis également fier de lui avoir fourni sur certains de ses papiers des commentaires qu’il a trouvé utiles. Par ailleurs, j’ai l’intention de revenir prochainement sur l’analyse de Weitzman sur les catastrophes climatiques, ou « Dismal theorem », que certains ont cru pouvoir opposer à la préférence pour les prix dans le cas du changement climatique, qui découle, dans le cadre d’analyse de Weitzman 1974, du caractère cumulatif de la modification de la teneur atmosphérique en gaz à effet de serre.