Archives de l’auteur : Cédric Philibert

L’éolien et le nucléaire ne remplacent pas le nucléaire français

C’est un thème très en vogue auprès des adversaires des énergies renouvelables qui ne jurent que par le nucléaire : l’éolien et le solaire ne feraient en France que prendre la place de l’énergie nucléaire. Et de ce fait, ne contribueraient en rien à décarboner le mix électrique français ou européen.

Jean-Marc Jancovici, entre autres, aborde ce thème dans sa fameuse bande dessinée « Le Monde sans fin » (avec Christophe Blain, Dargaud), pp. 158-159. La thèse est reprise avec force par deux autres polytechniciens, anciens dirigeants d’entreprises, Gérard Buffière et Bernard Kasriel, dans une tribune d’Atlantico le 4 avril dernier : « La priorité d’injection sur le réseau, que confèrent leurs contrats aux producteurs d’énergie renouvelable, dès que leurs installations éoliennes ou solaires produisent, se traduit par une baisse de la production nucléaire. »

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Contre le dérèglement climatique, le soleil et le vent en tête

Près d’un mois après sa parution, il faut revenir sur le dernier rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), ce document qui synthétise les trois volets de la sixième évaluation du dérèglement climatique : les bases physiques, les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité, enfin les mesures d’atténuation, publiés quant à eux en août 2021, février et avril 2022. Moins pour en rendre compte à notre tour, que pour s’étonner de la façon dont la plupart des commentateurs en ont rendu compte.

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Renouvelables: le ministère de l’absurde

Stupeur et tremblements : la loi d’accélération des renouvelables à peine promulguée, les dernier appel d’offre éolien du gouvernement français s’achève en désastre. L’appel éolien visait 925 mégawatts (MW) de puissance éolienne. 944 MW ont été proposés par des développeurs… et 54 MW seulement retenus par le ministère de la Transition écologique, sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Un appel d’offre solaire a suivi à peu près le même sort.

Soixante dossiers avaient été déposés en décembre 2022 à la suite de la publication de l’appel d’offres – plus exactement, du troisième volet d’un appel d’offres plus général portant au total sur 9 GW de puissance éolienne. Ces 60 projets sont autorisés, et disposent d’une convention de raccordement au réseau. Seuls quatre ont été retenus. La CRE a estimé ne pas pouvoir retenir 48 projets « non conformes » au cahier des charges : une modification avait en effet été introduite depuis les appels d’offres précédents, que la plupart des acteurs, y compris les plus gros, n’ont pas comprise.

Cette modification augmentait le niveau des garanties d’exécution exigées des développeurs, pour éviter que certains gagnants d’un appel d’offres ne retentent leur chance, pour le même projet, en visant un prix d’achat plus élevé quelques mois plus tard. Modification vertueuse, mais quand une grosse majorité de projets ne comprennent pas une disposition, c’est qu’elle est mal expliquée. La CRE l’admet d’ailleurs, si l’on ose dire, « en creux », puisqu’elle « recommande de modifier le modèle de garantie financière annexé au cahier des charges afin que les conditions attendues y soient clairement explicitées ». Dans ces conditions, exclure d’emblée environ 700 MW au nom d’une clause obscure visant à assurer leur réalisation, c’est la définition même d’une politique de Gribouille !

Sur les douze projets restants, totalisant une puissance de 236 MW, huit ont été éliminés, totalisant 182 MW, parce que leur prix dépassait un plafond… confidentiel. La moyenne pondérée du total des offres s’élève à 89,5 €/MWh, celle des projets retenus à 76,4 €/MWh.

La CRE suggère de reprendre un appel d’offres éolien rapidement pour rattraper ce retard… mais beaucoup estiment que cela prendra plusieurs mois, donc la tranche suivante sera également retardée, et celle d’après aussi, etc… Ainsi le retard ne serait jamais véritablement rattrapé, et ce « presque gigawatt » de puissance éolienne ferait durablement défaut.

Certains développeurs suggèrent qu’on pourrait fortement accélérer le rythme des appels d’offres par l’embauche d’une poignée de fonctionnaires à la CRE et à la DGEC (et dans les préfectures), qui « manquent de bras » – pas des milliers comme pour les réacteurs nucléaires à entretenir ou construire, ni même de centaines comme chez RTE et ENEDIS pour accélérer les raccordements, quelques dizaines en régions, quelques-uns seulement dans les services centraux… L’enjeu n’est pas seulement de rattraper ce gigawatt perdu, mais bien d’accélérer la réalisation des treize gigawatts de projets en attente. Le gigawatt perdu créera-t-il le choc nécessaire pour retrouver dix ou plus ?

Car la ministre peut faire un choix plus simple que de lancer un « nouvel appel » : revenir sur sa décision de ne prendre que 54 MW dans cet appel d’offres, et prendre tous les projets proposés, ou au moins 80 % d’entre eux (la « règle de compétitivité » permet de ne pas retenir les projets les plus coûteux).

À 89,5 €/MWh, les réponses à cet appel d’offres témoignent d’une augmentation sensible du prix de l’éolien terrestre, due à la dérive inédite du coût des mâts et des turbines, et surtout des taux d’intérêt, depuis mi-2021, qui fait augmenter le coût des projets de 20 €/MWh en moyenne, comme partout en Europe. Elle s’ajoute aux surcoûts spécifiquement français (au moins 10 €/MWh) dus aux limites de tailles de la plupart des machines, à la participation du secteur aux coûts de modification des réseaux (au-delà du raccordement stricto sensu, entièrement à la charge des développeurs d’éolien terrestre), et surtout aux coûts des délais entraînés par les recours en justice.

Même à ce prix, quasiment double du prix de l’éolien maritime en Centre Manche attribué depuis  (45 €/MWh) l’éolien reste une bonne affaire pour le climat, l’économie et la souveraineté énergétique. Il est garanti pour vingt ans dans un contexte de baisse probablement inéluctable des productions hydroélectrique et nucléaire, et d’électricité ex-fossiles coûteuse, volatile et polluante, sur fond d’arrêt du gaz russe.

La ministre s’interroge peut-être sur la compétitivité de l’éolien, alors qu’EDF promet que les nouveaux réacteurs nucléaires produiront de l’électricité à 75 €/MWh – promesse très difficile à croire, mais même si ce rêve se réalise, la comparaison n’a aucune pertinence pour des projets à mettre en service dans quelques mois, contre quinze ans au moins pour les premiers réacteurs neufs. En attendant, l’alternative aux énergies éoliennes et solaires, ce sont les énergies fossiles. Et aucun surcoût de flexibilité n’est à ajouter, du fait de la variabilité du soleil et du vent, au niveau où se situent ces énergies dans le mix.

Une décision incompréhensible

La CRE soupçonne les développeurs de chercher des profits excessifs, elle ne croît visiblement pas aux vertus de la compétition. Elle pourrait regarder ce qui se passe du côté des « PPA » (power purchase agreement), ces accords d’achat à long terme d’électricité éolienne ou solaire que signent de grands industriels avec les développeurs, dont le prix moyen en France comme en Allemagne, en Pologne ou au Royaume-Uni, dépasse, et parfois largement, les 90 €/MWh. Elles sont sans doute stupides, ces entreprises qui se protègent ainsi de la volatilité des prix de l’électricité…

Une dernière preuve que ces projets auraient dû être acceptés, c’est qu’ils sont semble-t-il inférieurs au plafond légal, fixé par la loi de finances 2023, à 100 €/MWh pour l’éolien et le solaire. Quelle est d’ailleurs la légitimité d’opposer aux projets un autre plafond, confidentiel de surcroît, que celui que la loi a fixé ?

Si sa volonté d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables est sincère, la Ministre doit revenir sur cette décision absurde – et d’abord ne pas la redoubler avec l’appel d’offres photovoltaïque en cours. À défaut, elle montrerait que sa volonté d’équilibre entre renouvelables et nucléaire n’est que poudre aux yeux.

Tout ce qui précède, je l’ai écrit sur le site revolution-energetique.com le 27 mars. Depuis, on a appris qu’en effet, le ministère a pris des décisions semblables avec un appel d’offres solaire, retenant environ 12% de la puissance sollicitée de 900 MW (les détails n’ont pas encore été publiés en ligne semble-t-il). Sauf que… dans le cas du solaire, le ministère entend réparer sa décision absurde en doublant la taille du prochain appel d’offre photovoltaïque, si l’on en croit le Syndicat des Energies Renouvelables et Enerplan. Et pour l’éolien, on fait quoi? Ben, rien.

Le solaire et l’éolien offrent les plus grands potentiels à coût nul de réduction d’émissions

Je reproduis ci-dessous la Tribune que Le Monde du 31 mars dernier a bien voulu publier. 

Le président de la République a justifié par de « trop grands risques économiques et financiers » son choix d’imposer une réforme des retraites refusée par trois Français sur quatre. Plus que l’équilibre du système par répartition, ce sont sans doute le déficit du commerce extérieur et la dette publique qui sont dans son viseur, le premier contribuant à creuser la seconde.

De la réforme des retraites, on attend 10 milliards à 13 milliards d’euros d’économies annuelles, alors que le déficit commercial est passé de 65 milliards à 164 milliards d’euros entre 2020 et 2022. D’après le ministre du commerce extérieur, « plus de 80 % de l’aggravation du déficit s’expliquent par l’augmentation de la facture énergétique, passée de 45 milliards à 115 milliards entre 2020 et 2022 ». En cause, les prix du gaz, du pétrole et de l’électricité, sur fond de guerre en Ukraine.

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Non, l’extraction des minéraux pour les énergies renouvelables ne menace pas des millions de km²

« L’extraction des matériaux nécessaires à la production solaire et éolienne menacerait environ 40 millions de kilomètres carrés (km²) sur notre Terre et au fond de nos mers, selon cet article de la revue Nature » : voilà ce qu’on pouvait lire dans un article « Nucléaire et énergies renouvelables : si l’on arrêtait de les opposer ? » publié le 4 février dernier sur le site revolution-energetique.com. Louable intention, devant la menace des dérèglements climatiques il faut faire, si j’ose, feu de tout bois.

Estomaqué par ce chiffre considérable, j’ai voulu y aller voir de plus près. Nature, a priori, c’est du sérieux, une des plus prestigieuses revues scientifiques à comité de lecture, Nature ne publie pas n’importe quoi. D’un autre côté, 40 millions de km², c’est beaucoup, les terres émergées comptant 150 millions de km² – mais peut-être est-ce « le fond de nos mers » que l’extraction des matériaux menace surtout, les océans couvrant 360 millions de km² ?

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Réformer la sûreté nucléaire pour accélérer ?

Jusqu’au récent conseil de politique nucléaire tenu à l’Elysée début février, toutes les réformes de l’organisation de la surêté nucléaire ont, depuis toujours, visé à l’améliorer, et par la même la confiance que les citoyens pouvaient porter à la sûreté des installations nucléaires. 

La réforme lancée par ce conseil éclaterait l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire en deux morceaux: la recherche, que récupérerait le CEA, l’expertise, qui serait absorbée par l’Autorité de sûreté nucléaire, laquelle comme son nom l’indique est en charge du contrôle des exploitants, et donc le décideur ultime en matière de sûreté nucléaire.

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Énergies renouvelables : pourquoi la loi d’accélération est un ratage complet

La loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables a donc été adoptée le 7 février par le Sénat, par 300 voix pour, 13 contre (dont 10 Républicains) et trente abstentions (notamment écologistes). Elle avait été adoptée à l’Assemblée nationale, par 217 voix pour (députés de la majorité, socialistes, indépendants et ultra-marins) et 169 contre (Rassemblement national, Les Républicains, Insoumis et communistes), le 31 janvier en des termes identiques, ceux de la Commission Mixte Paritaire. Les parlementaires écologistes des deux chambres se sont abstenus, les députés et sénateurs Les Républicains se sont divisés…

Les opérateurs d’énergie renouvelable n’en attendent pourtant pas grand-chose. Si les plus optimistes relèvent certains points positifs, la plupart estiment que la loi va plutôt ralentir le développement des renouvelables, et isoler encore davantage la France en Europe.

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Dernière ligne courbe pour la loi d’accélération des renouvelables

Une commission mixte paritaire – sept députés, sept sénateurs – se réunira le 24 janvier et s’il le faut les jours suivants, dans le but d’harmoniser les versions passablement divergentes du projet de loi d’accélération des énergies renouvelables adoptées par le Sénat en décembre, et l’Assemblée nationale le 10 janvier dernier.

Par 286 voix « pour » et 236 « contre », les députés ont finalement adopté le texte auquel ils étaient parvenus le 15 décembre, évitant ainsi le déshonneur de paraître rejeter en bloc les renouvelables. Les groupes Renaissance, Démocrate et Horizons, soutiens habituels de l’exécutif, ainsi que le groupe socialiste et le groupe « Libertés, Indépendants, Outre-mer et territoires » ont voté pour le texte. Les groupes Rassemblement National, Les Républicains, Gauche démocrate et républicaine (communistes), et La France Insoumise ont voté contre. Les écologistes se sont abstenus.

Cette loi justifiera-t-elle son titre – permettra-t-elle d’accélérer le développement des renouvelables ? Dans son état actuel, ce n’est pas sûr : elle semble contenir autant de dispositions prometteuses que de dispositions désastreuses, sans parler de celles dont seul l’avenir dira comment il faut les apprécier. Les professionnels du secteur se divisent entre ceux qui voient plutôt le vert à moitié plein, et ceux qui voient plutôt le vert à moitié vide.

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Les renouvelables à l’Assemblée

C’est la semaine de tous les espoirs, mais aussi de tous les dangers, pour les énergies renouvelables. L’Assemblée nationale examine en séance publique, du 5 au 9 décembre, le projet de loi d’accélération de leur développement. Un texte dicté par la double urgence des dérèglements climatiques et des risques de rupture d’approvisionnement énergétique dans les mois et années à venir. Mais l’Assemblée nationale, très divisée, saura-t-elle se hisser à la hauteur de l’enjeu ? Y aura-t-il une majorité pour voter ce texte – et si oui, sera-t-il en mesure d’atteindre son objectif ? Continuer la lecture