Le réalisme devrait conduire la France à accélérer l’effort de déploiement des énergies éoliennes et solaires

Voici le texte de la tribune que Le Monde a bien voulu publier le 22 février 2025.

L’expert de l’énergie Cédric Philibert constate, dans une tribune au « Monde », que les gouvernements qui se succèdent continuent de privilégier l’électricité décarbonée grâce au nucléaire, au détriment des énergies renouvelables. Une erreur, selon lui.

Les chiffres que vient de publier le laboratoire d’idées Ember montrent que la France est en passe de devenir la lanterne rouge du solaire en Europe. Malgré une accélération en 2024, il n’a encore fourni qu’un peu plus de 4 % de notre électricité, contre 11 % en Europe, où il a fait mieux que le charbon pour la première fois. Le solaire fournit plus de 20 % de leur électricité à l’Espagne, la Grèce, la Hongrie, le Luxembourg, Chypre ; plus de 15 % à l’Allemagne, l’Estonie, les Pays-Bas, la Lituanie, Malte ; plus de 10 % à l’Autriche, la Belgique, l’Italie, le Portugal ; plus de 5 % enfin, à la Pologne, la Roumanie, la Slovénie. Seuls font moins bien que la France deux champions de l’éolien, la Finlande et l’Irlande, et la Slovaquie, qui a opté pour le nucléaire. Et c’est le moment que choisit le gouvernement, semble-t-il, pour réviser à la baisse l’ambition solaire du pays.

Rien d’étonnant ni d’alarmant, diront certains : en France, nous restons les champions de l’électricité décarbonée grâce au nucléaire. Le fait est incontestable, même si faire du programme nucléaire des années 1970 et 1980 une réponse au changement climatique est un anachronisme. La question cruciale reste : pour combien de temps encore ?

La production nucléaire a presque retrouvé son niveau d’avant la découverte, fin 2021, de fissures dans une vingtaine de réacteurs, mais elle ne retrouve pas son niveau des années 2000. Le nucléaire fournissait alors plus de 80 % de l’électricité française. Le parc vieillit, les visites décennales et les travaux subséquents sont de plus en plus longs. La production effective du parc nucléaire diminue parce que la disponibilité de ses centrales diminue. Contrairement à ce qu’on lit parfois, l’éolien et le solaire ne remplacent pas l’énergie nucléaire, sinon de façon marginale. Leur déploiement explique en revanche le plus bas niveau historique (5 %) du recours aux énergies fossiles.

Six nouveaux réacteurs d’ici à 2050, un exploit coûteux

EDF souhaite prolonger la durée d’exploitation de ses centrales jusqu’à cinquante ou soixante ans, voire davantage. Mais, pour près d’une dizaine de réacteurs existants, les coûts des travaux nécessaires pourraient être très élevés, sans fournir la garantie d’une longue exploitation, et conduire l’exploitant à des décisions d’arrêt. Nul ne sait s’engager sur la puissance du parc actuel qui sera encore disponible en 2050.

EDF propose de construire deux nouveaux réacteurs EPR2 (1 600 mégawatts chacun) tous les quatre ans à partir de 2036. Mais les difficultés sont nombreuses, comme on l’a vu avec les EPR de Taishan, en Chine, Olkiluoto, en Finlande, Hinkley Point, au Royaume-Uni, et Flamanville, en France (Manche).

Mettre en service six nouveaux réacteurs d’ici à 2050 serait un exploit industriel, ne parlons même pas d’en construire quatorze. Le coût des six premiers est maintenant évalué à 80 milliards d’euros par la Cour des comptes. Un exploit coûteux pour les finances publiques, car le secteur privé refuse de s’engager dans une aventure industrielle aussi risquée, même si on lui offrait un mécanisme d’achat fiable et à prix garanti, comme on le fait pour l’éolien et le solaire.

Le Sénat peut bien voter que la part du nucléaire dans la production d’électricité ne devra pas descendre au-dessous de 50 %, ce vote aura autant d’effet qu’un vote déclarant que tous les sénateurs et sénatrices vivront au moins jusqu’à 110 ans. Le réalisme devrait conduire à ne pas désarmer le pays, à ne pas renforcer sa dépendance aux énergies fossiles importées, mais au contraire à poursuivre et à accélérer l’effort de déploiement des énergies éoliennes et solaires.

On dira peut-être que rien ne presse, puisque la France aujourd’hui exporte son électricité vers ses voisins. Voici qu’apparaissent des heures de « prix négatifs » sur les marchés de l’électricité, preuve s’il en est qu’on en produit trop à certains moments. Ce serait raisonner à bien courte vue.

Exporter de l’électricité en Europe, c’est réduire sa dépendance à l’égard du gaz importé, c’est réduire les émissions de CO₂ du continent, qui se moquent bien des frontières. Au-delà, fournir en sécurité et à moindre coût l’électricité dont nous aurons de plus en plus besoin pour décarboner bâtiments, industries et transports fera appel à beaucoup d’électricité éolienne et solaire, ce qui prend toujours un certain temps dans notre pays.

Baisse du prix des batteries

Pour absorber plus aisément cette électricité variable, certains disent « intermittente », il faut éviter les heures d’excédent où le prix s’effondre, ce qui décourage les producteurs, autant que les heures de rareté où le prix s’envole, ce qui décourage les consommateurs. La baisse stupéfiante du prix des batteries aidera à déplacer l’électricité solaire vers la pointe de consommation du soir, mais il faut aussi encourager les consommations aux heures d’ensoleillement. La Commission de régulation de l’énergie annonce une évolution en ce sens, trop mesurée et trop lente, en substituant trois heures creuses de milieu de journée à autant d’heures creuses de nuit.

Mais le gouvernement entend freiner sans attendre la dynamique des toitures solaires, jugées trop chères, en révisant brutalement les tarifs, sans beaucoup d’égards pour les projets en cours et les emplois concernés. Sans prendre non plus les mesures nécessaires pour déployer des grandes centrales au sol, en effet moins coûteuses pour les finances publiques et les consommateurs industriels.

Le solaire toutefois ne peut pas tout, et dans nos pays (encore) tempérés, la demande d’électricité est bien plus forte en hiver, quand le soleil pâlit et que le vent forcit. L’éolien y est tout aussi indispensable, voire davantage. Or, depuis un an, le rythme de déploiement éolien terrestre s’est encore ralenti : moins de 1 200 mégawatts ont été installés, contre 1 500 mégawatts et plus lors des années précédentes (hors période de Covid-19). Les années à venir seront pires encore, vu le faible nombre de permis délivrés. Un signe de plus que, depuis un an, malgré la succession des désastres climatiques, toute ambition environnementale semble avoir déserté l’hôtel de Matignon.

Cédric Philibert est expert au Centre énergie et climat. Il est l’auteur de « Pourquoi la voiture électrique est bonne pour le climat » (Les Petits Matins/Institut Veblen, 2024).

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