Les mardis de l’avenir, c’est un série de réunions organisées par le Président de l’Assemblée Claude Bartolone en son hôtel de Lassay sur le thème de la transition énergétique, avec des experts, des industriels, des hauts fonctionnaires, et des parlementaires. Il s’agit notamment de préparer la loi sur la transition énergétique, de faire un lien entre le débat national de l’an dernier, et le débat parlementaire à venir.
J’y étais invité hier, entre Laurence Tubiana et Virginie Schwarz, directrices de l’IDDRI et de l’ADEME, pour évoquer l’essor mondial des énergies renouvelables, et l’intégration des renouvelables variables. Voici les notes que j’avais préparées.
I – L’essor des renouvelables – chiffres clés
- Depuis 2011, les investissements annuels dans les renouvelables sont supérieurs à 200 Md$.
- La production d’électricité des renouvelables, y compris l’hydraulique, aura augmenté en 2018 de 40% par rapport à 2012.
- La production d’électricité des renouvelables hors hydraulique, essentiellement le solaire et l’éolien, a doublé entre 2006 et 2012. Elle aura à nouveau doublé en 2018.
- 40% de cette croissance prendra place en Chine, et au total 63% hors pays de l’OCDE.
- Dès l’an prochain, la production mondiale d’électricité par les renouvelables dépassera la production d’électricité à partir du gaz naturel, et deux fois celle du nucléaire. Cet écart ne fera que croître par la suite dans tous les scénarios de l’AIE.
- L’an dernier, on a installé 37 000 MW de PV dans le monde, soit 100 MW par jour. Le top ten: la Chine, en tête avec plus de 11 000 MW, suivie par le Japon, les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Italie, l’Inde, la Roumanie, la Grèce, le Royaume-Uni et l’Australie.
II – Les coûts
- Les coûts de l’éolien terrestre sont en baisse, sauf là où on lui rend la vie particulièrement difficile. Au Brésil l’éolien l’emporte sur le gaz dans les appels d’offre pour des contrats à long terme ouverts à toutes les technologies. Une nouvelle génération de machines plus hautes avec des pales plus longues augmente considérablement les possibilités d’installation, et délivre un courant plus régulier.
- Les coûts du photovoltaïque sont en chute libre. Le prix des modules PV a été divisé par cinq en six ans, celui des systèmes PV complets, et donc de l’électricité PV, a été divisé par trois.
- Dans les marchés matures, lorsqu’un cadre politique stable permet aux investisseurs d’emprunter au même taux que pour un achat immobilier, le PV et l’éolien terrestre figurent déjà parmi les options les moins chères pour produire de l’électricité à partir d’installations nouvelles. Rivaliser sur les marchés spot avec l’électricité des centrales déjà amorties est plus difficile – mais c’est vrai pour toutes les énergies.
- On a installé 4 700 MW de PV en France depuis 2007, ça coûte 2 milliards par an aux consommateurs d’électricité via la CSPE. Si on quadruple la mise et on ajoute 15 000 MW, pour produire 5% de notre électricité, cela augmentera la CSPE de 1 milliard par an. Un impact additionnel moitié moindre, pour une production ajoutée triple. 20 000 MW, c’est l’objectif « tôt dans la prochaine décennie » que s’est donné le Royaume-Uni.
- III – L’intégration de l’éolien et du solaire PV
- C’est un sujet mal compris, objets de beaucoup de craintes, souvent exagérées. L’AIE a publié fin février The Power of Transformation, étude approfondie de l’intégration du vent et du solaire PV, avec l’examen d’un grand nombre de systèmes différent, des entretiens approfondis avec les acteurs, notamment gestionnaires de réseaux, et deux modèles technique et économique. En voici quelques résultats principaux :
- En 2013 l’éolien a fourni plus de 30% de son électricité au Danemark, plus de 20% à la péninsule ibérique – je parle d’énergie annuelle, à certains moments c’est beaucoup, beaucoup plus. Le PV a fourni 7% de son électricité à l’Italie, 5% à l’Allemagne. Dans aucun de ces pays l’intégration du solaire et de l’éolien n’a suscité de problème technique majeur. Tout indique que nous sommes partout loin des limites même des systèmes électriques actuels.
- Dans les systèmes dynamiques des pays émergents, les renouvelables sont une source d’énergie locale, abondante, compétitive, qui répond à une demande croissante. La variabilité n’est pas un sujet, sauf lorsque des compagnies verticalement intégrés en tirent argument pour perpétuer leur monopole.
- Dans les systèmes statiques, les problèmes viennent de la réduction de la durée d’utilisation des capacités en place. C’est le prix de la décarbonisation – même en France, où chaque kWh éolien ou solaire déplace un kWh d’origine fossile en Europe, grâce aux interconnexions.
- A mesure que la proportion de vent et de solaire PV augmentera, il faudra exiger un développement facilitant leur intégration, et il faudra transformer les systèmes électriques pour les rendre plus flexibles. Il y a quatre sources de flexibilité : les réseaux et les interconnexions; la gestion de la demande ; la production flexible, hydraulique ou thermique; enfin le stockage.
- Aucune percée technologique dans le domaine du stockage ne sera nécessaire avant longtemps. Le potentiel des autres moyens de flexibilité est très important ; et nous avons déjà les stations de transfert d’énergie par pompage hydraulique, dont le potentiel non réalisé en Europe représente au moins dix fois l’existant.
- Les renforcements ou modifications de réseaux électriques rendus nécessaires par le solaire et le vent ne représentent qu’une faible proportion des investissements nécessaires dans les réseaux.
- Le coût principal résultant de la variabilité du vent et du solaire tient à la substitution progressive de capacités de pointe à des capacités de base, ailleurs dans le système électrique. Cela peut augmenter de 10 à 15% le coût total de l’électricité, si les renouvelables ajoutées en grande quantité conservent leurs coûts actuels, ce qui est peu probable.
- Un mot pour conclure, sur la transition énergétique allemande, trop souvent présentée de ce côté du Rhin comme un désastre, parfois par ceux-là même qui voient en l’Allemagne un modèle à suivre dans tous les autres domaines. L’Allemagne pourtant n’a mérité ni cet excès d’honneur, ni cette indignité.
- On attribue à l’intermittence du vent et du soleil la modeste augmentation récente de la consommation de charbon par les électriciens allemands. Les raisons sont tout autres. Le gaz est cher en Europe, son prix est indexé sur celui du pétrole. Le prix du charbon baisse, car la demande chinoise de charbon fléchit, et on a ouvert de nouvelles mines en Australie et en Indonésie. Les renouvelables réduisent les émissions de CO2, les objectifs du système européen d’échanges de permis sont facilement atteints, le prix du CO2 dérisoire, donc les électriciens brûlent moins de gaz et plus de charbon.
- Ce n’est pas avec moins de vent et de soleil que les centrales à gaz, flexibles mais en surcapacité aujourd’hui, vont retrouver un rôle, mais au contraire avec plus de vent et de soleil, et des objectifs ambitieux en matière de climat. L’intérêt des exploitants de ces centrales n’est pas de ralentir la transition énergétique vers les renouvelables, mais au contraire de l’accélérer.