Adoptée le 27 juin dernier, la réforme de la loi allemande sur les énergies renouvelables entrera en vigueur en août. Elle inquiète le secteur et ses défenseurs – certains voient le développement des renouvelables en Allemagne « menacé », par exemple sur Novethic. Je pense qu’il s’agit d’une erreur d’interprétation, qui n’est pas sans danger pour la compréhension qu’on a ici de ce qui se passe en Allemagne. Voici la synthèse de la réforme qu’on peut lire sur Novethic: « Que prévoit ce texte ? Un plafonnement de la production issue des énergies renouvelables, la baisse des tarifs de rachat, l’introduction d’une taxe supplémentaire pour les producteurs d’électricité renouvelable — y compris pour les productions destinées à l’autoconsommation —, le maintien des exonérations de taxes pour les grandes entreprises énergivores et l’introduction d’appels d’offres. Ce dernier mécanisme exclut de fait les petits producteurs d’énergie au profit des groupes industriels. »
Regardons-y de plus près. Le plafonnement? la loi affiche des objectifs de 40 à 45% de RE dans le mix électrique en 2025 et 55 à 60% en 2035. Avant on avait 35% en 2020 et 50% en 2030. Les nouveaux objectifs sont-ils vraiment plus « plafonnés » que les anciens. Pour le PV, on passe d’un objectif de 2500 à 3500 MW/an à un objectif de 2500 MW/an, mais il y a déjà 36 GW d’installés, l’objectif de 52 GW sera atteint. Pour l’éolien maritime, on passe de 10 GW à 6,5 GW en 2020, de 25 GW à 15 GW en 2030, ce qui, au vu des délais, ne paraît pas si déraisonnable.
La baisse des tarifs de rachat? Sans doute, car ils n’ont cessé de baisser d’année en année, et maintenant de mois en mois… Jusqu’ici, ça n’a pas vraiment cassé la dynamique, ça a ramené, par exemple, le développement du PV à l’intérieur de la fourchette de déploiement annuel visé. Cette fois, on va aussi baisser la rémunération du kWh des éoliennes sur les meilleurs sites. .
L’introduction d’une taxe supplémentaire, « y compris pour l’autoconsommation »? Je ne trouve pas de « taxe supplémentaire » dans la documentation disponible – il est vrai que je ne sais pas (plus) lire l’allemand, ça a pu m’échapper… Ce qui est dans la réforme, en revanche, c’est l’obligation faite pour les nouveaux équipements renouvelables de plus de 10 kW (donc en général pas le résidentiel) de payer 40% de la EEG-surcharge (l’équivalent allemand de la CSPE, qui sert notamment à financer les investissements dans les renouvelables) sur l’électricité autoproduite (ou autoconsommée). Bien sûr, taxer l’autoconsommation est toujours délicat (et les tomates dans les jardins privés ? et le travail domestique ? etc.). D’un autre côté, il n’est pas illégitime que ceux qui bénéficient aujourd’hui d’un PV nettement moins cher que l’électricité du réseau participent, dans les quinze-vingt ans qui viennent, au remboursement des investissements d’apprentissage (les GW installés jusqu’alors, y compris il y a six ans quand les modules PV coûtaient cinq fois plus cher) qui ont permis cette baisse des coûts. L’écart est tel entre le prix de vente au détail et le coût de l’électricité PV que ce ne sont pas ces deux centimes et demi qui vont vraiment freiner le développement du PV pour l’autoconsommation pour les consommateurs (notamment commerces, bureaux, etc.) qui jouissent du bonne coïncidence temporelle entre la production PV et leur consommation d’électricité. Par contre ça peut jouer contre le développement du stockage décentralisé par batteries, en retardant l’apparition de la parité réseau pour les batteries…
Le maintien des exonérations de taxes pour les industries énergivores… Elles paraissent surtout discutables du point de vue de la compétition en Europe, mais est-ce que cela menace vraiment les renouvelables ? Oui, parce que les ménages ont plus à payer, et donc leur soutien aux renouvelables pourrait s’éroder ? En théorie, c’est ce qu’on dit, surtout quand on croit que le prix de l’électricité fait l’objet d’un controverse politique majeure en Allemagne. En réalité, le prix de l’électricité fait moins débat que celui de l’essence, et on ne voit s’éroder le soutien populaire aux renouvelables ni dans les sondages… ni dans les votes (les partis de gouvernements, solidaires dans l’EEG, ont été massivement plébiscités aux dernières élections européennes).
L’introduction d’appels d’offre : en effet, au-dessus de 100 kW, ce ne sera plus le guichet ouvert, effectivement c’est mauvais pour les petits producteurs et même pour les autres. Les coûts de développement vont augmenter du fait de l’incertitude sur l’aboutissement. La barre est mise trop bas. Je prend les paris: elle sera relevée. La loi sur les renouvelables est constamment ajustée. Le gouvernement veut montrer aujourd’hui son sérieux dans la maîtrise de l’augmentation du coût de l’électricité, mais il n’a nullement l’intention d’étouffer les renouvelables.
Curieusement, l’article de Claire Stam, la correspondante à Francfort, ne mentionne pas une autre innovation pourtant fondamentale : l’obligation de mettre l’électricité sur le marché pour les nouvelles installations de plus de 100 kW à partir de 2017 (aujourd’hui c’est déjà possible mais facultatif – et la plupart des gestionnaires d’éoliennes l’ont fait), le feed-in tariff étant remplacé par un Feed-in premium – en français un « complément de rémunération ». Un compromis entre la garantie du recouvrement de l’investissement et un minimum d’exposition au marché qui permet d’orienter un déploiement et un fonctionnement plus « amicaux » pour le système électrique. Dont l’efficacité dépend de nombreux détails, déjà discutés à l’occasion du projet de loi sur la transition énergétique en France.
Je comprends les critiques – certaines sont justifiées – et les inquiétudes. Mais je pense qu’il faut faire attention. Le gouvernement allemand ne cherche pas aujourd’hui à étouffer l’essor des renouvelables pour enrayer la hausse du prix de l’électricité, il cherche plutôt à le préserver tout en en maîtrisant le coût, ce qui est loin d’être la même chose. Entretenir la confusion sur ce point, c’est alimenter à son corps défendant la petite musique française de la prétendue « catastrophe » allemande des « bien trop chères » énergies renouvelables.