L’agence internationale des énergies renouvelables – l’IRENA – a publié en mars une édition refondue de la synthèse d’un effort majeur, REmap, qui vise à montrer comment doubler d’ici 2030 la part des renouvelables dans le mix énergétique mondial d’ici en 2030. Cette seconde édition, profondément refondue, est un document remarquable. Seul le résumé est disponible en français.
Si l’IRENA ne voit que des avantages – économiques et environnementaux, j’y reviens en fin de note – à un doublement de la part des renouvelables dans la demande d’énergie finale mondiale en 2030, objectif exprimé par Ban Ki-Moon, elle présente cependant la chose en trois marches distinctes, bien visibles sur le schéma ci-dessus.
La première marche, le cas de référence, augmenterait la part des renouvelables de 18% à 21% en 2030. C’est ce qui se passerait si les augmentations prévues dans les contributions des Etats à la COP-21, les fameuses INDC, étaient réalisées – mais seulement elles. Un petit gain de 3%, cela n’a l’air de rien, mais il faut tenir compte de la croissance de la demande, et surtout de la régression attendue – et espérée – des usages traditionnels de la biomasse, qui font peser un lourd fardeau sanitaire et environnemental sur deux milliards de pauvres gens en Afrique et en Asie principalement. Or ces usages traditionnels comptent aujourd’hui pour la moitié de la contribution des renouvelables à la demande énergétique mondiale.
Autrement dit, pour passer de 69 exajoules (Ej) à 89 Ej en 2030 au total, il faut que la contribution des renouvelables modernes passe d’environ 35 Ej à 66 Ej, presque un doublement, comme on peut le voir ci-dessus, sur ces graphes qui ont le grand mérite de ne pas montrer que le mix électrique, mais bien le mix énergétique total.
Pas si nul que ça, donc, le cas de référence, mais bien insuffisant quand même. La deuxième « marche » porterait la part des renouvelables à 30%. Il s’agit des options « RE-map » identifiées avec les gouvernements et les experts d’une quarantaine de pays, accompagnées d’un accès universel à l’énergie par les renouvelables et, surtout, d’un doublement du taux d’amélioration de l’efficacité énergétique – on le voit clairement sur le graphe en tête de la présente note.
Le graphe ci-dessous montre la répartition des sources et technologies. Une fois décomptés les transports, la production d’électricité et l’utilisation directe de chaleur sont d’importance égale. La biomasse compte – toujours – pour la moitié du total. L’éolien est multiplié par 4, le solaire photovoltaïque par 7 – à peu près ce que l’AIE avait envisagé en 2014 dans le scénario « high-ren » de Energy Technology Perspectives.
La troisième « marche » conduit enfin à ce fameux doublement. Elle repose principalement sur une électrification accélérée des transports et de la chaleur, dans les bâtiments par pompes à chaleur, et dans l’industrie, aussi par pompes à chaleur et autres technologies efficaces, mais aussi par l’hypothèse d’une relocalisation des industries énergivores au plus près de bonnes ressources renouvelables (graphe ci-dessous). On a peut-être trop souvent imaginé la relocalisation comme un mouvement inéluctable de pays industriels vers des pays émergents avec « fuites de carbone » résultant d’intensités énergétiques et carbone forcément supérieures dans ces pays; on fait ici l’hypothèse que la relocalisation, à l’image de celle, déjà constatée, des grandes usines d’aluminium vers les pays disposant d’un hydroélectricité abondante, pourrait au contraire permettre une réduction supplémentaire des émissions grâce à la compétitivité économique nouvelle des énergies renouvelables.
REmap 2016 marque un progrès évident par rapport à la première édition de 2014. Dans le scénario de référence comme dans ceux de la transition, elle fait moins appel à la biomasse et davantage aux nouvelles énergies renouvelables électriques, comme nous (mes collègues de la division des énergies renouvelables de l’AIE et moi) et peut-être d’autres l’avaient suggéré (ce qui me fait dire que ce plan est « irénique »… quoiqu’intuitivement j’irai encore plus loin dans cette direction: plus d’électricité, moins de biomasse). Par exemple, dans le scénario de référence, la capacité estimée en photovoltaïque en 2030 est maintenant de 780 GW (entre 1600 et 2000 GW dans le scénario de doublement), contre seulement 440 GW il y a deux ans. Il est vrai qu’on sera sans doute déjà au-delà de 440 GW en 2020… Comme le constate simplement les auteurs, « cette augmentation de près de 70% s’explique principalement par l’amélioration de l’équation économique du PV, qui témoigne que c’est maintenant une technologie standard considérée par tous les pays dans leurs programmes nationaux ».
Irena affirme que les options REmap sont compétitives. En revanche, aller jusqu’au doublement, ce qui nécessiterait en tout des investissements annuels de 315 milliards de dollars en 2015 à 1300 milliards en 2030, présenterait un coût net (sur ce point ne vous fiez pas à la traduction française du résumé), déduction faite des économies de combustibles, de quelque 290 milliards de dollars par an en moyenne. Les bénéfices dus à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et surtout de la pollution de l’air, à l’intérieur des bâtiments autant qu’à l’extérieur, seraient de 4 à 15 fois supérieurs; une large fourchette dépendant sans doute des hypothèses quant à la valeur monétaire des 4 millions de vies sauvées chaque année du fait de la réduction de la pollution.