Faut-il parler, avec l’excellent Bert Metz, de « Moon-landing moment »? Le 13 avril dernier, BnetzA, l’agence allemande, a annoncé les résultats des enchères pour de nouvelles fermes éoliennes off-shore. Surprise: trois des quatre projets vainqueurs ont fait une offre à… zéro euro, zéro centimes. Bien sûr c’est le prix du feed-in premium, ou « complément de rémunération », qui s’ajoute au prix de marché. Un démenti cinglant à tous ceux qui ont pu douter de la compétitivité de l’éolien maritime, mais aussi à tous ceux qui, comme moi ici-même, ont sans cesse affirmé que les renouvelables ne pourraient pas se financer sur les seuls marchés spot. Ou peut-être pas. Car ces champs d’éoliennes, qui devraient être mis en service en 2024, ne sont pas encore sortis de terre – pardon, de mer. Et les risques sont grands.
Sur les 1490 MW mis aux enchères, 1380 MW ont donc obtenu un contrat d’achat du type « contrat pour la différence » à zéro, les 110 MW restant obtenant € 60/MWh. Cela ne veut pas dire tout à fait sans soutien, puisque les développeurs, Dong et EnBW, n’auront pas à payer pour les lignes électriques, et bénéficieront d’une protection contre d’éventuels prix négatifs: jusqu’à six heures d’affilée ils seront remboursés.
Mais tout de même: cela signifie que Dong et EnBW comptent que les prix du marché de gros suffiront à rémunérer leurs investissements. Un sacré pari tout de même. Certes, on a vu récemment de l’off-shore posé « proche », donc peu profond, souscrit à € 75/MWh aux Pays-Bas, loin, très loin des prix auxquels seront réalisées les fermes marines françaises, souscrites il est vrai il y a déjà de longues années. L’éolien off-shore est donc à son tour touché par des baisses de prix massives, après des années de stagnation, comme si les effets d’échelle et d’apprentissage, longtemps tenus en laisse par les fabricants, s’étaient trouvés soudain libérés. Ainsi, le regroupement de nombreuses turbines dans de vastes fermes laisse espérer une baisse significative des coûts de maintenance – une proportion importante du coût final de l’électricité pour des machines en pleine mer – le coût des embruns, en somme. Quant au coût des investissements, il devrait bénéficier d’économies d’échelles nouvelles, les développeurs comptant installer des turbines de 13 à 15 MW… qui n’existent pas aujourd’hui. Et nul ne peut certifier à quel prix elles seront vendues.
Et les prix de marché ne vont pas s’envoler. Certes, Bloomberg New Energy Finance prévoit qu’ils augmentent dans les prochaines années à la suite des prix du gaz, dont le kWh marginal fixera de plus en plus souvent le prix de marché. Mais vers 2030 et peut-être plus tôt, la pénétration croissante des énergies éoliennes et solaires poussera les prix moyens à la baisse par effet d’ordre de mérite. Or il faut une série d’hypothèses optimistes – sur les Capex, sur les coûts de maintenance, sur les coûts de financement – pour démontrer la rentabilité de ces investissements par rapport à un prix de marché qui reste, par définition, volatile et incertain. Et c’est là que le bât blesse: peut-on obtenir un financement avantageux quand subsiste une forte incertitude sur la rémunération du capital? A priori c’est contradictoire…
L’éolien maritime au prix du terrestre, c’est dans l’ordre des choses. Si nous n’y sommes pas déjà nous nous en rapprochons à grands pas, les vents plus réguliers et puissants compensant les surcoûts d’installation et de maintenance. Les prix « nuls » des enchères allemandes en sont une preuve, mais qui reste fragile: ce n’est que lorsque les machines entrent en service, et parfois même bien après, qu’on peut vraiment évaluer la portée de ce qui n’est aujourd’hui qu’une annonce, spectaculaire mais risquée. Même si on souhaite, évidemment, plein succès à Dong et EnBW!
Je pense que pour une meilleure compréhension, il faut corriger la phrase » Cela ne veut pas dire tout à fait sans soutien, puisque les développeurs, Dong et EnBW, n’auront pas à payer pour les lignes électriques, … » en ajoutant » … et toucheront l’EEG Förderung qui pour l’off-shore est par exemple de 19,4 c€/kWh pendant 8 ans et 3,9 c€/kWh ensuite (194 €/MWh puis 39 €/MWh) ».
Sources: 1 – BundesNetz Agentur traduit en anglais par Google
2 – Erneuerbare Energien.de. également en version anglaise
Merci pour votre commentaire. Les montants dont vous parlez s’appliquent tels quels ou légèrement réduits aux éoliennes mises en service avant 2020. Les enchères dont nous parlons concernent des parcs à mettre en service en 2024 – les développeurs ne toucheront donc rien à ce titre, mais seulement le prix de marché, comme je l’ai indiqué.
Evidemment non, le texte allemand du communiqué de la « Bundesnetz Agentur » (mon premier lien), organisatrice de l’appel d’offre, dit clairement: « Projekte erhalten mit dem Zuschlag nicht nur einen Anspruch auf die EEG-Förderung, sondern auch … « , c’est à dire: « Les projets reçoivent avec le supplément non seulement le droit à l’aide EEG, mais aussi … ».
Le « supplément » désigne les 0 à 6 c€/kWh sur lesquels porte l’appel d’offres et que vous mentionnez, et l' »aide EEG » est l’aide « standard » accordée aux projets offshore.
Vu les prix actuels du marché en Allemagne, je vois mal des industriels baisser brutalement leurs prix de 80 à 90% …. (ou bien alors il y a intérêt à lire attentivement toutes les lignes en petits caractères de la proposition !)
Persiste et signe. Il faut donner la traduction de la phrase entière: « Les projets ont reçu le prix non seulement un droit au soutien EEG, mais aussi – financé par les consommateurs d’électricité par les frais de réseau – le raccordement au réseau et la possibilité de leur parc éolien de plus de 25 ans pour fonctionner ». En l’occurrence, les projets dont nous parlons ont un soutien EEG nul, mais aussi, comme je l’avais indiqué, un raccordement au réseau financé par les consommateurs d’électricité.