Pendant que la polémique fait rage sur les 80 km/h, lui affiche tranquilement 90 au compteur des ans. J’ai retrouvé François Lempérière cette semaine à « l’endroit habituel », cette pizzéria proche de l’Agence et plus encore du RER qui l’amène de Meudon. Et sa faconde, son imagination et son impeccable logique m’ont épastrouillé cette fois encore.
François Lempérière a derrière lui une longue carrière d’entrepreneur. Sa spécialité: les barrages hydrauliques. Il est membre de la Commission Internationale des Grands Barrages dont il a présidé le comité français. L’ICOLD qui lui a décerné en juillet dernier une récompense spéciale pour l’ensemble de son oeuvre.
Il a inventé les « déversoirs en touches de piano » qui protègent les barrages contre les crues extrêmes, il a popularisé les stations de transfert d’énergie par pompage d’eau de mer, repoussant les limites géographiques du stockage de l’électricité. Il a conçu les « maréliennes » et plus récemment les « twin dams ». Les maréliennes, ce sont de vastes bassins qui permettraient d’utiliser l’énergies des marées au-delà des zones de très haut marnage – mais j’ai déjà raconté cela. Les barrages jumeaux, c’est une idée pour l’Afrique: les barrages y sont souvent étroits et longs, suivant le lit des rivières. En construisant un barrage au milieu du réservoir, on peut aisément créer une station de transfert par pompage. Une façon économique d’intégrer plus d’énergie solaire dans le mix.
François Lempérière ne s’endort pas sur ses lauriers et s’empresse de tirer toutes les conséquences de la chute drastique des coûts de l’éolien et surtout du solaire. On en connaît de plus jeunes qui sont moins prompts, je ne nommerai personne… Ses réflexions globales, je m’en étais inspiré déjà en 2011 en rédigeant Solar Energy Perspectives, dont on trouve le texte intégrale en ligne ici. Aujourd’hui, Lempérière affirme qu’il faut « complètement repenser les rôles des barrages ». Leur construction répond à trois objectifs principaux: produire de l’électricité, écréter les crues, stocker de l’eau pour irriguer. Mais aujourd’hui, il s’agit moins de produire de l’électricité que de la stocker pour que les énergies renouvelables variables soient disponibles quand on en a besoin. Ce qui compte donc, c’est plus leur capacité électrique que les volumes d’eau stockée. Par ailleurs, il pense qu’on a tort de toujours vouloir stocker l’eau dans le lit des rivières. Pourquoi ne pas s’affranchir des contraintes géographiques, et réaliser plutôt des stockages situés à côté, faits de levées de terres, dans lesquels on pompera l’eau?
Quant à l’écrètement des crues – et là je dois dire qu’il m’a bluffé – François Lempérière a aussi conçu une alternative, à nouveau basée sur le pompage. Par exemple, pour protéger Paris, on pourrait avoir un barrage… en aval de Paris, dont on pomperait l’eau lors des fortes crues pour la rejeter plus en aval dans la Seine. Cela semble idiot, n’est-ce pas? Et pourtant le calcul – vérifié par l’ami Bonnelle – montre que cela permet d’éviter les débordements de la Seine. J’y reviendrai un de ces jours.
Après la pizza et avant la tarte fine aux pommes, il est temps d’aborder des sujets plus stratégiques. Comment garantir la sécurité électrique avec énormément d’éolien et de solaire dans le mix? Il faut regarder la puissance maximale requise, et admettre qu’on peut avoir peu d’éolien et peu ou pas du tout de solaire pour passer ces pointes. Donc il faut diviser la puissance nécessaire entre du stockage et des capacités thermiques. « La recherche du 100% ce peut être un piège, si on exclut d’emblée toute centrale thermique on peut alors montrer que ça coûte très cher ». Mais si on accepte des centrales, au fond assez peu coûteuses et qui n’auront à fonctionner que quelques centaines d’heures, voire quelques dizaines d’heures par an – donc avec très peu d’achats de combustibles, et très peu d’émissions de gaz à effet de serre – alors on peut garantir la sécurité d’appprovisionnement à un coût finalement raisonnable, et sans qu’on ait besoin de conserver des centrales nucléaires désormais plus chères que les renouvelables.
Et tiens, finissons par une autre réflexion de bon sens de François Lempérière sur ce sujet brûlant: quelles centrales faut-il arrêter en premier? Tout le monde cherche lesquelles sont les plus à risque, dit-il; or le critère le plus important est leur emplacement. Car le même accident grave dans une centrale un peu loin des grandes agglomérations, ou dans une centrale proche de Paris ou Lyon, n’aura pas du tout les mêmes conséquences économiques. Nogent sur Seine, Bugey, Dampierre, Saint Laurent devraient être en tête de liste derrière Fessenheim. Bon, évidemment, en rapportant un tel propos, je ne vais pas me faire que des amis dans les territoires, mais si l’on veut bien admettre que le risque zéro n’existe pas, alors faut-il reconnaitre une certaine logique à l’argument. Paris est-il évacuable, et le pays s’en remettrait-il jamais?