Hydrogène vert à Port Jérôme

Les médias l’ont annoncé fièrement: l’industriel H2V, soutenu par la région Normandie, envisage un investissement de 450 millions d’euros pour construire une usine d’hydrogène « vert » à Port-Jérôme. A priori, cela semble une bonne nouvelle. A un détail près – qui change tout.

L’hydrogène de Port-Jérôme devrait être assez vert, car produit par électrolyse de l’eau et non pas par reformage vapeur d’un combustible fossile. Et nous avons en France un mix électrique peu carboné, fait comme chacun sait de beaucoup de nucléaire et de renouvelables, d’abord hydraulique, ensuite éolien et solaire. De ce côté là, le projet tient la route.

Mais à quoi va servir cet hydrogène – jusqu’à 100 000 tonnes par an? Aux trois quarts aux raffineries du coin, et pour le dernier quart à des transports dits propres, après que l’hydrogène aura été « méthané », transformé en méthane par adjonction de CO2 capturé dans une installation industrielle.

N’allez pas croire que ce sont les trois quarts de la production destinée aux raffineries qui me posent problème. On ne va pas tout de suite se passer de carburants, il faut de plus en plus d’hydrogène pour les désulfurer et les rendre compatibles avec les normes qui permettent de baisser les émissions polluantes des véhicules, NOx et COV (et même SOx mais on s’en fiche un peu, les transports constituent une source très minoritaire). Même certains biocarburants, notamment les « HVO » ou huiles végétales hydrogénées produites à partir de divers déchets, pourront auront besoin d’hydrogène.

Non, c’est le dernier quart qui me pose problème. H2V projette donc d’en faire un méthane de synthèse. Avec ce méthane, on fera rouler des camions dits « propres, puisque nourris d’énergies décarbonées… sauf le carbone ajouté, bien sûr, qui fait que ces camions auront exactement les mêmes émissions que tout autre camion roulant au gaz naturel.

Toujours beaucoup mieux que des carburants pétroliers, direz-vous.

Oui mais voilà, à trente kilomètres de là, aux porte du Havre, un autre industriel, Yara, fait exactement l’inverse: il reforme du gaz naturel avec de la vapeur pour en faire de l’hydrogène, aussitôt transformé en ammoniac puis en urée et divers fertilisants.

Ce ne serait pas par hasard plus simple d’envoyer l’hydrogène à Yara, qui économiserait du gaz naturel, qu’on pourrait mettre dans les camions? Quant au CO2 capturé, eh bien, on pourrait aussi l’envoyer à Yara pour fabriquer de l’urée, combinaison d’ammoniac et de CO2. Au total, notez bien, on aurait exactement les mêmes émissions. Juste, on n’aurait pas une usine transformant du méthane en hydrogène et une autre transformant de l’hydrogène en méthane.

Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?

4 réflexions sur « Hydrogène vert à Port Jérôme »

  1. Christophe C

    Ou bien faire deux unités d’hydrogène vert dont une vend son hydrogène à Yara.
    Il y a probablement deux freins à la rationalisation: la construction d’un pipeline hydrogène de 30 km et l’absence d’un réseau d’acteurs d’hydrogène « vert ».
    Coté soutien, une entreprise comme EDF pourrait être partenaire: ça lui permettrait de plus faire tourner ses centrales qui plafonnent souvent vers 35-40 GW alors que 63 GW sont disponibles (hors maintenances).

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  2. Olivier TIHY

    Article très intéressant: mais il vous manque quelques éléments pour affiner votre réflexion.
    D’abord l’électrolyse de l’eau et le projet H2V products: la technologie Norvégienne envisagée consomme au mieux 3,8 kWh par Nm3 d’hydrogène ; ça veut dire que l’on consomme plus d’énergie que l’on en produit puisqu’il n’y a que 95 grammes d’hydrogène par m3. l’électrolyse de l’eau n’est, donc, pas un modèle de production écoresponsable à grande échelle, électrolyse de l’eau n’est intéressante qu’avec de l’électricité fatal, ce qui n’est pas du tout le projet de Lucien MALLET. De plus, faire du méthane à partir de l’hydrogène, par méthanation, n’est pas non plus écoresponsable car vous produisez énormément de chaleur dans la réaction de méthanation pour produire très peu de méthane. ( exemple pour produire 62,5 Nm² de méthane, vous avez besoin de 250 Nm2 d’hydrogène, soit 4 fois plus )
    IL y a, donc, beaucoup mieux à faire, notamment au Havre, à côté de l’usine YARA, car vous avez une centrale thermique EDF qui doit substituer le charbon fossile par du charbon vert.
    Ainsi, avec 500 000 tonnes de déchets de bois B, de déchets ligneux, de boues de STEP, de paille de céréales, de déchets agricoles type fumier de cheval pailleux, vous pouvez produire, vertueusement, 1 TWh de gaz ( ce que doit consommer l’usine YARA ) et 100 000 tonnes de charbon vert par Pyro-gazéification. La Normandie dispose de ces ressources dans son PRPGD.
    Ainsi, on pourrait faire, aussi, de l’économie circulaire, pour un vrai projet de la transition énergétique:
    faire du charbon vert et du biohydrogène à partir de déchets de biomasses.
    Données par tonne de biomasse 10% d’humidité : 2,5 MWh de gaz et 2 MWh de charbon, énergie consommée pour cette transformation 200 kWh d’électricité fourni par une centrale passée au charbon vert. Dans ce cadre, je ne parle même pas des emplois créés et de la balance commerciale améliorée du fait que le charbon ne sera plus importé. Bien cordialement, restant à votre disposition,

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    1. Cédric Philibert Auteur de l’article

      Merci pour votre commentaire, qui appelle quelques réponses. Votre critique de l’électrolyse est infondée, car toutes les transformations d’énergie se font avec des pertes, « consomment » plus d’énergie qu’elles n’en « produisent ». D’accord avec vous sur le fait que la réaction de Sabatier n’est pas si géniale que beaucoup le disent, mais plutôt qu’une comparaison en normo m3 qui ne dit pas grand chose je relèverais que la moitié de l’hydrogène retourne à l’état d’eau liquide. L’hydrogénation du CO2 en méthanol est plus performante. En revanche, je ne suis qu’imparfaitement convaincu par la conversion de centrales à charbon que vous proposez. Il me semble que la biomasse, ressource limitée, devrait d’abord servir à fournir du carbone d’origine atmosphérique pour fabriquer les hydrocarbures de synthèse dont on aura du mal à se passer pour certains usages transports. Au lieu d’être une source d’hydrogène, la biomasse en devient alors un consommateur, car c’est la teneur en hydrogène de la biomasse qui limite aujourd’hui sa conversion en hydrocarbures de synthèse.

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      1. Olivier TIHY

        Je vous remercie pour vos remarques, il est évident que la biomasse « propre » comme bois énergie, aujourd’hui, est limitée, notamment car elle est destinée à la production de chaleur. De plus, les forêts privées ne sont pas intéressées pour fournir une biomasse à vil prix aux exploitants de chauffage. Par contre, le bois B ne trouve pas de débouché pour 1 million de tonnes ( d’après l’ADEME ) et est mis en décharge. De plus, dans le sud de la France, près 1 million d’hectare de terre agricole n’est plus cultivé, notamment, suite à l’arrachage de la vigne. (230 000 hectares dans le Languedoc Roussillon ) Ces hectares pourraient être cultivé pour produire du Switchgrass de variété ALAMO ou BLACKWELL variétés bien adaptées aux régions du sud, On pourrait produire près de 60 TWh thermique de SWITCHGRASS!!!
        D’autres exemples peuvent être cités, comme le fumier pailleux de cheval en Basse-Normandie
        200 000 Tonnes qui ne trouvent plus de débouché pour la production de champignons dans le Maine et Loire, etc…

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