L’abondance pétrolière

Mirrah EORUn champ pétrolifère du sultanat d’Oman, avec au premier plan le « toit » de la serre qui enveloppe les capteurs solaires produisant de la vapeur pour la récupération assistée du pétrole.

Presque tout le monde l’a compris: la limitation de l’ampleur et du rythme des changements climatiques nécessite de laisser dans le sol des quantités phénoménales de combustibles fossiles. C’est cela avant tout qui justifie nos efforts d’économie d’énergie et de développement des énergies renouvelables. Et certainement pas – qu’on le regrette ou qu’on s’en félicite – un prétendu pic pétrolier, gazier ou charbonnier.

Le retour de prix du pétrole relativement bas n’aurait dû surprendre personne – même s’il était évidement difficile d’en prévoir le moment. L’exploitation des ressources naturelles est coutumière des phénomènes de boom and bust, les prix jouent au yo-yo. Quand ils sont élevés on investit dans l’exploitation, la production dépasse la demande, les prix s’écroulent, certains investisseurs boivent le bouillon, on ferme des mines, la demande augmente, les prix repartent à la hausse et peuvent atteindre des sommets avant que de nouveaux investissements, etc… L’histoire du pétrole est celle de ces oscillations. « Oui mais cette fois c’est pas pareil » entend-on aujourd’hui, parce que la Chine et l’Inde sont entrées dans le jeu, mais la fois d’avant c’était parce qu’on commençait d’utiliser le pétrole pour produire de l’électricité, ou parce qu’avec la Ford T l’automobile envahissait l’espace, il y a toujours une bonne raison, et le pronostic d’épuisement refait surface régulièrement, pour être tout aussi régulièrement démenti… Mais cette fois… « c’est pas pareil ».

C’est pas pareil en effet, et pour deux raisons fortes. La première découle précisément de cette nécessité de laisser l’essentiel des ressources dans le sol. Dès lors qu’une transition énergétique est engagée, la demande se réduit à mesure qu’on économise l’énergie et qu’on développe les renouvelables. Ceci fait naturellement baisser les prix… ce qui rend les économies d’énergie et les renouvelables moins rentables. Imaginer qu’on puisse aller vers une décarbonisation totale du seul fait de la baisse des coûts des renouvelables est une illusion – leur déploiement fait baisser le coût des concurrents, un équilibre se crée qui comprend forcément une bonne part des deux familles.. sauf s’il y a un prix du carbone fort. Encore faut-il ici distinguer: le charbon est le grand perdant, parce que son contenu en carbone est élevé, que les centrales représentent pourtant un investissement trop important pour un fonctionnement à charge partielle ou durant un nombre d’heures réduit, et qu’à part le fer et l’acier au fond on peut faire sans charbon. C’est plus difficile de se passer du pétrole, les carburants liquides sont incomparablement plus maniables pour les transports, les engins de chantier, les petits générateurs, et pour équilibrer de larges parts d’énergies renouvelables variables dans les systèmes électriques le gaz naturel a des atouts et restera ou redeviendra probablement moins cher que le gaz de synthèse à partir d’excédents d’électricité renouvelables. Mais bon, c’est un autre sujet.

La deuxième raison, ce sont les étonnants progrès faits ces dernières années par les technologies pétrolières et gazières. En fait, le coût d’extraction des pétroles et gaz de roche-mère a baissé pratiquement aussi vite que celui du solaire photovoltaïque, ce qui n’est pas peu dire. Plus que les progrès du « fracking » proprement dit ce sont les progrès des forages horizontaux qui ont à la fois réduits les coûts et augmenté la production – tout simplement parce que les gisements sont plus ou moins horizontaux, et donc avec cette technologie on accède à bien plus de ressources qu’en multipliant les forages verticaux.

 En cinq ans, la longueur moyenne des forages horizontaux en Pennsylvanie a plus que doublé pour un coût pratiquement divisé par quatre. On commente bruyamment la réduction du nombre de forages (rigs) aux Etats-Unis depuis la baisse des prix, souvent confondue avec le nombre de puits en exploitation (wells) qui, lui, ne baisse pas, et on oublie de voir que la production par forage a été pratiquement décuplée en cinq ans.

Bref, une demande qui décroît, entre ralentissement de la croissance économique mondiale, économies d’énergie et développement des renouvelables, une offre qui augmente… Le prix du pétrole pourrait remonter… mais c’est pas sûr. Et si ça freine la transition énergétique (sauf si on généralise le prix du carbone), ça freine aussi l’exploitation des ressources les plus difficiles d’accès – les plus risquées pour l’environnement.

Ah – et mes bons amis qui voient dans la rareté des ressources énergétiques l’explication du ralentissement de la croissance économique devront m’expliquer pourquoi celle-ci ne rebondit pas quand le prix des combustibles fossiles – le pétrole, mais aussi le gaz et le charbon – est au plus bas, et que celui des renouvelables baisse sans cesse.

 

Une réflexion sur « L’abondance pétrolière »

  1. Jean-Pierre Joly

    Merci pour cette analyse, Cedric. Cela conforte le raisonnement simple que je me suis fait.
    Du moins pour un certain temps et tant qu’on n’est pas en train de racler les dernières gouttes, il ne faut pas s’attendre à ce que les baisses de coût des renouvelables seules fassent s’étioler les fossiles. La demande risque naturellement de moins grimper en raison du développement des renouvelables et d’autres freins, mais l’excès d’offre sera là tant qu’on saura exploiter à pas cher.
    La baisse du prix de marché de l’électricité en Europe est là pour nous le rappeler.
    D’accord aussi pour distinguer entre Charbon et Pétrole. Le charbon est abondant et donc personne ne peut compter sur sa raréfaction, mais on peut espérer pour la raison que tu as évoquée, mais aussi et surtout en raison des problématiques de santé et de qualité de l’air, qu’on s’en détourne au maximum.
    En tout état de cause, la clef est bien de trouver des mécanismes de freinage fort des fossiles. Il faut les taxer, mais à mon sens pas seulement financièrement, mais aussi les faire passer dans la liste des produits tabous.
    Instiller peu à peu la notion, sinon d’interdit, du moins de quotas à ne pas dépasser au delà desquels on enfreint fondamentalement les règles communes.
    Je sais, c’est un peu moraliste comme discours, mais les civilisations anciennes nous apprennent que ces voies ancestrales de contrôle sont souvent les plus efficaces pour garantir leur survie.
    Les collectivités surtout locales commencent à retrouver ce réflexe ancestral et c’est d’elles surtout que l’on peut attendre une vraie mutation.
    Mais peut-être suis-je trop naïf.

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