Voici la Tribune que Le Monde a bien voulu mettre en ligne lundi 3 juillet. Le Chapô est bien entendu de la rédaction du Monde: « ¨Pour l’économiste Cédric Philibert, il est possible d’atteindre l’objectif de « zéros émissions nettes » d’ici 2050 grâce à l’électrification par les renouvelables, sans attendre le nucléaire. »
La progression semblait inexorable : hormis 2020 pour cause de pandémie, les émissions mondiales de gaz à effet de serre augmentaient d’année en année, battant à chaque fois de nouveaux records. L’année 2023 devrait cependant marquer un premier point d’inflexion, selon le think tank Ember Climate : les émissions liées à la production d’électricité pourraient enfin reculer, grâce à la croissance très rapide de l’éolien et du solaire, qui produisent désormais respectivement 7,5 % et 4,5 % de l’électricité mondiale ; ils n’en produisaient ensemble que 6 % en 2015.
L’hydroélectricité et le nucléaire sont encore les premières sources d’électricité bas carbone, avec respectivement 15 % et 9 % de la production mondiale, mais plus pour longtemps. Car le déploiement éolien et solaire s’accélère partout : l’Agence internationale de l’énergie (AIE) vient de rehausser à 440 gigawatts (GW) sa prévision d’installations nouvelles en 2023, et envisage 550 GW supplémentaires en 2024. Il avait fallu cinq ans après les accords de Paris de 2015 pour en ajouter seulement 328 GW… Résultat, la production éolienne et solaire mondiale aura doublé entre 2021 et 2025, fournissant 20 % de l’électricité, et 38 % avec les autres énergies renouvelables.
Pas de quoi se réjouir, objecteront certains : l’électricité ne représente dans le monde qu’un cinquième de l’énergie finale (carburants, combustibles et électricité à disposition des consommateurs). Si on y ajoute l’énergie absorbée par les centrales électriques et les raffineries (demande totale d’énergie, ou « énergie primaire »), le tableau apparaît plus sombre encore : l’éolien et le solaire n’en représentaient en 2021 que 2 %. Peut-on vraiment imaginer, comme l’AIE dans son scénario « Zéro émissions nettes » (ZEN), qu’ils en représentent 40 % d’ici 2050 ?
En 2050, l’électricité aux 2/3 par l’éolien et le solaire
Les chercheurs imaginés par Martin Hirsch dans son roman Les Solastagiques (Ed. Stock), paru en mai 2023, répondent par la négative, sans même se donner la peine d’en discuter tellement cela paraît évident. Et pourtant… le GIEC affirmait en mars que l’éolien et le solaire constituent le plus important levier d’action contre le dérèglement climatique, d’autant que pour l’essentiel il ne coûte rien, ces énergies étant devenues moins chères que toutes les autres dans un nombre croissant de situations.
Comme notre stratégie nationale bas carbone, notre stratégie européenne et celles de nombreux pays, le scénario ZEN de l’AIE ne peut se comprendre hors de l’électrification accélérée des bâtiments, de l’industrie et des transports : l’électricité représentera en 2050 la moitié de l’énergie finale, et près de 40 % de la demande totale d’énergie. Et sera produite aux deux tiers ou plus par l’éolien et le solaire.
Ce n’est pas un scénario de décroissance : le volume de l’économie mondiale doublera… tandis que la demande totale d’énergie restera pourtant stable. C’est le résultat d’économies d’énergie au sens usuel du terme, pour une part, et pour une autre de l’électrification elle-même. Car l’électricité est bien plus efficace que les carburants et les combustibles. Les centrales thermiques à gaz, charbon ou uranium, transforment en électricité un tiers seulement de la chaleur produite.
L’essor des véhicules électriques et des pompes à chaleur
Les moteurs des véhicules thermiques transforment en énergie mécanique un tiers de l’énergie des carburants. Les chaudières modernes sont, elles, efficaces à presque 100 % Pour les bâtiments, l’eau chaude et une partie de la chaleur industrielle, l’électricité apparaît au moins trois fois plus efficace quand elle anime des pompes à chaleur, puisant des calories dans l’environnement extérieur.
En somme, la progression de l’électricité éolienne et solaire agit trois fois sur nos gaz à effet de serre : les pompes à chaleur et les véhicules électriques réduisent la demande d’énergie finale, les énergies éolienne, solaire (et hydroélectrique) réduisent la demande d’énergie primaire, et elles se substituent aux fossiles pour produire l’énergie qui reste nécessaire.
Les véhicules électriques et les pompes à chaleur sont en train de prendre leur envol. L’électrification des procédés industriels démarre, et les innovations se précipitent ; elles ramèneront sans doute la perception de l’hydrogène, « outil à tout faire » en réalité peu efficace, à ses usages spécifiques dans la chimie et la sidérurgie.
Un enjeu crucial pour l’Europe
Le Réseau de transport d’électricité (RTE) a récemment avancé à 2035 sa prévision de croissance de la demande d’électricité pour 2050, soit 15 ans avant qu’un quelconque « nouveau nucléaire » vienne épauler l’ancien, déclinant. Le monde disposera-t-il des capacités de production nécessaires, et des surfaces suffisantes pour réaliser ce scénario ? Si quelques alarmistes estiment que nous n’aurons pas assez de minéraux, l’Institut national japonais d’études environnementales (NIES) et d’autres ont montré que l’extraction minière totale, aujourd’hui dominée par les huit milliards de tonnes de charbon extraits chaque année, diminuera dans la transition énergétique.
Les surfaces réellement occupées et artificialisées par l’éolien, le solaire et les réseaux électriques ; resteront dérisoires en comparaison de celles dévorées chaque année en France par la construction de logements, bureaux, commerces, routes… Les capacités de production photovoltaïque, en Chine et bientôt aux Etats-Unis, en Europe et en Inde, sont déjà largement au niveau requis par le scénario ZEN de l’AIE. Celles de batteries seront rapidement au bon niveau, celles de pompes à chaleur et, surtout, d’éoliennes, sont encore insuffisantes.
C’est là un enjeu crucial pour l’Europe : l’éolien, maritime et terrestre, lui est indispensable car sa production épouse mieux que le solaire les variations de notre demande d’électricité, plus forte en hiver. Et son avance industrielle et technologique sur l’éolien est aujourd’hui menacée par les progrès rapides en Chine et aux Etats-Unis.
Cédric Philibert est l’auteur de Eoliennes pourquoi tant de haine ? (Les Petits Matins/Institut Veblen, mars 2023).
Le suivi des commentaires manque de réactivité : ci-joint deux commentaires envoyés il y a plus d’un mois, le trois octobre.
Par ailleurs, dans l’attente de savoir comment passer les mois d’hiver avec les seules énergies renouvelables, dans une Europe supposée entièrement renouvelable. Quelle part pour le biométhane injecté dans le réseau gazier, plutôt que de l’hydrogène ? (cycle power > h2 > power déplorable).
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Les « Statistical Review of World Energy » publiées par BP de 1951 à 2022 le sont aujourd’hui par le « Energy institute » : https://www.energyinst.org/statistical-review
La production d’électricité à base de charbon a diminué de 2,3 % en 2019, avant de remonter par la suite et de probablement diminuer définitivement à partir de 2025. Diminution qui sera tout aussi probablement celle de l’ensemble des fossiles.
Ensemble, éolien et solaire ont produit légèrement plus d’électricité que le nucléaire en 2021 et 28 % de plus en 2022 : 3.427 TWh contre 2.679 TWh dans le monde.
En 2010, les fossiles ont représenté 67,1 % de la production d’électricité, le nucléaire 12,8 %, les renouvelables 19,4 % (et 0,7 % de divers). En 2022, les proportions respectives étaient de 60,6 % et 9,2 % et 29,3 % (et 0,9 % divers).
Entre 2010 et 2022, la production mondiale d’électricité a augmenté de 7.570 TWh, celle des fossiles de 3.190 TWh et celle des renouvelables de 4.350 TWh.
Pour le nucléaire, c’est une diminution de 90 TWh en 2022 comparé à 2010, production nucléaire ramenée à son niveau de 2002 et inférieure à son maximum de 2006 (en TWh).
En cinq ans, de 2017 à 2022, la production de l’éolien et du solaire est passée de 1.590 TWh à 3.430 TWh et de 6,2 % à 11,8 % de la production mondiale d’électricité.
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Pour une même superficie, la production d’énergie annuelle du photovoltaïque est de 70 à 100 fois supérieur à celle du colza, selon l’irradiation solaire du lieu en France.
Pour le solaire, voir : https://re.jrc.ec.europa.eu/pvg_tools/fr/
Un hectare sur lequel est implanté un MWc de photovoltaïque produit de 1.000 à 1.500 MWh par an d’électricité selon les régions.
Pour le colza, voir les statistiques agricoles, la teneur en huile et les conversions en énergie. En moyenne pluriannuelle, un hectare de colza produit 15,6 hl d’huile contenant 54.000 MJ d’énergie, soit 15 MWh, le tout avant déduction de l’énergie consommée pour la culture et la transformation en agrocarburant.
Selon une étude de l’INRA(e) de 2006, la surface de colza nécessaire pour produire de l’agrogazole incorporé à hauteur de 7% dans le gazole est estimée à 1,8 million d’hectares (Agreste Primeur 185, novembre 2006).
En comptant les autres agrocarburants, environ deux millions d’hectares de terres agricoles sont consacrés à la production des agrocarburants consommés en France, que ceux-ci soient produits en France ou importés.
Avec l’électrification des véhicules routier et la disparition des véhicules thermiques, aucune raison de continuer a utiliser des centaines de milliers d’hectares pour produire des agrocarburants incorporés dans le gazole et l’essence.
Si seulement 200.000 hectares de ces terres non utilisées pour la production d’aliments étaient convertis en centrales photovoltaïques, réparties uniformément sur tout le territoire métropolitain, la production annuelle d’électricité y serait de l’ordre de 240 à 260 TWh par an.
En complément bien sûr du photovoltaïque installé sur les bâtiments, les parkings, les surfaces en eau, et de l’agrivoltaïsme sous toutes ses formes.