Une commission mixte paritaire – sept députés, sept sénateurs – se réunira le 24 janvier et s’il le faut les jours suivants, dans le but d’harmoniser les versions passablement divergentes du projet de loi d’accélération des énergies renouvelables adoptées par le Sénat en décembre, et l’Assemblée nationale le 10 janvier dernier.
Par 286 voix « pour » et 236 « contre », les députés ont finalement adopté le texte auquel ils étaient parvenus le 15 décembre, évitant ainsi le déshonneur de paraître rejeter en bloc les renouvelables. Les groupes Renaissance, Démocrate et Horizons, soutiens habituels de l’exécutif, ainsi que le groupe socialiste et le groupe « Libertés, Indépendants, Outre-mer et territoires » ont voté pour le texte. Les groupes Rassemblement National, Les Républicains, Gauche démocrate et républicaine (communistes), et La France Insoumise ont voté contre. Les écologistes se sont abstenus.
Cette loi justifiera-t-elle son titre – permettra-t-elle d’accélérer le développement des renouvelables ? Dans son état actuel, ce n’est pas sûr : elle semble contenir autant de dispositions prometteuses que de dispositions désastreuses, sans parler de celles dont seul l’avenir dira comment il faut les apprécier. Les professionnels du secteur se divisent entre ceux qui voient plutôt le vert à moitié plein, et ceux qui voient plutôt le vert à moitié vide.
Pour France Energie Eolienne, la loi intègre plusieurs avancées majeures :
- Une tarification par gisement, qui va inciter à l’implantation dans des territoires peu dotés et contribuer à un développement équilibré ;
- Des mesures visant les délais de raccordement vont permettre de les accélérer « dans la seconde moitié » de la décennie.
- Même si le tarif préférentiel d’électricité pour les riverains, préconisé par la filière, n’a pas été retenu, les mesures aidant à financer diverses actions des collectivités concernées concrétisent la dimension sociale de la transition énergétique.
- La planification fine de l’espace maritime aidera fortement au développement de l’éolien offshore et à l’attribution de 11 GW d’ici 2027.
- La mise en place d’un fonds de garantie pour la construction « sous recours » permettra d’engager les travaux sans attendre que les recours juridiques contre les projets éoliens soient tous purgés.
Le Syndicat des énergies renouvelables est nettement moins positif, sans doute parce que son champ d’action intègre notamment le photovoltaïque. Or, si l’on pouvait d’abord craindre l’hostilité virulente de la partie droite de l’Assemblée à l’encontre de l’éolien, c’est finalement l’hostilité non moins tranchée de la partie gauche de l’Assemblée à l’encontre des centrales solaires au sol qui a prévalu dans le projet actuel.
Outre les points aussi évoqués par la FEE, le SER salue notamment la reconnaissance de la raison impérative d’intérêt public majeur des énergies renouvelables et la facilitation de l’accès au foncier artificialisé pour le solaire. Mais il regrette que d’autres points marquent des reculs par rapport au droit existant : nouvelles contraintes pour le développement de l’éolien terrestre, régime réglementaire discriminatoire pour les projets solaires en zones forestières – qui ne s’applique à aucune autre activité économique !
De même, l’encadrement très strict du solaire en zone agricole pose question. Il doit obligatoirement suivre l’équipement solaire des bâtiments agricoles chez les agriculteurs concernés, et préserver voire augmenter la production agricole. Des terres incultes doivent avoir été abandonnées depuis dix ans au moins avant de pouvoir accueillir un projet photovoltaïque.
D’autres mesures au cœur même de l’objectif d’accélération, proposées par le Sénat, n’ont pas été retenues par les députés : délais maximums pour déclarer un dossier complet, encadrement des contentieux abusifs sur le modèle du droit de l’urbanisme notamment.
Reste le gros morceau de la « planification ascendante », à partir des élus locaux, qui devrait permettre de définir des zones d’accélération des énergies renouvelables et, du même coup, des zones de droit commun et surtout des zones d’exclusion. Un avis conforme des maires sur ces zones sera nécessaire, leur donnant un droit de vie ou de mort sur la possibilité même de faire des projets, et cela fut justifié par les efforts ainsi économisés à développer des projets qui seraient in fine tués avant que d’exister – à ce compte-là, on pourrait économiser tous ces efforts en interdisant les énergies renouvelables une fois pour toutes.
En fait, nul ne sait dire aujourd’hui combien de temps il faudra pour parvenir à définir ces zones, tant les parties concernées sont nombreuses et en l’absence d’obligations de succès. Certes, l’absence de ces zones ne sera pas opposable juridiquement aux projets, mais on peut craindre qu’elle n’en facilite pas le cheminement auprès de l’administration et des méandres de la justice administrative. Et plusieurs des mesures que salue la FEE sont en réalité dépendantes du bon aboutissement de cet exercice de planification. En définitive, nul ne saurait dire si elle sera, comme la définition de zones spécifiques au Texas, un facteur d’accélération ; ou bien, comme les efforts de planification de l’éolien voici dix ans, dans les zones de développement éolien, un facteur de ralentissement.
Le nouveau président du SER, Jules Nyssen, s’est étonné « de l’esprit de méfiance qui s’est emparé des débats à l’assemblée nationale et qui débouche sur un vote étriqué. » La méfiance de la droite à l’égard de l’éolien « intermittent » était attendue et découle de sa passion illimitée pour l’énergie nucléaire, même si la situation nouvelle créé par la prise en tenaille de la sécurité énergétique du pays par la baisse de la production nucléaire et l’augmentation des prix du gaz aurait pu, aurait dû, l’amener à revoir ses positions. La méfiance des insoumis à l’égard de cet argent privé qui s’investit dans les énergies renouvelables est, hélas, à peine plus surprenante, mais conduit à s’interroger sur le chemin qui doit mener la France à 100% d’énergies renouvelables en 2050.
La méfiance des députés écologistes fut l’énorme surprise de ces débats pour les observateurs. Ils ont essentiellement invoqué la préservation de la biodiversité, refusant par exemple de reconnaître aux énergies renouvelables une raison impérative d’intérêt public majeur. C’est refuser de voir que les éventuels effets négatifs de l’éolien et du solaire sont locaux et limités, alors que leur rôle dans l’atténuation du changement climatique, l’un des principaux facteurs d’extinction du vivant, est primordial et incontournable. Comme si les députés écolos avaient gobé d’un coup une bonne dose de la désinformation sur les renouvelables, élaborée d’abord aux Etats-Unis par les « think-tanks » largement financés par les compagnies charbonnières et pétrolières, et aujourd’hui reprise par les plus fanatiques partisans de l’énergie nucléaire. Pour le secteur, une immense déception, pour ne pas dire une trahison.
Nous verrons d’ici la fin du mois si la CMP veut effacer les plus saillantes aspérités de ce texte et en faire ce qu’elle prétend être, une « loi d’accélération » des énergies renouvelables, ou si la France va s’obstiner à rater le train des énergies renouvelables alors qu’il prend davantage de vitesse en Europe et dans le monde entier.