Énergies renouvelables : pourquoi la loi d’accélération est un ratage complet

La loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables a donc été adoptée le 7 février par le Sénat, par 300 voix pour, 13 contre (dont 10 Républicains) et trente abstentions (notamment écologistes). Elle avait été adoptée à l’Assemblée nationale, par 217 voix pour (députés de la majorité, socialistes, indépendants et ultra-marins) et 169 contre (Rassemblement national, Les Républicains, Insoumis et communistes), le 31 janvier en des termes identiques, ceux de la Commission Mixte Paritaire. Les parlementaires écologistes des deux chambres se sont abstenus, les députés et sénateurs Les Républicains se sont divisés…

Les opérateurs d’énergie renouvelable n’en attendent pourtant pas grand-chose. Si les plus optimistes relèvent certains points positifs, la plupart estiment que la loi va plutôt ralentir le développement des renouvelables, et isoler encore davantage la France en Europe.

La loi devait simplifier les procédures et réduire les délais administratifs, réduire le nombre d’autorisations nécessaires pour installer des éoliennes ou des parcs solaires, et réduire ainsi le nombre de recours. De cette ambition initiale il ne reste pratiquement rien. En particulier, l’encadrement des contentieux abusifs sur le modèle du droit de l’urbanisme, proposé par les Sénateurs, n’a pas été retenu par les députés.

A l’inverse, la « co-construction » de la loi dont se félicite l’exécutif a donné naissance à un indigeste feuilleté de procédures de « planification ascendante », démontrant la pertinence du proverbe « trop de cuistots gâte la sauce ». Il s’agit de définir des « zones d’accélération » du déploiement des renouvelables, lesquelles « contribuent à compter du 31 décembre 2027, à atteindre les objectifs prévus par la programmation pluriannuelle d l’énergie ». Dans près de cinq ans, sérieusement ? On veut croire que pour les rédacteurs, il s’agit des objectifs à horizon de fin 2027… mais il est vrai que rien ne garantit que les zones d’accélération existent avant cette date. Et en attendant, la seule perspective de cette planification, qui se superpose à nombre d’outils déjà à la disposition des collectivités locale, fournit aux opposants et aux hésitants des arguments supplémentaires pour ne rien décider, rien engager.

Les autorisations données à l’implantation d’éoliennes devront, sous prétexte de favoriser leur appropriation territoriale, « limiter les effets de saturation visuelle ». Nul doute que les opposants, qui sont tous de bonne foi et jamais manipulés par des professionnels de la désinformation, sauront « s’approprier » cette disposition pour y puiser des occasions nouvelles de recours juridiques. « On n’a pas les moyens de tout empêcher, expliquait au Monde en mars 2020 Jean-Louis Butré, le président de la « Fédération environnement durable », mais on leur fait perdre du temps ». Cette géniale stratégie, ne visant en réalité qu’à préserver le nucléaire, a déjà coûté cette année des milliards d’euros à la France, obligée d’importer beaucoup d’électricité ex-gaz justement quand s’envolait le prix du gaz.

La reconnaissance de l’intérêt public majeur des énergies renouvelables – que les oppositions de droite comme de gauche et les écologistes ont fermement combattue – est bien dans le texte, mais soumise à la publication d’un décret en Conseil d’État qui en définira les conditions. Celles-ci seront fixées « en tenant compte de la puissance prévisionnelle totale de l’installation projetée » : autant dire que l’avantage principal de cette reconnaissance, permettre aux petits projets décentralisés, chers pourtant aux élus écologistes, de n’avoir pas à prouver qu’ils sont d’un intérêt public « majeur », risque de disparaître. En affirmant qu’il ne fallait pas « opposer le climat et la biodiversité », les écologistes, suivis par beaucoup d’autres, n’ont pas cessé au contraire d’opposer la préservation de la biodiversité au déploiement des énergies renouvelables, refusant d’apprécier à leur juste mesure les impacts mineurs des éoliennes ou des centrales solaires ou de reconnaître dans le changement climatique une raison majeure d’érosion de la biodiversité.

Comme l’a expliqué Maxime Laisney, de la France Insoumise, c’est d’abord le changement de destination des sols qui détruit la biodiversité. Pas faux, mais l’urbanisation, le morcellement des habitats par les infrastructures de transport, la surexploitation des forêts tropicales en sont des raisons bien plus importantes que le déploiement des renouvelables.

Résultat de cette absence de hiérarchie des enjeux, la loi « d’accélération des renouvelables » torpille le solaire, en interdisant pratiquement toute grande centrale au sol – de loin la formule la plus économique. L’énergie photovoltaïque devient la seule activité interdite en zones sylvicoles, pas même susceptible de demander une autorisation de défricher dans les conditions ouvertes aux centres commerciaux, aux centres de loisir, aux routes, aux stades, aux mégabassines…. L’agrivoltaïsme, strictement encadré, et les obligations de couvrir les parkings des grandes surfaces d’ombrières photovoltaïques, ne sauraient compenser un tel recul en termes d’installations annuelles.

Delphine Batho, députée écolo et ancienne ministre, est allée jusqu’à affirmer qu’il était « plus  simple, plus facile, plus rapide d’aller sur le bâti et sur des espaces déjà artificialisés » pour installer du photovoltaïque. N’importe quel développeur aurait pu lui expliquer que ce serait au contraire plus compliqué, plus difficile et plus lent, et aussi beaucoup plus coûteux – entre deux et six fois selon la taille des installations.

C’est là sans doute que s’est le mieux illustrée la méconnaissance de la réalité de l’énergie solaire en 2023, chez les députés comme chez les sénateurs, chez les écologistes autant que chez tous les autres : avoir imaginé un instant que les centrales solaires menaçaient la souveraineté alimentaire du pays, ou sa production sylvicole, quand il faudrait au plus leur consacrer entre 100 000 et 250 000 hectares, le quart de la surface occupée, avec un rendement cent fois moindre, par les agrocarburants.

Le texte d’origine visait aussi un nouveau partage de la valeur, au-delà de la répartition de la fiscalité entre les diverses collectivités territoriales, via un prix moins élevé de l’électricité pour les riverains des installations renouvelables. La proposition a été rejetée par la gauche, qui y a vu une rupture de l’égalité devant le service public (sans remettre en cause pour autant le tarif de l’électricité pour les agents EDF). Le parlement a finalement adopté une proposition du sénateur écologiste Ronan Dantec : les opérateurs devront désormais financer des projets portés par la ou les communes en faveur de la rénovation ou l’efficacité énergétiques, y compris au profit des ménages, et des projets de protection ou de sauvegarde de la biodiversité.

Que reste-t-il dans cette loi qui pourrait effectivement « accélérer » le déploiement des énergies renouvelables ? La planification de l’éolien maritime, peut-être. Des possibilités nouvelles pour les entreprises et collectivités locales de contractualiser des achats d’électricité avec des opérateurs. Et enfin, une disposition passée largement inaperçue : la possibilité pour les développeurs d’éoliennes de co-financer la construction de radars militaires supplémentaires. Plus de 70% du territoire métropolitain est aujourd’hui interdit d’éoliennes par l’armée, car elles peuvent partiellement aveugler ses radars ; ce chiffre pourrait être réduit de moitié par cette possibilité nouvelle. Ce qui pourrait éviter de mettre toutes les éoliennes dont la France a un besoin urgent dans les seules deux régions qui en comptent déjà un nombre respectable.

A ceci près, la loi ne servira pas à grand-chose. Il lui reste d’ailleurs un dernier obstacle à franchir avant que le Président de la République ne puisse la promulguer : celui du Conseil Constitutionnel. Les groupes Rassemblement National et Les Républicains ont en effet trouvé opportun de déposer des recours contre la loi à peine. Ces recours, basé sur l’idée que cette loi violerait l’égalité des énergéticiens devant la loi, ont fort peu de chances d’être retenus : il s’agit donc de s’assurer que les électeurs ont bien compris qu’à droite on déteste les énergies renouvelables.

Reste que si l’exécutif entend vraiment accélérer le déploiement des renouvelables, en attendant de remettre des dispositions législatives sur le tapis à l’occasion de la programmation pluriannuelle des investissements attendue pour la deuxième moitié de l’année, il lui reste une carte à jouer : augmenter les effectifs des personnels qui instruisent les dossiers de l’éolien maritime et terrestre et du solaire, dans l’administration centrale et les préfectures, chez RTE et INEDIS, effectifs pathétiques si on les compare à leurs équivalents en Europe.

3 réflexions sur « Énergies renouvelables : pourquoi la loi d’accélération est un ratage complet »

  1. Picard

    La seule façon de sortir la tête haute, c’est que les éoliennes, des ICPE, rentrent dans le cadre réglementaire normal, notamment dans le code de l’urbanisme et le PLU de la commune. Mais le lobby éolien le refuse, ainsi qu’une bonne partie de la gauche et de l’extrême gauche et des écologistes – par ailleurs favorables au référendum d’initiative populaire, mais par pour l’éolien.
    Arrêtons cette absurdité, donnons la parole aux maires, à leur conseil municipal et aux habitants, plutôt que laisser le marché de l’éolien dans les pattes du lobby et des préfets. Si vous voulez accélérer l’éolien, ce n’est pas en créant des lois d’exception et en essayant de passer par dessus la volonté des habitants que vous y arriverez.

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  2. Biberfeld

    Je pense sincèrement que pour parler ainsi vous ignorez totalement en quoi consiste la biodiversité. Si on reste dans l’optique d’une économie qui conserve les mêmes logiques, c’est-à-dire qui considère par exemple la fourniture d’électricité pour les voitures individuelles prioritaire par rapport à la protection des milieux, on va tout simplement vers la mort de la plus grande partie de l’humanité. Au contraire des arbres, les panneaux photovoltaïques ne produisent ni oxygène, ni eau, ni nourriture, et ils n’accueillent qu’un nombre ridicule d’espèces par rapport à la plus dégradée des forêts. Je vis sur un causse dont la biodiversité est très importante, dans la zone cœur du bien Unesco Patrimoine mondial pour l’agropastoralisme méditerranéen. C’est un milieu karstique semi-aride où les pelouses sèches sont entretenues par les troupeaux, tandis que les fonds sont cultivés en fourragères. On peut y observer les trois grands vautours, des aigles royaux et un nombre important d’espèces endémiques. 70% des papillons observés en France métropolitaine peuvent y être trouvés, sans parler des chiroptères, reptiles, anoures, insectes et autres invertébrés. La cupidité étant de rigueur et la transition énergétique ne méritant pas qu’on y investisse plus de fric que nécessaire, les start-up de l’énergie verte se ruent sur cet eldorado pour lui faire la peau, avec l’intention affichée de balayer l’importune petite paysannerie du coin et de raser toute cette vie qui ne rapporte rien. Ici un hectare se loue 100€ l’année, les requins arrivent, qui ne savent pas distinguer une carotte d’un églantier, et pour lesquels les soixante orchidées qui poussent ici ont autant d’intérêt que soixante grains de blé tous identiques. Ils proposent des 1000, 2000€ l’hectare. Ô joie, les communautés qui ont bien du mal à subsister sont déchirées, la zizanie s’installe, on achète les uns, on essaie d’intimider les autres. Pourquoi ici, pourquoi dans les Cévennes, sur les Causses, un des endroits de France où la biodiversité est la plus élevée ? Si l’idée globale est de tout défoncer et de faire disparaître des espèces pour avoir de l’électricité renouvelable à un prix économiquement attractif, et uniquement pour cette raison, qui est une raison exclusivement économique (les ombrières, les délaissés, les anciennes carrières, les toits d’usine, c’est trop compliqué et beaucoup plus cher), alors bravo, vous signez l’arrêt de mort non seulement d’une grande partie des espèces en question, mais d’un nombre incalculable d’humains si votre logique prévaut. Ça coûte cher ? La vie coûte cher, l’avenir coûte cher ? Je me permets de vous rappeler qu’en 2022, les limites planétaires qui concernent la biodiversité et le changement d’attribution des sols sont franchies de façon beaucoup plus critique que celle qui concerne le changement climatique. Absolument toutes les instances scientifiques alertent sur le danger de précipiter l’effondrement du vivant d’un côté, les changements fonctionnels des milieux de l’autre. Vous semblez n’avoir aucune notion naturaliste, comme la plupart des experts ès énergie, économie, etc… Mais le vivant est concret, vous êtes calé dessus, l’air, l’eau et la nourriture ne sont pas produits en usine. Vos calculs qui ne lui accordent pas le moindre prix, au point de le balayer pour des histoires sordides de surcoût (il ne faut pas que l’énergie coûte davantage, il ne faut pas songer à décroître, il ne faut pas chercher de solution dans des changements sociétaux et de logique économique), comme si l’ensemble du vivant, et toutes les formes de vie qui nous ont précédés et nous survivront, n’étaient que des données assimilables aux fluctuations des prix ou à la conjoncture économique. C’est effrayant de prendre à ce point l’ensemble de l’univers pour une simple variable des activités humaines ou une opinion partiale de certains humains. Tant qu’une inconscience pareille aura davantage droit à la parole et sera relayée davantage que les observations et les conseils des naturalistes, des petits paysans non industriels, des scientifiques, nous continuerons à foncer dans le mur. Je vous entends d’ici me dire que je ne suis pas réaliste, comme si les impératifs de production de nos sociétés, qui ont une histoire et n’ont cessé de changer au cours des siècles, étaient d’irréductibles données naturelles, comme si seules les sociétés industrielles représentaient l’histoire humaine, tandis que la terre, elle, avec ses montagnes, ses fleuves, ses mers, ses animaux, ses végétaux, ses lichens et toutes ses formes de vie, dont les humains qui vivent autrement, n’était dans son ensemble que le décor amovible et sans importance de l’odyssée industrielle. Mais c’est d’une présomption et surtout d’une ignorance et d’un aveuglement consternants.

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    1. Cédric Philibert Auteur de l’article

      Merci pour ce long commentaire, que je trouve très intéressant. Pour votre information, j’ai fait mon premier exposé sur les pesticides en classe de troisième, en 1967 ou 1968, en m’appuyant sur le livre de Rachel Carson paru quelques années avant, je ne suis pas tout à fait ignorant des notions naturalistes. Ce que vous écrivez révèle, à mon avis, une incompréhension des ordres de grandeur, qui repose au fond sur une méconnaissance de l’extraordinaire efficacité du photovoltaïque, cent fois plus efficace par unité de surface au sol que les agrocarburants pour faire rouler des véhicules (et s’il vous plaît ne me dites pas qu’on n’aura plus du tout besoin de véhicules motorisés en milieu rural). Pour lutter contre le changement climatique il nous faut installer très vite le plus possible d’éolien et de solaire, et toutes les fa çons sont bonnes, donc peut-être 100 000 hectares en France (dix fois moins que les agrocarburants) pour des grandes centrales au sol, donc souvent au moins en partie sur des terrains naturels, agricoles ou forestiers. Et pour aller vite il faut en partie s’adapter au réseau électrique, celui-ci ne peut pas se reconfigurer entièrement et assez vite en fonction de nos besoins. Donc, oui, il y aura ici ou là quelques dégâts locaux, encore que l’expérience montre qu’il y a souvent autant de biodiversité dans une centrale solaire qu’à côté (ne serait-ce que parce qu’elle est enclose, interdite à la chasse), voire nettement plus (cas d’une parcelle au sein d’une monoculture forestière). Et surtout, n’oublions pas que le dérèglement climatique est une des quatre grandes causes de l’érosion de la biodiversité selon l’IPBG.

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