« La défense du nucléaire comme énergie bas carbone affaiblit l’action de l’Union européenne contre le changement climatique »

Ci-dessous la tribune que j’ai signée dans Le Monde (site, 13 janvier) avec mes amis de l’association ENR pour tous, en particulier Stéphane His, Corinne Lepage, Ghislain Dubois et Clément Bayard.

En cherchant à relancer quoi qu’il en coûte le nucléaire, la France ne rate pas seulement une occasion historique d’une transition rapide et moins coûteuse vers les énergies renouvelables et la décarbonation. Elle affaiblit l’ambition climatique de l’Union européenne (UE).

La réintégration de la production nucléaire actuelle en Europe – 6 % de son énergie finale – dans l’objectif de 42,5 % d’énergies renouvelables fixé par la directive RED III [Renewable Energy Directive III] créerait un artifice comptable et entraînerait un flou stratégique dans un domaine qui a pourtant besoin de vision à long terme.

Le gouvernement français mène une croisade pour réhabiliter le nucléaire : c’est selon lui la seule énergie décarbonée « pilotable », une caractéristique qu’il juge indispensable pour gérer les réseaux électriques. Cela en omettant que la décarbonation peut être obtenue, comme la majorité des pays de l’UE l’envisagent, par la combinaison de plusieurs énergies renouvelables et de moyens de flexibilité et de stockage. Il réclame que l’UE assigne aux pays membres des objectifs d’énergie bas carbone, et non des objectifs d’énergies renouvelables comme elle l’a fait jusqu’à maintenant.

Quoi qu’on pense du nucléaire, le dossier paraît plaidable. Et le gouvernement français a même obtenu un premier succès, limité à la production d’hydrogène, dont il s’est bruyamment félicité. Il voudrait maintenant voir ce succès généralisé à l’ensemble des vecteurs énergétiques. Cependant, la méthode qu’il emploie pour parvenir à ses fins risque à la fois d’indisposer fortement nos partenaires, de nuire aux acteurs français des filières du renouvelable et du stockage, et d’affaiblir la lutte contre le dérèglement climatique.

Le gouvernement n’ouvre pas un questionnement pour l’avenir, il le fait à chaud, au milieu du gué, et par la manière forte et sans transparence. A croire que le nucléaire vaut bien d’affaiblir encore le consensus européen, dont le président de la République affirme pourtant qu’il constitue son ADN.

Tout d’abord, il refuse de régulariser la situation de la France, seul pays membre à n’avoir toujours pas atteint son objectif de 23 % d’énergies renouvelables pour 2020 (et les années suivantes), en achetant à d’autres pays membres les « transferts statistiques » nécessaires – c’est-à-dire leurs quotas d’énergies renouvelables. Il tourne ainsi le dos aux engagements pris par la France en décembre 2009 par le président Nicolas Sarkozy et son premier ministre François Fillon.

Il refuse ensuite d’indiquer, aux instances européennes et à son propre Parlement, quels sont ses objectifs en matière d’énergies renouvelables. Il a pourtant cosigné l’objectif européen d’atteindre 42,5 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale en 2030 (directive RED III, adoptée le 9 octobre 2023). Selon la méthode de calcul employée en 2009 et toujours en vigueur, la France devrait s’engager à ce que les énergies renouvelables représentent au moins 44 % de sa consommation d’énergie finale.

L’encre de cet accord à peine sèche, le gouvernement français lui tourne ostensiblement le dos. Le projet de plan national intégré énergie-climat transmis à la Commission européenne ne mentionne aucun objectif chiffré de ce genre. De même, le projet de loi relatif à la souveraineté énergétique supprime carrément l’objectif actuel de fournir 33 % au moins de l’énergie finale en 2030 par des énergies renouvelables.

A sa place, il crée des objectifs de maintien de la capacité nucléaire et de production minimale, avec un facteur de capacité peu réaliste alors que notre parc de réacteurs est en train de traverser les quatrièmes visites décennales, généralement prescriptrices de travaux plus ou moins longs. Ces objectifs sont accompagnés d’un déploiement des énergies renouvelables permettant d’assurer conjointement au nucléaire « la couverture des besoins en électricité décarbonée » – sans autre précision sur les 100 gigawatts de solaire ou les 40 gigawatts d’éolien en mer pourtant annoncés lors du discours de Belfort d’Emmanuel Macron (en 2022) lui-même, et toujours en gardant le silence sur l’éolien terrestre.

Ce comportement est doublement irresponsable.

Tout d’abord, il ne peut manquer, en dévaluant la parole précédemment donnée par la France, d’irriter profondément nos partenaires européens, dont il traite les préoccupations avec une extrême désinvolture.

D’autre part, s’il obtenait satisfaction, le résultat serait de diluer fortement non seulement l’engagement français en faveur du climat, mais celui de toute l’Europe.

En effet, l’objectif de 42,5 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale a été négocié comme un des moyens d’atteindre une réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’UE de 55 % en 2030. Et personne à ce moment-là n’envisageait d’y inclure l’énergie nucléaire, notamment parce qu’il n’y a pas aujourd’hui consensus en Europe pour soutenir le déploiement de l’énergie nucléaire.

Si l’énergie nucléaire devait être incluse dans le calcul a posteriori, cela n’aurait pas pour principal effet de permettre à la France d’atteindre son objectif en ajoutant l’électricité de l’EPR de Flamanville à son calcul, mais bien de permettre à la France et à toute l’Europe d’y inclure l’ensemble de leur production nucléaire. C’est environ 6 % d’énergie finale qui serait aussitôt, sans effort supplémentaire, déclarée « renouvelable ». L’objectif de 42,5 % serait ainsi arithmétiquement ramené à environ 36 %.

Par ce changement de pied en cours de route, la défense du nucléaire comme « énergie bas carbone » affaiblit de fait l’action de l’UE contre le changement climatique. C’est faire perdre toute crédibilité à l’argument avancé, c’est confirmer qu’il ne s’agit que d’un intérêt industriel au détriment de l’intérêt de l’humanité tout entière. Cette impression ne peut d’ailleurs qu’être renforcée par l’extrême mollesse du projet de loi sur la souveraineté énergétique tout juste publié, qui ne parle plus que de « tendre vers » une réduction d’émissions de gaz à effet de serre, plutôt que d’affirmer un objectif de réduction ferme.

Une réflexion sur « « La défense du nucléaire comme énergie bas carbone affaiblit l’action de l’Union européenne contre le changement climatique » »

  1. Evariste

    En 2022, selon les données du ministère chargé de l’énergie et du « développement durable », la part des énergies renouvelables dans la production d’énergie PRIMAIRE a été de 27,7% avec 346 TWh (105 électriques + 241 thermiques) sur un total de 1.249 TWh (expression plus compréhensible que les térajoules).

    Si le nucléaire est compté pour 893 TWh, il s’agit de la chaleur produite, sans utilité pour les deux tiers, mais qui réchauffe les fleuves, le bord de mer et l’air.

    Dans la consommation finale, l’électricité a compté pour 414 TWh, dont 24% provenant d’énergies renouvelables (% selon la production nette).

    Au total, dans la consommation FINALE, les énergies renouvelables ont compté pour 99 TWh électriques et 184 TWh thermiques, soit 283 TWh et 18,5% d’un total de 1.532 TWh.

    Sur la base de la consommation primaire, la production d’origine nationale se limite à 356 TWh essentiellement renouvelable (excepté 10 TWh pétroliers) sur un total de 2.482 TWh. Soit 14,4 % qui représentent l’indépendance énergétique réelle de la France.

    La fiction officielle est de compter le nucléaire comme si l’uranium utilisé dans les réacteurs était produit en France, alors que la dernière mine sur le territoire national a fermé en 2001.

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