Les objets de la transition énergétique, de la voiture électrique à l’éolienne et au photovoltaïque, sont gourmands en métaux. Au point que beaucoup s’inquiètent – ou font mine de s’inquiéter – de savoir si cette gourmandise ne peut pas faire échouer la transition énergétique, ou faire sombrer les pays occidentaux dans une nouvelle dépendance géostratégique vis-à-vis de pays producteurs, de la Chine au Congo, voire en réduire à néant l’intérêt du fait des dépenses énergétiques et problèmes environnementaux associés.
L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) vient de publier sa première analyse approfondie du sujet, dans un rapport de 287 pages, « the role of critical minerals in energy transitions » (le rôle des minéraux critiques dans les transitions énergétiques). Ses conclusions ? Il y a aura bien une demande accrue de minéraux, notamment le lithium, le cobalt, le nickel, le cuivre et les terres rares, mais si on s’y prend à temps elle ne devrait pas handicaper à l’excès la transition énergétique, dont la nécessité n’est pas remise en cause. Et une nouvelle dépendance n’est pas le plus probable.
Ce rapport, il faut pourtant le lire avec beaucoup d’attention si l’on veut éviter les contre-sens. Par exemple, l’AIE montre que selon son scénario de « développement durable », compatible avec une stabilisation du réchauffement global vers 2°C, la demande de lithium en 2040 serait 42 fois sa consommation actuelle, celle de graphite 25 fois, de cobalt 21 fois, de nickel 19 fois, essentiellement du fait des batteries, notamment celles des véhicules électriques. Par comparaison, la demande de terres rares n’augmenterait ‘que’ 7 fois, celle de cuivre de 3 fois, celle de silicium doublerait – essentiellement du fait des renouvelables et réseaux électriques. Et toutes ces augmentations seraient plus fortes encore dans un scénario « zéro émissions nettes en 2050 » (voir graphique ci-dessous).
Mais attention : il s’agit là de la demande des seuls objets de la transition énergétique – or ces minéraux sont utilisés à mille autres choses, pour le numérique, les armements, et même les combustibles fossiles : les centrales à charbon efficaces utilisent beaucoup de nickel, le raffinage et les pots catalytiques des automobiles du platine ou du palladium par exemple. Si la transition énergétique représentera jusqu’à 90% de la demande de lithium en 2040, 60-70% du nickel et du cobalt, 60% du nickel, on descend au-dessous de 50% pour tous les autres, avec 40% pour le cuivre et les terres rares. La multiplication par six de la demande de minéraux critiques de la transition (graphe ci-dessus) ne serait qu’un doublement de la demande totale, tous secteurs et minéraux critiques confondus, selon Carbon Tracker.
Pour autant, l’AIE affirme qu’il n’y a pas de rareté globale de ressources. Les écarts géographiques de production ne reflètent pas nécessairement des écarts similaires dans les ressources. La croute terrestre contient largement assez de ces « minéraux critiques » pour assurer le succès de la transition énergétique. Certes, certains des sites les plus riches ont d’ores et déjà exploités, et par exemple la teneur en cuivre des roches utilisées au Chili a baissé de 30%, ce qui accroît naturellement le coût de l’extraction, l’énergie nécessaire, le prélèvement d’eau ou les rejets de traitement.
Pas de quoi pourtant faire un bilan négatif de la transition énergétique : l’AIE montre ainsi que les émissions de CO2 d’une voiture électrique à batterie alimentée par le mix électrique mondial moyen sont inférieures de plus de 50% à celles d’une voiture à moteur thermique, et de plus de 75% en prenant une électricité moins carbonée. Un cinglant démenti aux élucubrations de ceux qui, à l’instar du journaliste Guillaume Pitron, affirment l’impossibilité de la transition.
S’il est vrai que l’industrie minière a plutôt mauvaise presse, ce serait une erreur de penser qu’aucune amélioration n’est possible. Déjà en 2019 près de 88 sites miniers dans 26 pays disposaient de près de 2000 mégawatts d’énergie solaire pour leur fonctionnement. Dans une mine de fer en Suède, l’exploitant Boliden a récemment installé des caténaires pour électrifier ses énormes camions transporteurs de roches. Les fabricants d’explosifs miniers chiliens et australiens, Enaex et Dyno Nobel, ont été les premiers à s’intéresser à la production d’hydrogène avec de l’électricité renouvevable. Et des procédés nouveaux sont en développement pour économiser l’eau et réduire les déchets miniers.
Une dépendance de nature très différente
Par ailleurs, la production est concentrée en un petit nombre de pays, pour l’extraction (cobalt en RDC, terres rares en Chine, lithium en Australie), et plus encore pour le traitement, la Chine traitant des pourcentages considérables non seulement des terres rares (>80%), mais aussi du lithium et du cobalt (~60%), voire du cuivre et du nickel (~40%). Cependant, la répartition des ressources, quoiqu’assez inégale, l’est toutefois moins que celle de la production ou du traitement. Surtout, l’éventuelle « dépendance » stratégique n’est absolument pas la même s’il s’agit de construire des capacités de production, ou de les alimenter jour après jour : une pénurie ou un pic de prix du lithium affecte la fabrication des voitures électriques, une hausse du prix du pétrole impacte immédiatement la vie quotidienne des citoyens, et la vie économique. L’AIE le sait bien, qui doit son existence au choc pétrolier de 1974, et à la mise en place par les pays de l’OCDE des réserves stratégiques de pétrole ou produits pétroliers.
A plus long terme, le recyclage prendra la suite. S’il est aussi peu développé aujourd’hui, c’est qu’au regard de besoins croissant rapidement, les sources sont nécessairement insuffisantes, comme on le voit avec les batteries au lithium : il y en a si peu à recycler aujourd’hui qu’il est difficile de mettre en place une filière économique. D’autant que le minerai neuf reste bon marché… preuve de sa relative abondance. D’un côté comme de l’autre les choses changeront peu à peu, et le recyclage prendra une place majoritaire dans la fourniture des métaux – après la phase de croissance initiale de la transition énergétique.
Avu final, ce rapport est une… mine. Mais certaines expressions un peu ambigües seront – sont déjà – utilisées par les adversaires de la transition énergétique. Les ressources minières utilisées pour les énergies renouvelables, les réseaux électriques, les véhicules électriques, sont très différentes de celles, tout aussi minières, du pétrole, du charbon et du gaz. Quand les fossiles sont brûlés, on ne peut pas revenir en arrière et restaurer leur potentiel énergétique, on peut, au mieux, capturer le CO2 pour éviter son émission à l’atmosphère. Les centrales thermiques fossiles utilisent moins de minéraux que les renouvelables pour leur construction, mais beaucoup plus au regard de l’énergie produite, ce qui ne ressort pas toujours avec assez d’évidence des graphes de l’AIE.