De la cohabitation entre nucléaire et renouvelables

Dans le scénario NO2 de RTE, le nucléaire fournit au plus 50% de l’électricité en 2050, avec 14 EPR 2, une vingtaine de petits réacteurs modulaires, et des centrales existantes prolongées au-delà de 60 ans d’activité. On le sait, c’est le scénario privilégié par l’exécutif depuis le discours de Belfort du Président de la République le 10 février 2022.

Une partie des forces politiques voudrait aller plus loin, mais déjà le réalisme de ce scénario est sujet à caution (mais ce n’est pas mon sujet aujourd’hui).. Dans les autres scénario, N2 ou N1, et a fortiori les scénarios sans nucléaire neuf, la part du nucléaire en 2050 est nettement inférieure à 50%.

Mais comment exactement le nucléaire et les renouvelables, dont une grosse majorité sera du type « variable », le solaire et l’éolien, pourront-il cohabiter? Est-ce qu’un nucléaire « modulé » n’est pas nécessairement beaucoup plus coûteux qu’un nucléaire fonctionnant en base? La réponse est sans doute qu’il sera plus coûteux, en effet, mais pas forcément tant que ça, et pas forcément plus coûteux que d’autres solutions de « back-up » décarboné.

Voyez comment Etienne Dutheil, Directeur de la production nucléaire à EDF, présentait la question récemment, lors de son audition le 6 février dernier par la commission sénatoriale d’enquête sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050.

Au passage, c’est aussi une réponse à tous ceux qui prétendent que les renouvelables « ne font que » prendre la place du nucléaire et ne servent donc à rien, dont nous avons déjà parlé ici.

 

8 réflexions sur « De la cohabitation entre nucléaire et renouvelables »

  1. Evariste

    – A2 – Deux choses à retenir pour ceux (nombreux) qui dissertent sur le nucléaire sans connaître ce domaine :

    – un réacteur à l’arrêt ne consomme pas d’uranium et s’il ne fonctionne qu’à moitié de sa capacité nominale, il consomme deux fois mois d’uranium qu’à pleine puissance.

    – la modulation de la puissance nucléaire, plus liée d’ailleurs à la variation de la consommation qu’à celle de l’éolien ou du solaire (de l’hydraulique aussi) permet de mieux valoriser cette énergie lorsque les prix sont les plus élevés sur le marché de l’électricité.

    La modulation pourrait influer légèrement sur le coût de production du mégawatt-heure (MWh) si la production annuelle était réduite, ce qui n’est pas le cas. Cette production est surtout réduite par l’indisponibilité des réacteurs : mises à niveau, arrêts de plus longue durée, arrêts imprévus.

    En dehors de ces cas, les données issues de RTE montrent que seules les baisses à l’exportation entraînent une baisse de la production nucléaire.

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  2. Evariste

    – B2 – Dans le scénario N03 (et pas N02) de RTE, celui-ci fournit 51% de la production totale : 338 TWh (149 + 189) sur 664 TWh. C’est 27% (182/678 TWh) pour le scénario N1 et 38% (252 / 670 TWh pour N2.

    Le scénario N03 suppose de disposer en 2050 :
    – de 24 GW de nucléaire ancien, soit treize réacteurs âgés de 57 à 64 ans et quatre âgés de 50 à 54 ans (si l’on considère les plus récents), en plus de l’EPR
    – 22 GW de nucléaire nouveau EPR2 et éventuels SMR.

    D’après le rapport Charpin-Dessus-Pellat de juillet 2000, les rapports de sureté des réacteurs de 900/1.300 MW considéraient une durée maximale d’irradiation de la cuve de 40 ans à 80 % de la puissance nominale.

    Le facteur de charge moyen de chaque réacteur ayant été de 66 à 77% (depuis son début de production) et à condition de diminuer le flux neutronique reçu par la cuve (pour une même fluence maximale sur la paroi), les réacteurs pourraient aller jusqu’à 50 ans. Aucune garantie de sûreté au-delà.

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    1. Cédric Philibert Auteur de l’article

      Merci pour ce commentaire. En réalité, je ne sais pas si un réacteur avec un facteur de charge moyen plus faible peut être utilisé plus longtemps. Les variations thermiques, mécaniques et surtout neutroniques (il y a un important flux de neutrons pendant chaque montée en puissance) sont peut-être plus dommageables qu’un fonctionnement continu. Après, je ne dirais pas qu’au-delà de 40 ans il n’y a « aucune garantie de sûreté », ou plus exactement je fais plutôt confiance à l’ASN et l’IPSN pour nous dire au fur et à mesure ce qu’il en est.

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  3. Evariste

    – C2 – Pour les EPR2, le premier serait mis en service en 2039/40 et le sixième en 2048/49, dans le cas d’une « relative maîtrise industrielle » :
    https://www.contexte.com/article/energie/info-contexte-nucleaire-pas-encore-lances-les-futurs-epr-deja-en-retard-et-plus-chers_140631.html (lent à charger à cause du pdf)

    C’est écrit dans la version d’octobre 2021 du document de travail de « Travaux relatifs au nouveau nucléaire – PPE 2019-2028 », pas dans la version officielle édulcorée de février 2022.

    On peut lire dans « Futurs énergétiques 2050 » de RTE (février 2022), page 150/992, que les mises en service [des six EPR2] seraient prévues entre 2035 et 2045 selon la proposition d’EDF remise à l’État en 2021.

    Et page 162/992 : « … les acteurs de la filière nucléaire ont indiqué … qu’un délai de 4 à 5 ans était nécessaire entre les mises en service des trois premières paires … » et « Ce délai est jugé difficilement compressible par la filière … ».

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  4. Evariste

    – D2 – Un scénario de production d’électricité entièrement renouvelable est possible, mais pas selon le scénario M0 de RTE.

    Celui-ci oublie en particulier (volontairement ? ) le gaz renouvelable qui sera disponible sur le réseau pour remplacer en totalité le gaz naturel :
    https://act4gaz.grdf.fr/system/files/document_download/file/2022-07/GRDF_PerspectivesGaz2022_Web-PaP.pdf

    Avec les donnée de RTE pour le scénario M0 de RTE, en appliquant la météorologie des années 2012 à 2023, on dispose d’un excédent de production sur la consommation variant selon les années de 19 à 114 TWh.

    Dans ce cas le plus favorable à première vue, en 2020, on a en réalité un excédent de 233 TWh et un déficit de 119 TWh, à des moments différents.

    Avec 102,4 GWh de batteries (en plus des STEP) au rendement (« round trip ») système irréaliste de 90%, le déficit non pourvu par la décharge des batteries est de 96 TWh. Malgré l’excédent de 233 TWh, la quantité d’hydrogène produite avec 21 GW d’électrolyseur est très insuffisante pour produire ces 96 TWh manquants, ni même pour reconstituer l’important stock d’hydrogène nécessaire en début d’année.

    La situation est encore moins tenable lorsque l’excédent de production est plus réduit.

    La seule solution possible est d’augmenter les capacités et productions renouvelables, d’augmenter la capacité des batteries et de recourir au biométhane renouvelable qui sera injecté dans le réseau. Variable selon les années, cette consommation restera raisonnable.

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    1. Cédric Philibert Auteur de l’article

      Merci pour ce commentaire. RTE évalue le déficit à couvrir par des moyens thermiques à 17 TWh, sur la base de 200 années météorologiques, je ne sais pas quelles données vous avez pour contester ce chiffre. Je n’ai pas de problème à utiliser du biométhane plutôt que de l’hydrogène vert ou un produit dérivée pour fournir ces 17 TWh électriques indispensables pour passer les « Dunkelflaute », en revanche je doute fort qu’on dispose jamais d’assez de gaz renouvelable pour « remplacer en totalité » le gaz naturel, si par là vous entendez au niveau de consommation d’aujourd’hui.

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  5. Evariste

    – E2 – L’erreur commune concernant le stockage sur batterie est de ne pas prendre en considération l’ensemble du système, depuis le prélèvement sur le réseau jusqu’à l’injection en retour sur le réseau.

    En dehors de la perte au niveau de la batterie elle-même (résistance interne : tension plus faible en décharge qu’en charge), il y a :
    – les pertes de conversion du chargeur AC/DC d’autant plus importantes que la puissance utilisée est faible en regard de la tension nominale,
    – les pertes de conversion DC/AC de l’onduleur, variables de la même façon,
    – les pertes des autres composants d’électronique de puissance,
    – les pertes au niveau du transformateur interfacé au réseau (dans les deux sens),
    – des consommations du système de chauffage/climatisation des containers où se trouve le système de stockage.

    De même, le rendement de l’électrolyse ne doit pas être considéré au niveau du « stack » seul, mais au niveau du système entier : consommation électrique de l’usine entière et pouvoir calorifique PCI de l’hydrogène obtenu en sortie. PCI car la chaleur est généralement perdue, et il faut aussi refroidir le système.

    https://h2vnormandy-concertation.net/wp-content/uploads/2019/09/H2V-Dossier-concertation-Normandie_HD.pdf : cf. page 22.

    Le contenu énergétique (933 GWh) des 28.000 tonnes d’hydrogène produites par an nécessite une consommation de 1.500 GWh. Soit un rendement système de 62%, sans la compression pour le transport et sans le stockage en cavité saline.

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