Les énergies marines, on en parle beaucoup, mais on n’en voit guère. Même dans les visions de long terme à fortes doses de renouvelables, elle jouent au mieux un rôle d’appoint. Les choses pourraient toutefois changer, après la publication par la revue Hydropower and Dams de l’article de François Lempérière, New solution could double world tidal energy potential at half the cost (H_D 2014_Issue 1 01.2014).
François Lempérière est un spécialiste de l’hydroélectricité de renommée mondiale. Il a construit une vingtaine de barrages sur le Rhône, le Rhin, le Nil, le Zambèse, présidé la commission économique de l’International Commission on Large Dams (Icold), et inventé divers concepts pour sécuriser les barrages. Actif retraité, il a co-fondé l’association Hydrocoop, qui conseille gratuitement ministres de l’énergie et constructeurs de barrages. Bref, ce jeune ingénieur d’une petite quatre-vingtaine d’années a développé une authentique vision de long terme en matière d’énergies renouvelables – et continue de bouillonner d’idées. La dernière – objet de son papier – n’est pas la moindre.
Pourquoi l’énergie des marées est-elle 3600 fois moins importante que celle des fleuves dans le bilan électrique mondial, alors que son potentiel est si grand, s’interroge-t-il? Parce qu’on a toujours pensé les usines marémotrices avec une technologie dérivée de celle des barrages hydroélectriques. Du coup, on s’est concentré sur les rares zones avec un marnage très important – comme l’estuaire de la Rance, dont le Général inaugura l’usine marémotrice le 26 novembre 1966 – soit une toute petite partie du potentiel total. Et de toutes façons, l’idée de barrer un estuaire n’est plus recevable de nos jours.
Pourquoi les éoliennes se déploient-elles dans le monde, mais pas les hydroliennes, demande-t-il encore? Parce qu’il y a peu d’endroits dans le monde avec des courants assez rapides et assez constants pour que l’installation (coûteuse) d’une hydrolienne (pas plus chère qu’une éolienne) soit rentable.
Que faire alors? Des semi-barrages, adossés à la côte pour minimiser les impacts environnementaux, dotés de nombreuses passes dans lesquelles on installera des rangées d’hydroliennes. Ces « jardins d’hydroliennes », que Lempérière nomme en anglais « Tidal Gardens », permettraient alors aux machines d’opérer dans un courant de vitesse à peu près constant huit heures sur douze, tout en conservant à la côte le régime et les niveaux naturels des marées. Pour un coût au kWh voisin de celui des sites exceptionnels, montre-t-il, on pourrait équiper de très nombreux sites d’un marnage naturel faible. Et produire à terme jusqu’à 15% de l’électricité mondiale. A peu près ce qu’on peut attendre de l’hydroélectricité, de l’éolien, à peine moins que le solaire, beaucoup plus que le potentiel des autres énergies renouvelables. On avait trois piliers pour un monde de renouvelables, on en aurait quatre. Tant mieux: une chaise est plus stable qu’un tabouret.
Bien sûr, on aurait là une énergie variable, quoiqu’entièrement prévisible, qu’il pourrait être intéressant de transférer en partie vers les heures de forte consommation, en doublant le bassin par un autre, de façon à créer en pleine mer une station de transfert d’énergie par pompage. Une autre idée est d’utiliser les digues (et les connexions) pour installer aussi des éoliennes: de l’offshore pour la qualité des vents, au prix de l’éolien terrestre, ou presque.
Je passe sur les détails, que vous trouverez dans cette version française de son article Les Hydroliennes (Les hydroliennes 12 2013 (2)). Mais il me faut ajouter un mot sur le rôle possible des jardins d’hydroliennes dans l’adaptation aux dérèglements climatiques (en même temps que d’atténuation par production électrique sans émissions de gaz à effet de serre). En effet on pourrait gérer ce type d’installation de façon à maintenir dans un bassin près des côtes un niveau légèrement inférieur à celui de la mer, et donc annuler ou atténuer la montée du niveau des eaux. Pour des populations littorales très nombreuses, cela peut représenter un atout majeur, finançable par la production d’électricité, mais aussi les fonds internationaux, au double titre de l’atténuation des changements climatiques, et de l’adaptation audits changements.