Et donc, comme vous avez pu le lire ci-dessous (en anglais), l’AIE a publié des mises à jours de ses feuilles de route technologiques sur le photovoltaïque et le solaire thermodynamique. Comme l’a souligné la Directrice exécutive de l’Agence, ensemble ces deux familles technologiques pourraient permettre au solaire de devenir, en 2050 voire un peu plus tôt, la première source d’électricité dans le monde. Emportés par leur enthousiasme, certains bloggeurs ou médias spécialisés en ont conclu – tout à fait incorrectement – que le solaire pourrait alors produire la majorité des kilowattheures…
D’autres lecteurs, plus attentifs, regrettent peut-être que ce ne soit pas le cas. Par exemple, Olivier Daniélo, journaliste et blogueur, m’écrit ceci :
« Je suis surpris par la limite de 16% retenue pour le PV. A partir du moment où l’on stocke le PV à l’aide de batteries, qui seront probablement remplacées par des super-condensateurs biodégradables dans le futur, approche de Tesla-SolarCity, alors la gestion intraday est assurée. Cela rend les autres solutions de gestion intraday (comme le stockage thermique du CSP) inutiles.
1 milliard de batteries de 60 kWh pour voitures électriques (Tesla propose des véhicules avec 85 kWh, et bientôt davantage) c’est 24 heures d’autonomie électrique mondiale, et 1 milliard de véhicules connectés à des prises de 7 kW, c’est 7 TW, soit 5 fois la puissance appelée moyenne mondiale. Les voitures sont stationnées en moyenne plus de 23H sur 24. Le double usage des batteries (transport + gestion du réseau électrique) est très intéressant. Aux latitudes moyennes on peut alors atteindre environ 60% de PV dans le mix (100% l’été, 20% l’hiver, on peut aussi d’ailleurs choisir de produire en excès l’été pour booster la production hivernale et ainsi dépasser 60%), et en région intertropicale la limite est de 100%, c’est à dire qu’il n’y en a pas.
(…) Le CSP = production centralisée (ce qui plait aux gros énergéticiens qui veulent maintenir ce système de vaches à lait), et implique de grosses lignes HVDC. »
Je saute sur l’occasion d’apporter quelques précisions. D’abord, 16% de l’électricité mondiale ne représente pas vraiment « une limite » au déploiement du photovoltaïque. C’est le résultat d’un scénario, basé sur de nombreuses hypothèses, qui permet d’étudier la division par deux des émissions de CO2 liées à l’énergie en 2050. Ce n’est pas – c’est écrit en toutes lettres – une limite ferme dans un monde qui luttera pour réduire encore plus les émissions de gaz à effet de serre. Et l’on cite un ouvrage antérieur que je connais un peu, dans lequel on divise par dix, après 2060, les émissions de CO2 de l’énergie, avec 2,6 fois plus de PV.
Bien avant cela, un déploiement PV supérieur à celui de la feuille de route 2014 n’est pas exclu non plus, si les coûts du stockage d’électricité décentralisé chutent fortement. Cette hypothèse, si elle n’est pas exclue, n’est pourtant pas centrale. D’abord parce que la courbe d’apprentissage des batteries ne semble pas fermement établie. Ensuite, parce que le déploiement de stockages décentralisés en grands volumes, même s’il devait reposer sur une parité entre « PV+batteries » et « part variable des prix de détail de l’électricité » ne représente pas nécessairement un optimum collectif.
Nous avons peut-être ici un désaccord de fond sur les réseaux. Les réseaux permettent d’abord de moyenner les consommations – ce que le jargon des électriciens nomme « foisonnement » La totalité des puissances souscrites aux distributeurs est sans doute quatre à cinq fois la capacité de production maximale sur les réseaux…
Les réseaux mutualisent également les ressources, réduisant les effets de la variabilité par la diversité technologique et géographique. Ainsi, ce qui « limite » l’essor du PV en Europe dans notre modèle, c’est la disponibilité plus grande de l’éolien en hiver, quand la demande est la plus forte. Ce qui limite l’essor du PV en Amérique latine, c’est la disponibilité en hydroélectricité. Et, de fait, dans les zones les plus ensoleillées, c’est la disponibilité du solaire thermodynamique – je vais y revenir.
Cette mutualisation vaut également pour les stockages. Les Step hydroélectriques ne sont pas sans défaut : il y a des pertes au transport aller, des pertes au pompage et au turbinage, des pertes au transport retour, plus importantes que dans un stockage lithium-ion. Mais les capacités servent tour à tour à tout le monde, et stockent tous les excédents, et ça c’est beaucoup plus efficace.
Revenons au solaire thermodynamique. Le photovoltaïque, plus cher il y a quelques années, est aujourd’hui 30% moins cher. Le thermodynamique n’est qu’au début de sa courbe d’apprentissage, et peut donc progresser considérablement, notamment, j’y reviendrai dans un prochain blog, par véritable fusion avec le PV à concentration. Tout porte cependant à croire que le PV restera durablement moins cher, dès lors que son coût va peu à peu se réduire à celui de surfaces de captage presque banalisées, pas forcément (beaucoup) plus chères que les surfaces réfléchissantes du thermodynamique – qui, lui, doit en plus s’équiper d’une receveur, d’un fluide de transfert, d’une turbine et d’un alternateur, sans oublier le reste, refroidissement et condensation. A côté, l’onduleur du système PV se fait oublier.
Mais si l’on compare le coût du « PV + batteries » et celui du thermodynamique, les choses sont moins tranchées. Le stockage thermique des centrales « CSP » est très efficace et relativement peu coûteux, surtout dans les tours du fait d’un différentiel de température important. Il représente alors quelques pour-cent de l’investissement total. S’il est utilisé pour augmenter le facteur de capacité de la turbine et de l’alternateur, il réduit le coût du kWh thermodynamique. A l’inverse, rendre l’électricité PV disponible à la demande augmente son coût, inéluctablement. Laquelle des énergies « fermes » sera moins coûteuse à terme reste indécidable aujourd’hui.
Il n’est pas sûr que les véhicules électriques changent la donne autant qu’Olivier Daniélo ne l’imagine. Gérer intelligemment leur recharge permettrait d’absorber plus facilement une partie d’une production PV importante, alors qu’une gestion irréfléchie pourrait au contraire aggraver les difficultés liées aux pointes de consommation ; le G2V, « grid to vehicle », peut devenir un atout. Le V2G, ou « vehicle to grid », est un concept moins évident. En caricaturant : quand la voiture électrique n’est plus au domicile, celui-ci n’est plus alimenté en électricité ? Et si j’accepte aujourd’hui de payer (encore assez cher) des batteries, c’est pour économiser un combustible fortement taxé, le carburant automobile, et garantir mon autonomie. Tirer sur la batterie du véhicule pour alimenter la maison, de manière régulière, réduisant la durée de vie de la batterie, n’est pas gratuit.
In fine, si le prix des batteries s’effondre autant que certains le prédisent, leur rôle deviendra plus important, et celui du stockage thermique moins important, qu’envisagé dans nos deux feuilles de route sur l’électricité solaire. Peut-être plus, d’ailleurs, à l’échelle de stockages mi-décentralisés, celui de réseaux de quelques centaines ou milliers de points de consommation, qu’à l’échelle strictement individuelle. L’autonomie absolue suppose de grandes capacités de stockage rarement utilisées jusqu’au bout, donc inutilement coûteuses. Les mini-grids réalisent déjà une partie des bénéfices de la mise en réseau… et mettre ces mini-grids eux-mêmes en réseau permet d’aller plus loin. Il ne s’agit pas de passer d’un extrême à l’autre, de « tous consommateurs » à « tous autoproducteurs indépendants », mais bien de trouver le meilleur compromis entre ces deux imaginaires. Et la polyvalence, la diversité et la mutualisation des ressources resteront gage d’efficacité et de sécurité énergétique.