Le train à hydrogène n’est pas un must

Si l’essentiel du trafic ferroviaire en France est électrifié, environ 20% serait encore « thermique », avec des locomotives ou des trains automoteurs roulant au gazole, selon l’évaluation du député Benoît Simian de fin 2018. Un quart des matériels roulants ont des moteurs diesel, notamment près de mille trains TER bimode ou seulement diesel, et la moitié des lignes ne sont pas électrifiées. La pollution est importante, oxydes d’azote, monoxyde de carbone, particules fines, et bien sûr dioxyde de carbone, donc des effets locaux, régionaux et globaux. Impossible de s’en tenir là, et d’imaginer que ces matériels seront renouvelés à l’identique.

Pour Benoît Simian, pour le Conseil de l’hydrogène, et pour beaucoup d’autres, l’hydrogène est la solution évidente. Deux trains Coradia Ilint d’Alstom circulent depuis septembre 2018 en Allemagne, d’autres sont en construction. Le matériel existe donc.

Et pourtant… Pourtant, des alternatives autant sinon plus écologiques existent, et pourraient s’avérer moins coûteuses. Notamment l’électrification « frugale », et l’ammoniac.

L’électrification, d’abord. Trop coûteuse pour des lignes secondaires, nous dit-on. Le Conseil de l’Hydrogène estime ainsi que le train à hydrogène et pile à combustible est d’ores et déjà, en 2020, plus de deux fois moins coûteux qu’un train sur une ligne à électrifier. Mais le Conseil va encore plus loin : le train à hydrogène coûterait aujourd’hui 28,6% moins cher qu’un train électrique même si la voie est déjà électrifiée ! Et dès 2030, deux fois moins coûteux. J’exagère ? Moi non, hélas, mais le Conseil de l’Hydrogène, (assez mal) conseillé en l’occurrence par McKinsey, sans doute. Voyez le graphe publié par le Conseil en janvier 2020, et les hypothèses associées publiées (on les aimerait toutes !). Il s’agit bien de « TCO », c’est-à-dire coût total de possession, lequel comprend les coûts en capital et les dépenses d’exploitation. Est-il besoin de souligner à quel point cette analyse manque totalement de crédibilité, la pile à combustible et l’hydrogène coûtant plus cher que le pantographe et l’électricité ?

Mais bon : on peut imaginer qu’il existe, quelque part, des études sérieuses montrant la supériorité économique du train à hydrogène sur l’électrification de lignes secondaires avec un trafic faible. Si vous en connaissez, merci de me les signaler.

Sauf que… il y a aujourd’hui plusieurs façons d’électrifier des lignes de chemin de fer. La manière traditionnelle suppose de tout électrifier en continu, et donc de modifier de nombreux ouvrages d’art dont le gabarit actuel ne permet pas le passage de la caténaire : ponts-routes, passerelles, tunnels. La manière moderne, dite « frugale », consiste à doter les trains de « petites » batteries, afin de ne pas électrifier les ouvrages d’art, ou les gares, etc. et de n’électrifier que là où c’est facile et pas cher.

Dans certains, cette électrification à la papa reste justifiée par le trafic, comme le montre, par exemple, l’électrification en cours de la ligne Paris-Troyes (ou plus exactement Gretz-Armainvilliers – Troyes). Deux millions de voyageurs par an, notamment entre Paris et Provins, quelques milliers de trains de marchandises…

Cette ligne de 160 km comprend 68 ouvrages, dont 23 devront être rehaussés ou démolis, et le plus souvent remplacés. Sur l’estimation initiale de 270 M€ (aujourd’hui portée à 320 M€) les ouvrages d’art (dont un seul tunnel) ne représentaient « que » 40 M€. Tout autre est le cas de la ligne Aix-Marseille, 36 km mais 10 tunnels et une vingtaine de ponts : dans ce cas l’économie permise par l’électrification frugale que pousse la région PACA serait considérable

Benoît Simian donne en exemple l’électrification de la ligne Rennes Saint- Malo, longue de 78,5 km : les coûts se sont répartis en 46,9% de travaux d’adaptation des ouvrages d’art, des installations de signalisation et de télécommunication, 10% de renouvellement de voie, et 34,5% de travaux d’électrification proprement dits – un tiers.

Et l’hydrogène, alors, jamais rentable ? Je ne sais pas, peut-être dans certains cas. Mais rappelons qu’il faut aujourd’hui trois fois plus d’électricité via l’hydrogène qu’en direct (ou via des batteries – sauf à se moquer de l’empreinte carbone de la production de l’hydrogène à partir du gaz naturel, et en attendant la pyrolyse du méthane ou la capture du CO2 dans la production d’hydrogène.

Par ailleurs, la traction autonome convient vraiment aux lignes à faible densité de trafic. Mais est-ce que cela convient vraiment à l’hydrogène ? Va-t-on si aisément rentabiliser une station de recharge à hydrogène qui va soutenir un faible trafic ? J’en doute. L’hydrogène gazeux serait sans doute trop encombrant et nécessiterait de très nombreuses bonbonnes, l’hydrogène liquide me laisse froid, très froid, à – 253°C, donc le liquéfier, l’acheminer en petites quantités, le stocker quelques jours (malgré le boil-off) et charger les trains, cela coûtera assez cher pour un usage modéré.

Autrement dit, pour le faible trafic, la solution zéro carbone de choix est naturellement l’ammoniac, pas le dihydrogène. Stocké à -33°C, puis à bord des trains avec une pression modérée de 1 MPa (10 bars), utilisé dans un moteur diesel à l’injection modifiée, avec une petite part d’hydrogène extrait sur place pour améliorer la combustion… Certes plus volumineux que le gazole, mais tellement plus simple et réaliste !

3 réflexions sur « Le train à hydrogène n’est pas un must »

  1. Evariste

    Heureusement qu’il existait encore, tout récemment, des locomotives diesel pour dépanner les TGV bloqués entre Hendaye et Paris, à cause de problèmes de caténaires mal entretenus.
    Les problèmes d’entretien du réseau ferré concernent d’ailleurs beaucoup plus les lignes secondaires, depuis des décennies, mais on en parle moins.

    Pour revenir au sujet, l’électrification frugale est une très bonne solution, conduisant à un coût global d’exploitation bien inférieur à celui de l’hydrogène.

    Une donnée fondamentale est que le rendement de la production d’hydrogène par électrolyse ne dépasse pas 62% (sans la compression) comme c’est le cas pour les très gros projets en cours de 20 MW (ceux à venir de 100 MW ne sont qu’une juxtaposition 5×20). Ainsi, consommation de 1500 GWh pour produire 28.000 tonnes d’hydrogène dont le contenu énergétique utilisable en pratique est de 933 GWh (contenu PCI), avec une consommation d’eau de 1,9 million de m3 (67,8 litres par kg H2, l’essentiel pour le refroidissement).
    http://h2v59-concertation.net/wp-content/uploads/2019/09/H2V-Dossier-concertation-Dunkerque_HD.pdf

    Dans les stations hydrogènes qui fleurissent avec fortes subventions (parfois subventionné à 76% ou 87%) le rendement complet réel est plus ou moins de 50%.

    Le rendement réel, qui prend tout en compte, ne doit pas être confondu avec celui souvent cité au niveau de l’électrolyseur (stack) après conversion en courant continu, sans les accessoires, et en contenu PCS qui ne correspond pas à la réalité, ni de production, ni d’utilisation. Non seulement la chaleur n’est pas récupérée, mais de l’énergie et de l’eau sont nécessaires pour le refroidissement.

    Le rendement (optimal) des piles à combustible étant de 50% lui aussi, le rendement global d’une solution hydrogène est ainsi de l’ordre de 30% dans le meilleur des cas, qu’il s’agisse de véhicules routiers ou de trains (25% avec les stations H2 locales).

    Alstom produit aussi des trains électriques, dont un sera utilisé sur une ligne de 80 km entre Leipzig et Chemnitz en Allemagne. « The Coradia Continental BEMU has a range of up to 120 kilometres and can be operated under catenary as well as on non-electrified sections … a top speed of 160 km/h in battery mode. » Comme un tel train dispose déjà de tout ce qu’il faut pour capter l’électricité du caténaire et charger les batteries, il suffit de pourvoir en caténaire certaines portions de voies pour étendre son autonomie.

    Siemens et Bombardier ont aussi reçu des commandes équivalentes à ce jour.

    Dans les trains à hydrogène, la chaleur produite par les piles à combustible est aussi perdue, nécessitant un refroidissement. Sauf mention contraire qu’il a été impossible de trouver, le chauffage, la ventilation et la climatisation (HVAC system) sont assumés comme sur les rames électriques ou diesel. D’ailleurs, si la chaleur était récupérée, les promoteur de l’hydrogène ne manqueraient pas de le mettre en exergue.

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  2. Evariste

    Pour en revenir aux trains, une société suisse de matériel ferroviaire produit aussi un train interrégional dont l’autonomie est de 185 km.

    https://www.stadlerrail.com/en/media/article/185-kilometre-range-stadler-successfully-concludes/919/

    A supposer que l’autonomie de 185 km soit dans des conditions optimales, celle-ci doit bien être de 120 ou 150 km dans les pires conditions hivernales.

    Est-il exact que les plus grandes distances sans caténaires en Allemagne soient de 80 km ?

    Les camions électriques à batterie arrivent aussi sur le marché, avec une autonomie de 200 à 300 km, et les infrastructures de recharge rapide pourraient se mettre en place plus vite que prévu initialement. Sans compter avec l’évolution des technologies de batteries, pas seulement lithium-ion.

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