Voilà longtemps, très longtemps que j’avais envie de tordre le cou à ce canard boiteux – même si l’expérience démontre jour après jour que même un canard sans tête continue de courir. Non, je ne parle pas aujourd’hui de la fameuse « Duck curve » qui illustre les problèmes liés à l’introduction de beaucoup d’électricité solaire en Californie (j’en aurai sûrement l’occasion un jour) mais plutôt de l’EROI – energy return on investment, ou retour énergétique sur l’investissement. Le concept lui-même n’est pas idiot, bien sûr: il s’agit de mettre en rapport l’énergie produite par une technologique quelconque, avec l’énergie dépensée pour la produire. C’est l’usage qu’on en fait, et les conclusions erronées que certains en tirent à propos des renouvelables en général, et du photovoltaïque en particulier, qui posent problème. Enfin, qui posaient, jusqu’à parution de ce papier.
Les controverses ne vont sans doute pas tarir du jour au lendemain, sur les véritables EROI du photovoltaïque. La façon directe d’exprimer l’EROI consiste à diviser l’énergie produite au cours de la vie du produit, par l’énergie investie dans sa fabrication. Si ce produit est supérieur à un, c’est une source d’énergie (et potentiellement un puits de gaz à effet de serre, s’il se substitue à l’usage de combustibles fossiles); si ce produit est inférieur à un, c’est un puits d’énergie (et une source de gaz à effet de serre si des combustibles fossiles interviennent dans sa fabrication). L’énergie nette produite (dans le premier cas, qui est quand même celui qu’on recherche), est égale à la différence entre l’énergie brute produite et l’énergie investie.
On discute aussi souvent de l’EROI par le truchement du « pay back time », le temps de retour sur investissement. Un concept un peu fruste, parce que si le temps de retour est de trois ans, par exemple, un module qui produit de l’énergie pendant trente ans ne sera pas mieux noté qu’un module qui produit de l’énergie pendant seulement dix ans… voire trois (ce qui fait du « temps de retour » le plus mauvais des indicateurs en analyse économique comme en analyse énergétique). En sus du rendement ou temps de retour en énergie, on s’intéresse également à l’effet sur les émissions, en regardant en priorité les émissions liées à la fabrication des modules. Les études récentes, note la feuille de route technologique de l’AIE sur le solaire PV, édition 2014, que je connais un peu, montrent un temps de retour pour les systèmes PV commerciaux de 0,7 à 2.5 ans, selon la technologie et le mix électrique dans le pays de fabrication, avec une empreinte carbone de 20 à 81 g CO2-eq par kWh, soit un ordre de grandeur au-dessous de la génération d’électricité avec des combustibles fossiles. Une étude souvent citée depuis sa publication en 2012 par Energy Policy, celle de Marco Raugei, Pere Fullana-i-Palmer et Vasilis Fthenakis, suggère un EROI du PV entre 6 et 12. Une méta-analyse récente de plus de deux cents étude donne une valeur de 8,7 à 34,2, et des temps de retour moyens, selon les technologies, de 1 à 4,1 ans.
Certains contestent ces chiffres. Prieto et Hall, dans un livre de 2013 sur la révolution solaire espagnole, affirment que le « véritable » EROI du PV en Espagne ne dépasse pas 2,5″… dans un calcul fait « à partir de données réelles » qui intégrerait une douzaine de postes de consommation énergétique omis par les modèles, disent les auteurs, mais… avec des données de 2008, avoue l’un deux. Or la baisse des coûts a été tellement rapide (une division des prix par six au moins depuis 2008) qu’il est difficile de ne pas voir qu’elle résulte largement d’une forte baisse de la consommation d’énergie à la fabrication, à commencer par la très grande économie réalisée sur 1) la fabrication et 2) les quantités utilisées du matériau dont la fabrication consomme le plus d’énergie: le silicium de qualité photovoltaïque. Une étude de 2016 affirme même que l’EROI du PV pourrait être inférieur à un, prenant la valeur la plus basse obtenue dans un calcul sur le nord de l’Europe…
A un mien ami, pourtant développeur, qui s’inquiétait de tels chiffres, j’ai répondu une fois « je me fiche de l’EROI tant qu’il est supérieur à un, et que l’usage des fossiles nous permet de construire un monde de renouvelables ».
Ce à quoi on pourrait quand même objecter qu’il faut prêter attention à l’ensemble de la filière. Et là, un nouveau problème semble surgir: l’ensemble de l’industrie a bien été, jusqu’à présent, un consommateur net d’énergie! Il ne s’agit plus d’EROI à proprement parler, mais on pourrait définir deux nouveaux concepts: le premier comparerait l’énergie produite à l’instant t – ou, disons, l’année n – par l’ensemble des modules photovoltaïques déployés, avec l’énergie absorbée au même instant ou la même année par la fabrication et l’installation des nouvelles capacités photovoltaïques. On pourrait le nommer « EROI instantané » de l’industrie, ou quelque chose comme ça. Le deuxième concept comparerait l’énergie cumulée absorbée depuis le début par l’industrie photovoltaïque, et l’énergie produite depuis le début – on pourrait l’appeler « EROI cumulé » de l’industrie.
Et donc, si l’industrie PV est un consommateur net d’énergie, c’est tout simplement parce que la croissance du PV a été trop rapide jusqu’à ce jour. On est passé en dix ans de 5 GW à bientôt 300 GW (cumulés), on peut espérer aller vers un niveau d’installations annuelles de 100 GW sur une trajectoire limitant le réchauffement à 2° ou moins. Ainsi, en 2010 par exemple, on a ajouté 16 GW aux 22,5 GW en service fin 2009. Il eût fallu un pay-back time inférieur à deux ans, ce qui n’était sans doute pas encore le cas, pour que ces 22.5 GW (plus une fraction des additions, au fur et à mesure de leur mise en service) aient produit autant d’énergie que la fabrication et l’installation des 16 GW requerraient. Il s’est d’ailleurs trouvé de bons esprits pour suggérer de limiter la croissance du PV afin d’éviter que l’EROI instantané de l’industrie reste négatif…
Evidemment c’était idiot – et c’est d’ailleurs bien pourquoi les scenarios d’atténuation du changement climatique parient au contraire sur une croissance forte… bien qu’inéluctablement, même si le marché continue de croître année après année et les installations nouvelles augmentent mesurées en GW, l’augmentation annuelle en pourcentage des quantités cumulées ne peut que décroître. Si on installe 100 GW en 2025 ce sera peut-être en plus de 850 GW déjà installés… Et donc, par la force des choses, l’EROI de chaque panneau s’améliorant régulièrement, et le marché se déplaçant de l’Europe vers des continents en général mieux ensoleillés, l’EROI instantané de l’industrie devient positif, et l’EROI cumulé le suit d’assez près, les quantités totales posées quand l’EROI était médiocre devenant rapidement négligeables.
Eh bien, voilà exactement ce que fait cette étude d’une équipe néerlandaise tout juste publiée par Nature, que je citai en introduction: ré-évaluer la production énergétique nette et les émissions de gaz à effet de serre évités après 40 ans de développement photovoltaïque. Elle montre, comme le résume Challenges, que « les panneaux auront bientôt payé leur dette énergétique ». Plus précisément, c’est même probablement déjà fait, puisque la dette énergétique devait être repayée en 2017 « dans le pire des cas » (et la dette en termes de gaz à effet de serre en 2018), et en 1997 dans le meilleur des cas (intuitivement, j’écarte les extrêmes, sans doute un effet de l’âge!). Et le bilan n’ira qu’en s’améliorant, la consommation d’énergie décroissant de 13 et 12%, et les émissions associées de gaz à effet de serre de 17 et 24% pour les systèmes PV respectivement poly- et mono- cristallins pour chaque doublement de leurs capacités installées cumulées.
Donc, je confirme: l’EROI, on s’en fiche un peu. Il reste peut-être moins bon pour les renouvelables que pour les fossiles – mais il se détériore pour les fossiles, au fur et à mesure qu’il faut plus consommer plus d’énergie pour aller les extraire (au point qu’on utilise maintenant des renouvelables pour cela), alors qu’il s’améliore pour les renouvelables. Surtout, au début de la transition, forcément, on est dans un monde plein d’énergies fossiles, et pour fabriquer les outils de la transition énergétique, on ne peut pas éviter de les employer. C’est pas pour ça que le combat est perdu d’avance.