Pour des raisons que mes lecteurs n’auront aucun mal à se figurer, j’ai cru utile, en ce jeudi 14 juin 2024, de mettre à leur disposition ces quelques pages extraites d’Eoliennes, pourquoi tant de haine? – livre paru en mars 2003 aux éditions Les Petits Matins/Institut Veblen.
Séance de nuit à l’Assemblée nationale, le 26 juillet 2022. On discute de la loi de finances rectificative de 2022, plus précisément de cet article 13 qui va permettre à l’État d’empocher la rente pour les exploitants d’éoliennes créée par l’envolée des prix de l’électricité sur les marchés. L’écologiste Éva Sas prend la parole : « Les énergies renouvelables doivent rapporter au total 8,6 milliards d’euros au budget de l’État en 2022 et 2023. En effet, les prix de marché sont maintenant supérieurs aux prix garantis par les contrats. »
Jean-Philippe Tanguy, député Rassemblement national de la Somme, trouve son intervention « totalement surréaliste ». Selon lui, « c’est un aveu terrible pour les écologistes » : « Pendant des années, ils nous ont expliqué que, grâce à la marche naturelle du monde, les énergies renouvelables étaient rentables. Il a fallu que les prix sur le marché européen de l’électricité atteignent des montants totalement historiques – qui ne représentent aucune réalité économique – pour que les éoliennes commencent effectivement à rapporter de l’argent, non pas aux Français, mais au fisc et à l’État. »
En définitive, poursuit-il, « ce sont toujours les Français qui paient. Quand le prix européen de l’électricité était inférieur au tarif de rachat obligatoire, c’était payé par des subventions et par la facture des Français, et maintenant qu’il est supérieur, c’est payé directement par la facture des Français et l’argent revient ensuite à l’État. Pile, les Français perdent ; face, les Français perdent, et vous appelez cela de la rentabilité ! ».
Rentabilité est en effet le mot qui convient : parce que l’électricité des éoliennes est beaucoup moins chère que celle des marchés de gros, une rente est dégagée, que l’État n’entend pas laisser aux exploitants. Il est vrai que c’est surtout lui (et EDF, mais c’est la même chose) qui la finance, cette rente, et pas « la facture des Français », l’augmentation du prix de l’électricité pour les particuliers a été plafonnée à 4 % pour 2022. Sans les éoliennes et les panneaux solaires, la France devrait acheter davantage d’électricité au prix fort sur les marchés européens, augmentant encore son déficit commercial ainsi que les revenus des électriciens et gaziers européens… et russes.
Un patriote devrait s’en féliciter! Certes, les machines ne sont pas 100 % françaises : elles sont européennes – et non pas chinoises, contrairement à ce qu’on croit parfois. On achète à la Chine des aimants permanents pour certains modèles d’éoliennes maritimes, mais on vend des éoliennes (ou des parties d’éoliennes), des équipements ou des services à nos voisins et dans le monde entier – même à la Chine et aux États-Unis. L’éolien, c’est vingt-cinq mille emplois en France, près de 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires rien que pour le terrestre, et pas loin de 800 millions d’euros d’équipement et d’ingénierie à l’export. Quant au combustible, c’est le vent qui souffle sur la France : il est donc français, contrairement à celui des centrales à gaz. Cocorico !
L’éolien – mais aussi l’hydroélectricité et le solaire –, c’est largement aussi bien que le nucléaire pour la sécurité énergétique du pays, sa balance commerciale, son indépendance. Pas pour Jean-Philippe Tanguy, qui livre enfin le fond de sa pensée : « Il faut revenir sur terre : les éoliennes terrestres et les panneaux solaires ne seront jamais rentables face au nucléaire, jamais ! »
Nous y voilà. Le vrai tort de l’éolien et du solaire, au fond c’est de n’être pas du nucléaire. L’affirmation de Jean-Philippe Tanguy n’est pas seulement fausse : elle n’a aucun intérêt aujourd’hui et dans les quinze ans qui viennent. Seule compte, dans ce laps de temps trop court pour permettre à un éventuel « nouveau nucléaire » de commencer à produire, la compétitivité de l’éolien et du solaire à l’égard de l’électricité qu’on peut produire avec du gaz, du pétrole ou du charbon. Or déjà en 2019 – avant le covid et la guerre en Ukraine – le photovoltaïque et l’éolien étaient devenus compétitifs par rapport aux énergies fossiles. Produisant 8 % et 3 % de l’électricité française, ils sont encore très loin des niveaux de pénétration au-delà desquels il faudra investir dans les réseaux de façon plus massive, et surtout dans les « flexibilités » nécessaires pour intégrer facilement ces énergies variables – ou « intermittentes » si vous y tenez.
Le paradoxe, c’est que Marine Le Pen, jusqu’au début des années 2010, tenait le nucléaire pour une énergie « extrêmement dangereuse », comme elle le déclarait à France Inter le 14 juin 2011. Il faudrait donc s’en séparer « à terme », expliquait-elle sur BFMTV le 17 novembre de la même année, ajoutant que « pour l’instant nous n’avons pas assez investi dans la recherche pour que les énergies renouvelables remplacent le nucléaire ». En 2017, changement de ton, la candidate à l’élection présidentielle veut conserver le nucléaire « car c’est un atout, une des sources d’énergie électrique parmi les moins polluantes et les plus sûres ». Pourtant, interrogée sur France 2, elle ne voit pas de contradiction et confirme : « C’est un fait, le nucléaire est dangereux (…) je veux encore en sortir à terme si demain nous avons une énergie propre et sans danger », confirme-t-elle dans dans l’Emission Politique de France 2.
Seuls les sots, c’est bien connu, ne changent pas d’avis, ce n’est donc pas là le sujet. En revanche, dans la recherche des boucs émissaires accusés d’avoir sabordé l’énergie nucléaire et rendus responsables de la situation critique de l’électricité aujourd’hui, on peut s’interroger pour savoir si, élue présidente de la République, elle aurait agi de façon tellement différente de François Hollande et Emmanuel Macron…