Dans son numéro de juin dernier, le journal La Recherche a publié mon entretien sur le solaire, avec Denis Delbecq (dont le blog est, par ailleurs, hautement recommandable).
Après l’Espagne, la République Tchèque et la France, l’Italie et même l’Allemagne ont considérablement réduit les subventions à l’électricité solaire, des usines de modules photovoltaïques mettent la clé sous la porte en Allemagne… Est-ce la fin du solaire ?
Cédric Philibert. C’est la fin d’une croissance tirée par des subventions élevées et fortement concentrée en Europe. C’est le début d’une nouvelle expansion, basée sur la compétitivité de l’électricité solaire sur certains marchés : l’électricité décentralisée, en Allemagne et en Italie, rivalisant avec le prix de vente au détail, et l’électricité fournie au réseau aux heures de pointe dans les pays les plus ensoleillés. Un double mouvement, donc, vers le marché, et vers le soleil. Mais 2012 et peut-être plus encore 2013, qui verra s’assécher le marché de réalisation de contrats signés avant les récentes coupes dans les incitations, sont des années incertaines et difficiles pour beaucoup d’entreprises du secteur.
Comment évoluent les coûts de l’électricité solaire photovoltaïque?
La courbe d’évolution depuis 1976 montre qu’à chaque fois que la capacité totale installée dans le monde a doublé, le prix des cellules photovoltaïques a diminué d’environ 20%. De janvier à mars 2012 on a installé en Allemagne encore 2 000 MW de systèmes photovoltaïques en toitures avec un prix d’achat entre 220 et 244 euros le MWh selon la taille des systèmes – il n’y a pas de raison qu’un marché mûr présente des prix supérieurs en France, où l’ensoleillement moyen est meilleur. En 2020, le kWh fourni par des centrales de puissance ne devrait pas dépasser 60 euros au Maghreb, 90 euros dans le Var et 120 euros dans le nord de la France. Par comparaison, selon la Cour des comptes, le MWh produit par un réacteur nucléaire EPR coûterait entre 70 et 90 euros. Dans le sud de l’Europe et au Maghreb, l’électricité photovoltaïque est d’ores et déjà compétitive avec celle qu’on tire des centrales qui brûlent du pétrole.
Où en est le rendement des cellules solaires commerciales?
Aux Etats-Unis, Sun Power —contrôlé par Total— a conquis 11% du marché photovoltaïque grâce à des panneaux qui transforment environ 20% de l’énergie incidente en électricité. Ce rendement va progressivement grimper, pour atteindre 25% à 30% d’ici deux décennies. Mais il ne faut pas trop se focaliser sur le rendement: une fois qu’on a installé une certaine capacité solaire, la production ne dépend que de l’ensoleillement. Dans une région où la ressource est de 1250 kWh par mètre carré et par an, chaque kilowatt de capacité PV installée produira 1000 kWh par an, que le rendement des cellules soit de 10% ou 20%! Si les capteurs à haute efficacité — le rendement atteint 40% en laboratoire — se développent peu aujourd’hui, c’est qu’ils produisent un courant électrique plus cher que les autres. Cela ne justifie leur usage que dans des applications où la surface occupée compte plus que le prix de l’électricité. C’est une des raisons qui expliquent que, contrairement à ce qu’on a pu penser, le silicium reste dominant, avec 85% du marché. L’apparition d’autres filières, notamment en couches minces, n’a pas bouleversé le marché. Mais, imaginez qu’on invente un revêtement solaire semi-transparent — un vernis, par exemple — avec un rendement de 5% mais à très bas prix. On pourrait recouvrir tous les vitrages et produire pas cher.
Les recherches ne concernent pas que le rendement…
Certains industriels misent sur la concentration pour produire autant de courant avec une moindre quantité de matériau semi-conducteur. La concentration n’est possible qu’à condition de placer les panneaux sur un dispositif capable de suivre la trajectoire du soleil au cours de la journée. Mais le point d’équilibre est difficile à trouver: plus on concentre, et plus on dépense pour le système de poursuite. Sun Power semble penser qu’un facteur de concentration de cinq à dix serait raisonnable. Le suivi du soleil permet de lisser la courbe de production: au lieu d’avoir une forme très pointue, avec un pic en début d’après-midi, la production est plus stable entre 10 heures et 17 heures. Mais on peut avoir un suivi sans concentration ! De plus, quand on concentre trop, la température fait chuter l’efficacité des cellules. C’est aussi un obstacle à la mise au point de panneaux hybrides, capable à la fois de produire du courant et de la chaleur pour l’eau chaude sanitaire ou de procédé. La concentration n’a d’intérêt que dans les régions où il y a un bon ensoleillement direct, pas là où domine le rayonnement diffus, comme dans le Nord de la France par exemple.
En 2011, l’Allemagne disposait de 25 gigawatts de capacité photovoltaïque qui ont fourni plus de 3% de la consommation électrique, une part qui grimpe de moitié tous les ans. N’est-ce pas un paradoxe pour un pays qui n’est pas réputé pour son ensoleillement?
Cela montre bien que les panneaux photovoltaïques fonctionnent partout! L’Allemagne, puis l’Italie, ont tiré le marché mondial. On peut d’ailleurs remarquer que le 8 février dernier, la France n’a pu franchir son pic de consommation électrique record (100 GW) qu’en important environ 9 GW d’Allemagne. Ce même jour, le solaire allemand a produit jusqu’à 10 GW. On ne peut évidemment pas suivre le trajet des électrons, ni en tirer de conclusion hâtive. Mais le solaire a contribué à la capacité d’exportation allemande. Ce jour-là, les électriciens allemands qui ont acheté du courant solaire à 240 euros le mégawatt-heure l’ont revendu jusqu’à 1700 euros sur le marché européen! D’une manière plus générale, l’essor du solaire en Allemagne a contribué à faire baisser le prix de gros de l’électricité sur le marché, du moins dans l’après-midi. Ces chiffres résument la progression spectaculaire de l’Allemagne, où le gouvernement s’est fixé un objectif de 50 GW en 2020, dix fois plus qu’en France.
Comment expliquer ce développement du solaire électrique chez nos voisins?
Bien avant les autres, l’Allemagne a offert aux producteurs une garantie de revente de l’électricité renouvelable à un tarif fixé d’avance. Son coût est financé par le consommateur, par le biais d’une taxe de 3,6 centimes sur chaque kilowattheure utilisé, à l’image de la Contribution française au service public de l’électricité (CSPE) dont une partie est imputable à l’éolien et au solaire. Comme partout, ce tarif garanti baisse régulièrement pour suivre l’évolution du prix des installations solaires. En France, où un particulier paie son électricité autour de 14 centimes le kWh, le différentiel reste important. Mais en Allemagne, où l’électricité est vendue 24 centimes aux particuliers, la parité réseau est atteinte: le tarif de rachat a rejoint le prix de détail; depuis le 1er avril 2012 il est même inférieur. Cela signifie qu’une personne qui installe des panneaux solaires sur son toit a intérêt à consommer le maximum de sa production plutôt que de chercher à tout revendre. D’ailleurs, les textes allemands vont en ce sens. Le tarif de rachat n’est plus garanti désormais que pour 80% de la production pour les particuliers, et de 90% pour les toits commerciaux (jusque 1000 kW). Le reste devra être auto-consommé ou revendu à des conditions moins intéressantes.
Pour quelle raison?
C’est une manière de favoriser de nouveaux comportements en matière de consommation. Par exemple, plutôt que de lancer son lave-linge ou son lave-vaisselle le matin avant de partir au travail, le particulier peut le programmer pour qu’il démarre au moment du pic de sa production solaire, en début d’après-midi. Ce seuil de 80% concernera progressivement plus de monde. Imaginez un hypermarché dont le toit est équipé de panneaux photovoltaïques. Avec un tarif de rachat élevé, comme c’est le cas en France, il maximise son profit en vendant 100% de sa production et en achetant le courant dont il a besoin au prix du marché. Mais désormais, le gérant d’une grande surface allemande aura intérêt à consommer sa propre production. Par exemple en fabriquant de la glace quand le soleil est au plus haut, pour réduire ses besoins d’électricité le soir, la nuit, et en début de matinée. Avec cette stratégie, on favorise à la fois la production renouvelable et les comportements vertueux en matière de consommation. Ce sont les deux axes principaux de la politique énergétique allemande, qui vise une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 40% entre 1990 et 2020, alors que l’Union européenne a fixé le cap à 20%. Grâce à sa politique en faveur des renouvelables —et la fermeture d’industries polluantes en ex-RDA— l’Allemagne a déjà baissé ses émissions de 24%.
Il reste que la ressource est variable, et qu’il faut bien produire du courant quand le soleil ne brille pas…
On entend souvent dire qu’il faut ajouter autant de puissance d’appoint qu’on installe de capacité solaire ou éolienne, c’est absurde. Car on ne part pas de rien, il existe déjà des capacités flexibles, fossiles ou hydrauliques. En France, on pourrait aller jusqu’à 25 GW de solaire et d’éolien sans construire une seule centrale à gaz. Depuis les années 2000, l’Espagne dispose d’une forte surcapacité de moyens à gaz. De plus, notre continent dispose d’un climat relativement favorable au couplage du solaire et de l’éolien. En été il y a plus de soleil, et en hiver plus de vent. Une étude allemande vient de montrer qu’un mélange de 60% d’éolien et de 40% de solaire suit assez bien la courbe de la demande électrique toute l’année. Et quand il n’y a ni soleil, ni vent —ce qui n’arrive que quelques jours par an—, il y a plusieurs moyens pour s’approvisionner, que l’on peut associer: importer depuis les pays voisins, utiliser un appoint fossile, et s’appuyer sur des stations de pompage-turbinage (STEP), qui transfèrent de l’eau entre deux réservoirs séparés par un dénivelé. Ces installations se rentabilisent rapidement car elles fonctionnent tous les jours, voire plusieurs fois par jour: dès qu’il y a de l’électricité en excédent, on remonte l’eau dans le réservoir supérieur. Aux heures de pointe, on la laisse redescendre pour produire du courant. En 2005, il y avait 100 GW de STEP installés dans le monde; il y en aura le double en 2015, et on peut aller beaucoup plus loin. Sur la terre ferme, mais aussi en construisant des STEP le long des côtes pour utiliser la mer comme réservoir inférieur, comme à Okinawa (Japon), et même en pleine mer, comme l’envisagent la Belgique et les Pays-Bas.. Sans stockage, on doit pouvoir produire jusqu’à 10%-12% de l’électricité mondiale avec le photovoltaïque. Pour aller au-delà, il faut développer le stockage, ou se tourner vers les centrales solaires à concentration (CSP), qui offrent beaucoup plus de souplesse, puisqu’on peut stocker la chaleur dans des réservoirs de sels fondus avec une très grande efficacité – pratiquement aucune perte. Ces centrales thermiques utilisent la chaleur obtenue en concentrant le rayonnement solaire avec des miroirs. Soit au foyer de miroirs cylindro-paraboliques, soit sur un récepteur central placé en haut d’une tour.
L’idée est de produire 24 heures sur 24, comme la centrale Gemasolar, en Espagne?
Ce n’est pas forcément nécessaire, tout dépend de la structure de la consommation dans la région concernée. En Californie, par exemple, les plus fortes pointes se produisent dans l’après-midi en été, au moment où le photovoltaïque produit le plus, puis en début de soirée. En associant quelques heures de stockage, une centrale CSP pourra vendre son courant plus cher à la pointe du soir, ce qui permet de la rentabiliser plus vite. C’est pour cela que beaucoup d’industriels ont ajouté un dispositif de stockage à leur projet initial. Au Maroc, où la pointe se produit après le coucher du soleil, le CSP est déjà compétitif aux heures de super-pointe du soir: la première tranche de 160 MW de la centrale solaire de Ouarzazate produira à 143 euros le MWh, avec un stockage de trois heures pour fournir la pointe de consommation. C’est un peu moins cher que de brûler du pétrole, et l’écart ira grandissant. Mais les centrales ne sont pas réservées aux régions les plus ensoleillées du globe. En Chine des entreprises, bénéficiant sans doute d’argent pas cher, ont remporté des appels d’offre pour construire des centrales CSP produisant à 110 euros le MWh. En France, il y a trois ou quatre régions qui pourraient accueillir de telles centrales dans le cadre de l’objectif gouvernemental de 540 MW en 2020: sur les hauts-plateaux du Var, en Cerdagne dans les Pyrénées —là où la France avait construit la centrale Themis de Targassone avant de l’abandonner—, en Corse. Dans ces sites, le gisement solaire est d’une qualité proche de celui de l’Andalousie. Ce qu’il faut pour le CSP, c’est un bon ensoleillement direct.
Quelle technologie thermique à concentration est la plus prometteuse?
Les capteurs cylindro-paraboliques ont un double inconvénient: le tube qui reçoit le rayonnement et dans lequel circule le fluide qui capte la chaleur, est un objet de très haute technologie qui coûte très cher. Et il y a un duopole puisque seuls les allemands Siemens et Schott en produisent. Par ailleurs, la température est forcément limitée dans un système linéaire, suivant le soleil sur un seul axe. Le système linéaire Fresnel qui utilise des miroirs plans, échappe au premier inconvénient au prix d’une perte de rendement le matin et le soir, et n’échappe pas au second. A terme, la technologie à tour sera probablement la technologie dominante. Une plus grande concentration de l’énergie lumineuse permet d’atteindre des températures plus élevées en limitant les pertes thermiques du récepteur, et la chaleur recueillie est transformée en électricité avec un meilleur rendement. Cela réduit la taille du champ solaire nécessaire, principal facteur de coût. L’effet sur le coût du stockage est encore plus saisissant, parce qu’il faut trois fois moins de volume de sels par kWh mis en production différée. Or l’avenir du solaire thermodynamique est dans le stockage, c’est son principal atout face au PV.
Par ailleurs, la tendance va vers l’utilisation de nombreux petits miroirs plans ; on remplace la robustesse et la complexité de fabrication des grands héliostats par une puissance informatique accrue, mais qui ne coûte presque rien.
Le CSP est parfois utilisé en complément d’installations classiques. Quel est l’intérêt de ces centrales hybrides?
Cela permet de déplacer la consommation d’énergie fossile, tout en gardant la sécurité de fourniture des combustibles traditionnels, par exemple le charbon. De cette manière, la turbine est partagéeOn pense que ces projets hybrides peuvent aller jusqu’à diviser le prix du kWh solaire thermodynamique par deux. Au Maroc, il y a un projet CSP à 22 kilomètres d’un projet de centrale à charbon, il serait plus efficace de les rapprocher! Cela s’applique aussi au Chili, à l’Afrique du Sud ou à la Chine. On peut le regretter, mais ces pays utiliseront encore du charbon. Autant en profiter pour développer le solaire.
Recueilli par Denis Delbecq