La transition énergétique selon Fillon: back to the seventies

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Jetons un œil, c’est d’actualité, sur le programme du candidat Fillon sur l’environnement et la transition énergétique. Ça commence bien, avec la lutte contre le changement climatique, « un enjeu majeur pour notre planète ». Très bien même, avec la promesse « d’engager au plus vite les discussions avec nos partenaires européens pour améliorer (le marché des émissions de CO2) et assurer un prix plancher de 30€ ». Ça se gâte un peu plus loin, avec la critique de la « position prise par le gouvernement socialiste » (aujourd’hui force de loi) de faire passer la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50% d’ici à 2025, « un choix dogmatique, intenable et contraire à l’intérêt général ». François Fillon lui oppose « la révolution du bon sens ».

Ce passage à 50% de la part du nucléaire dans la production d’électricité supposerait en effet, selon lui, « une croissance massive des énergies renouvelables à coups de subventions, avec un renchérissement très important du prix de l’électricité, mais aussi la fermeture anticipée d’une vingtaine de réacteurs nucléaires en fonctionnement ». Or, poursuit-il, les 58 réacteurs nucléaires en service ont déjà été amortis et fonctionnent dans des conditions de sécurité satisfaisantes, dans le respect des normes de sûreté édictées et contrôlées par l’Autorité de Sûreté Nucléaire. « Il faut donc au contraire prolonger la durée d’exploitation des réacteurs existants, de 40 à 60 ans (…), à condition que ce choix soit validé au cas par cas par l’ASN. » Et d’ajouter « Des fermetures anticipées de centrales nucléaires créeraient un important risque de pénurie d’électricité pour le pays, alors qu’elles sont déjà largement amorties financièrement et que, de ce fait, le coût de l’électricité nucléaire ne peut que diminuer ».

Aie! C’est là que le bât blesse, évidemment: nous ne savons pas combien de centrales nucléaires pourront – peut-être – voir leur durée d’exploitation prolongée au-delà de 40 ans, ni à quels coûts d’investissement complémentaire. Tout porte à croire que l’exploitant ira de l’avant pour celles en bon état, mais renoncera à investir lourdement – dans certains cas – pour prolonger peut-être de dix ans (car même si l’autorisation est donnée elle n’est pas vraiment garantie) la durée de vie de certaines centrales. C’était déjà vrai avant la découverte par l’ASN de la falsification des procès verbaux de fabrication de certains éléments clés, comme les générateurs de vapeur, voire irremplaçables, comme les cuves, de certaines de centrales désormais à l’arrêt,  parce que ces éléments sont trop fragiles. Ce n’est pas moins vrai aujourd’hui, alors que nous ne savons pas avec certitude si et quand ces centrales seront redémarrées, malgré les risque de coupures d’électricité cet hiver,

Le tableau ci-dessous, extrait de la programmation pluriannuelle de l’énergie, montre la décrue rapide du nombre de réacteurs de moins de 40 ans:

reacteurs-moins-40ans Nous en aurons moitié moins qu’aujourd’hui déjà dans dix ans, et ensuite ça s’accélère et on tombe à un dixième de la capacité actuelle dès 2032. De plus, la prolongation des centrales nécessitera pour chacune un long, très long arrêt, donc dès que ce « grand carénage » sera commencé, nous aurons en moyenne cinq à dix réacteurs arrêtés. Quand à construire à neuf, à supposer qu’on finisse le premier EPR, il faudra démontrer que même si les suivants coûtent moitié moins (du jamais vu dans cette industrie – on a vu des baisses de coûts de 10 à 20% après les premiers pilotes) leur électricité restera compétitive par rapports aux renouvelables… et tenir compte de délais de construction.

La question pertinente n’est donc pas « comment ramener la part du nucléaire à 50% » de la production d’électricité, mais bien « comment maintenir la part du nucléaire à 50% ». Décider de ce retour pouvait sembler arbitraire, bien sûr, mais c’était d’une certaine manière prendre acte de l’inéluctable et justifier la relance des renouvelables et de l’efficacité énergétique. Prétendre maintenir cette part à 75% est illusoire. « Renforcer les études sur les réacteurs de la 4e génération qui permettront de régler le problème des déchets » ou « développer une gamme de petits et moyens réacteurs nucléaires pour satisfaire les besoins des grandes villes mondiales » n’y contribuera en rien.

Donc, la question à court terme est bien de développer aussi rapidement que possible l’efficacité énergétique et les renouvelables, d’ailleurs marchés mondiaux aujourd’hui autrement important que celui du nucléaire. C’est une question de sécurité énergétique, autant que de changement climatique ou d’atout industriel. François Fillon évoque une « baisse régulière des coûts » qui rendent ces énergies « rentables » (ses guillemets). Conclusion renversante: « Il faut donc probablement sortir des objectifs chiffrés, pour donner la main au marché. Si ces énergies sont rentables, elles attireront les investissements et leur part se développera. » En conséquence, il supprimera le mécanisme de la CSPE pour les futurs contrats. Au lieu d’un développement « massif » qui pèse très lourd sur les finances de la collectivité, ces filières doivent « faire l’objet de programmes de recherche ambitieux. »

Mamma mia! François Fillon ne nous ramène pas seulement au moratoire sur le photovoltaïque qu’il imposa en décembre 2010, mais bien plus en arrière, je dirai lorsque Giscard arrêta la centrale Thémis (pas loin d’être le modèle gagnant du solaire thermodynamique aujourd’hui au Maroc ou en Afrique du Sud), voire quand Pompidou et Messmer accélérèrent le programme nucléaire français en mars 1973. En tout cas, il ne semble pas avoir perçu la baisse des coûts, plus spectaculaire que « régulière », du photovoltaïque depuis 2010 (divisés par trois ou quatre) ou de l’éolien terrestre et maritime proche, ni l’augmentation des coûts du nucléaire suite aux défaillances constatées lors de petits incidents sans importance – Tchernobyl et Fukushima. Il ne semble pas davantage percevoir que, lourdes en capital initial, les énergies renouvelables mêmes compétitives ne peuvent se financer qu’avec des garanties d’achat à long terme. Toute l’Europe s’oriente vers un mix de prix de marché – pour mieux orienter le développement des renouvelables en fonction des besoin du réseau – et de premiums ou « complément de rémunération », car ces derniers conditionnent un accès abordable au capital. Faire reposer le développement des renouvelables sur le seul marché est une impasse.

Allez, soyons juste: François Fillon veut également « autoriser l’auto-consommation de l’énergie produite de manière autonome » par les particuliers et les entreprises. Quelqu’un autour de lui pourrait-il lui dire que c’est déjà le cas? Ah – et aussi « privilégier les appels à projet pour les grosses unités » avec des appels d’offre. Vous avez du mal à suivre? Moi aussi.

8 réflexions sur « La transition énergétique selon Fillon: back to the seventies »

  1. Caroline Tasseur

    Merci pour ces précisions éclairantes. Il faut avouer que je n’ai pas lu le programme de Fillon (très en retard dans mes lectures, j’ai en route un roman sur l’après guerre de 14-18 et un essai sur le mur de Berlin. C’est dire !) Le débat d’hier a été si évasif sur les questions d’environnement que je me suis demandée aussi si candidats et journalistes n’étaient pas eux aussi très en retard sur leur temps.

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  2. P. Hansen

    C’est normal, l’éolien et le photovoltaïque ont échoué : ils sont importés, ils coûtent 5 milliards d’euros par an. Il n’y aucune corrélation entre leur production et la demande électrique.

    Avec le nucléaire , nous accumulons de la matière fissile et fertile. Et puis le nucléaire est aussi renouvelable, on est quand même dans le pays où le réacteur Phénix a fait plus de trois cycle avec son combustible

    Pour être juste, il faudrait taxer l’autoconsommation, puisque autoconsommer n’interdit pas de faire appel au réseau lorsqu’on on a besoin.

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    1. Cédric Philibert Auteur de l’article

      A cette approche comptable, qui met en rapport la production énergétique du photovoltaïque et de l’éolien installé depuis dix ans avec la charge annuel des contrats d’achat, j’oppose l’approche économique, qui regarde le coût actualisé du kWh des installations nouvelles – coût qui n’a plus grand chose à voir avec celui des débuts. Nous payons pour le développement précoce qui a permis cette chute des coûts par effets d’échelle et d’apprentissage, ce serait particulièrement imbécile de s’arrêter là maintenant que nous avons des technologies compétitives.
      Il y a par ailleurs une certaine corrélation entre leur génération électrique et la demande – plus grande le jour que la nuit en moyenne, pour le PV, reflété d’ailleurs dans la valeur estimée de cette production par la CRE, légèrement supérieure au coût moyen du kWh; et pour l’éolien, plus forte en hiver qu’en été, comme la demande. Et nous sommes encore très loin des niveaux de pénétration d’énergie variable qui nécessiteront d’investir davantage dans la flexibilité du reste du système – en particulier parce que nous héritons des investissements dans le pompage turbinage consentis dans le passé pour mettre un peu de variabilité autour du trop rigide nucléaire.

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  3. P. Hansen

    En effet le photovoltaïque et l’éolien ont parfois une utilité, mais mon approche comptable est supérieure à la vôtre car elle prend en compte l’autre moitié du temps, elles n’en n’ont aucune. La corrélation entre la production éolovoltaïque et la consommation est nulle, le contestez-vous ?
    http://energie-crise.fr/spip.php?article167
    Nous payons en effet le développement précoce, mais nous le payons encore pendant 15 ans. Et nous allons payez le développement de l’éolien off-shore 2 milliards d’euros par an. Le coût du PV toits n’est toujours pas compétitif, sans prendre en compte le coefficient d’utilité qui découle de la non corrélation citée plus haut.

    Sur les courbes de RTE l’hydraulique varie sur une plage de 8 GW, tandis que l’éolien pour une puissance installée de 10 GW varie sur une plage de 6 GW. Nous sommes donc assez proche de la limite d’insertion dans le réseau.

    La rigidité du nucléaire est une légende. Il est plus modulable que des centrales fossiles, même la SFEN sous pression du pouvoir politique affirme aujourd’hui que le nucléaire pourrait s’adapter à l’éolovoltaïque.

    Alors que la production pétrolière pose un vrai problème, nous n’avons pas intérêt en France à déployer et subventionner l’éolovoltaïque pour des raisons idéologiques.

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    1. Cédric Philibert Auteur de l’article

      L’approche comptable consiste à diviser la production électrique de l’année n par les paiements de la cspe pour une même technologie au cours de la même année. Elle ne raconte qu’une petite partie de l’histoire, et elle n’est d’aucun intérêt pour la décision économique, qui doit comparer les coûts des investissements à faire maintenant ou dans le futur – pas dans le passé.Les 5 milliards par an, c’est le poids du passé, et rien ne les ramènera. Pour la décision c’est sans intérêt, tout comme les dépenses de R&D pour le nucléaire depuis les années 50.
      Vous soulevez en revanche un point correct, qui est que la décision doit regarder les bénéfices et les coûts, c’est-à-dire pas seulement le coût actualisé du kWh. Le développement des énergies variables est en effet dépendant de la flexibilité de la demande et du reste du système de production électrique, et leur valeur marginale tend à diminuer quand leur proportion s’accroît. Sans mesures propres à augmenter cette flexibilité, l’essor de l’éolien et du solaire dans le Scénario 450 de l’AIE pourrait, selon le World Energy Outlook 2016, conduire à 30% de délestage en Europe en 2040! Mais avec ces mesures de flexibilité, le délestage serait limité à 2,5%.
      La rigidité (ou flexibilité) du nucléaire ou du charbon a un double aspect: technique, et économique. Les centrales nucléaires peuvent suivre la demande mais ont un « minimum run » et une certaine vitesse de rampe, d’ailleurs variables selon l’âge du combustible; tout ceci est très bien documenté dans cette étude del’Agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE: http://www.oecd-nea.org/ndd/reports/2012/7066-synthese-renouvelables.pdf. Par ailleurs, réduire la durée d’utilisation augmente le LCOE et, pour les centrales déjà construites, le coût par kWh des O&M fixes. On constate du reste qu’aux Etats-Unis comme en Europe et au Japon, la construction des stations de transfert d’énergie par pompage fut parallèle à celle des centrales nucléaires, parce que c’était moins coûteux que de faire varier

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  4. jmm1ne

    Le nucléaire historique (les 63 GW actuellement en service) finira bien par fermer … un jour!

    Si on n’a pas d’objectif industriel pour la production des équipement pour produire les énergies renouvelables,
    =>on devrait établir une loi de survie des installations nucléaires historiques et adapter les investissements en renouvelables à cette loi de survie.
    Tout indique que la durée de vie des centrales nucléaires ne sera pas fixe : EDF a déjà changé 80% des générateurs de vapeur des tranches de 900 MW (grosso modo la moitié la plus ancienne de son parc) ; cette opération a eu lieu entre la 15 ème année et la 35 ème année d’exploitation.
    Sur ces critères, l’espérance de vie des 900 MW serait de 55 ans environ…
    Elle sera peut être plus courte si un facteur nouveau apparaît.
    De plus le nucléaire d’EDF est utilisé en suivi de charge, ce qui tend à diminuer la production énergétique.
    L’objectif de 50% de pénétration du nucléaire, à consommation stable, serait atteint entre 2035 et 2040, pour un coût de production (avec un taux d’actualisation de 8%) de 40€/MWh en tenant compte bien sur de la rémunération du « Grand Carénage »
    A partir de 2015, la France est passée en surproduction d’énergie décarbonée …

    Si on a des objectifs industriels,
    Tout change! Les positions industrielles sont à prendre maintenant (et même hier)!
    La marché est déjà en phase de concentration.
    La faiblesse de la part de marché des production française est inquiétante, mais elle traduit un problème plus général : le manque de compétitivité et le recul de 15% de la production industrielle depuis la crise de 2008.

    Il y a bien des choix à faire!

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    1. Cédric Philibert Auteur de l’article

      Reste à savoir si toutes les centrales seront effectivement prolongées. Je pense que non: les travaux à entreprendre dans certaines, imposées par l’ASN pour répondre à des critères de sûreté plus importants, seront sans doute jugées trop importantes par l’exploitant, qui d’ailleurs a tout intérêt à réduire la surcapacité pour faire remonter le prix de marché du kWh. Donc, arriver vers 50% en 2025 comme le demande la loi de transition énergétique pourrait in fine convenir à plus de monde qu’on ne le dit… et bien sûr donner du grain à moudre aux industries des nouvelles énergies, dont les perspectives mondiales sont autrement importantes que celles du nucléaire.

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    2. Christophe C

      Pas sur que les choix soient possibles: plus personne à part les électriciens ne veut investir dans le nucléaire.
      Banques, fonds privés et fonds de pension ne financent plus le nucléaire: trop risqué, durée de construction trop longue, et incertitudes sur le long terme. Qui va investir son argent aujourd’hui dans une centrale qui verra le jour dans 10 ans dans un contexte de prix incertain?

      Il en revient donc aux fournisseurs d’énergie de financer les centrales, et avec la baisse des prix de gros liée à la concurrence et à la pénétration des renouvelables, ces moyens de financement se réduisent. Rien qu’en lisant le bilan d’EDF pour l’année 2016, on voit bien qu’EDF va devoir céder 10 milliards d’actifs pour financer Hinkley Point C sur 10 ans.
      Et dans 10 ans, EDF financera 2 EPR, puis dans 10 ans plus tard 2 EPR supplémentaires…. On est loin du compte.

      Avec l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité, les opérateurs n’ont plus les moyens d’investir dans des équipements coûteux en capital.
      Ce qui va se passer, c’est que les investisseurs vont anticiper cette situation et investir dans des moyens de production à mise en oeuvre rapide. Surement dans des moyens de production dont les coûts sont totalement prédictifs – donc ni nucléaire, ni fossiles.

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