A en croire Dominique Seux et Bernard Maris, les duettistes économiques de France-Inter des vendredis matins, l’abandon par Arcelor Mittal du projet Ulcos, au moins tel qu’il avait été présenté à l’appel d’offres de la Commission Européenne, ne serait pas dû aux « problèmes techniques » officiellement invoqués, mais à la faiblesse des prix donnés aux émissions de CO2 en Europe. De fait, si l’annonce a suivi de près, et de façon choquante, la publication de l’accord entre Mittal et la République française, elle a aussi suivi de quelques jours seulement une annonce de la Commission Européenne : celle-ci a renoncé à retirer du marché européen du carbone des millions de tonnes afin d’en soutenir le cours. Tombé à quelques euros, il est insuffisant bien sûr pour inciter les industriels à engager des investissements de long terme en matière de réduction d’émissions, et en particulier ceux liés à la capture et au stockage du CO2. Le projet Ulcos et les salariés de Florange en sont donc les victimes collatérales !
Nous payons ici une erreur initiale de conception du marché du carbone – l’avoir fait reposer uniquement sur la définition d’une quantité, sans aucun dispositif de maîtrise du prix. Or il n’y a pas de bonne raison de fixer une quantité très précise, ce qui importe c’est de fixer un cap, une direction pour le long terme, pas forcément un résultat précis une année donnée, car le changement climatique résulte de l’accumulation du CO2 dans l’atmosphère, et non pas du niveau exact d’émission lors d’une année donnée. En revanche il faut une certaine stabilité des prix du carbone pour donner confiance aux investisseurs – inutile d’augmenter la volatilité des prix du pétrole de celle des prix du carbone, au contraire! Donc, à défaut de choisir des taxes, difficiles politiquement, il fallait encadrer le système de permis de prix plancher et de prix plafonds, progressivement croissants, afin de s’assurer d’une trajectoire de prix. La Commission Européenne s’y est toujours refusé, au nom de « l’intégrité environnementale » du projet et de l’efficacité supposée des mécanismes de marché.
Devant l’effondrement des prix du marché consécutif au ralentissement de l’économie, donc des émissions, la Commission a alors proposé de modifier les quantités d’émissions autorisées. C’eût été, notons-le, une intervention des gouvernements dans les marchés bien plus manifeste que l’adoption, dès l’origine, de prix plancher et plafond connus de tous… et pour finir cela n’a pas marché faute d’un consensus politique en Europe.
Depuis que les trop faibles prix du carbone ont été reconnus comme un problème persistant, on me dit souvent « tu avais raison de proposer un prix plancher mais la situation actuelle ne plaide en rien pour qu’on ait aussi mis en place un prix plafond ». Je ne suis pas d’accord. Le principal mérite d’un prix plafond, c’est qu’en rassurant les gouvernements sur les conséquences économiques de la mise en place de permis négociables, il permet d’adopter des objectifs ambitieux. Sinon, la prudence économique l’emporte, et les objectifs choisis restent modestes. Ajoutez à cela une crise économique et le prix du carbone s’effondre, qu’un prix plancher aurait certes soutenu. Mais sans la crise économique, on aura atteint… des objectifs modestes. Je préfère pour le climat des objectifs ambitieux, mais il faut savoir renoncer à la certitude (inutile) d’atteindre un niveau donné à une date donnée, pour obtenir un accord sur des objectifs ambitieux.
On n’est pas sûr d’obtenir cet accord, même avec des prix plafonds, objectent les sceptiques. C’est vrai. En revanche, sans un mécanisme de sauvegarde économique, on est sûr de ne pas les obtenir, comme le prouve la longue histoire des négociations climatiques et – on prend les paris ? – les trop prévisibles résultats de la réunion qui se termine aujourd’hui à Doha.