Dans sa réponse sur le site d’Alternatives économiques à ma critique de son article dans L’Economie Politique, Benjamin Dessus admet tout d’abord qu’en effet le rôle des divers gaz dans les émissions présentes a plus d’importance pour guider l’action que leur rôle historique – celui-là même qu’il mettait en avant.
Bon début. A mon tour de faire une concession. Dessus a raison sur un point: le groupe 3 du GIEC cite plus souvent les potentiels de réchauffement global (PRG) du rapport précédent que ceux du cinquième rapport. Mais la différence est moins grande qu’il ne le suggère. Le PRG à 100 ans du méthane est désormais à 28, contre 25. Résultat: alors que j’avais cité une contribution du méthane à 16% j’aurais pu – dû – citer la phrase suivante du résumé technique du rapport du groupe 3: « Using the most recent GWP100 values from the Fifth Assessment Report » global GHG emission totals would be slightly higher (52 GtCO2eq/yr) and non-CO2 emission shares would be 20% for CH4. »
Dessus lui-même se garde bien de mentionner ce calcul du groupe 3, préférant dire que celui-ci utilise une métrique « vieille de vingt ans » (en fait, cinq ans, celle du quatrième rapport) et utilise un PRG pour le méthane de 21 (en fait, 25 – 21 c’était le PRG du premier rapport du GIEC).
Dessus préfère son propre calcul, basé sur un PRG à 100 ans de 34 pour le méthane, bien que le groupe 1 du GIEC utilise 28. Il présente un résultat en pourcentage de l’action du CO2 à 40%, pourquoi pas mais ce n’est pas la même chose que le pourcentage de l’effet total – optiquement c’est plus impressionnant. Et pourquoi 34? Parce que c’est le PRG du méthane à 100 ans incluant les rétroactions climatiques. Soit.
En revanche, quand Dessus estime que les PRG à 20 ou 50 ans sont aussi importants, je ne suis toujours pas d’accord. Il faut lire soigneusement son argumentaire à ce sujet: ce qui compte pour les climatologistes qu’il cite, c’est la crainte que le réchauffement à 2050 rende impossible ‘l’atteinte de la cible à plus long terme ». C’est donc la question des rétroactions climatiques, – déjà incluses dans son choix d’un PRG100 de 34 plutôt que 28.
Dessus évoque encore un PRG « pérenne » encore plus élevé, mais dont je ne trouve pas trace dans le rapport du GIEC. Et pour cause: on ne peut pas ainsi mélanger l’étude des effets climatiques des émissions de GES, et des appréciations, elles-mêmes très discutables, sur la pérennité ou non des actions de réduction des émissions. Il me reproche de « ne pas comprendre » ce point, mais je crains de ne pas être le seul, loin de là…
En revanche, Dessus ne souffle mot du « potentiel de changement de température global », seule (et nouvelle) « métrique » alternative qu’évoque le GIEC. On comprend vite pourquoi: celui, à cent ans, du méthane, n’est que de … 11 (avec rétroactions climatiques), voire de 4 (sans), ce qui ferait du méthane un non-sujet. Si le PRG exprime l’effet d’une émission intégrée sur l’horizon temporel donné, c’est le potentiel de changement de température global qui exprime l’effet (par rapport à celui d’une masse équivalente de CO2) sur le changement de température dans l’année qui clôt cet horizon – par exemple 2110. Mais que Dessus se rassure: je ne suis pas convaincu que le plus récent soit supérieur au plus ancien. Au contraire, même, parce que seul le PRG intègre les effets de court et moyen terme pendant x années (par exemple 100), alors que le PTG ne regarde que le changement de température à l’année x (par exemple 2110). Ce qui, à mon humble avis, contribue à justifier le choix d’un horizon de 100 ans pour le PRG.
Au fond, Dessus et moi sommes d’accord sur les conclusions opérationnelles: il faut lutter contre tous les gaz à effet de serre. C’est d’ailleurs ce que s’efforce de faire le programme français de lutte contre l’effet de serre, avec sans doute de nombreuses insuffisances. Je ne reproche pas à Dessus de dire « n’oublions pas le méthane ». Ce que je lui reproche, c’est de suggérer que mettre une priorité sur le CO2 serait une manipulation du lobby nucléaire. Ce n’est pas seulement risible – c’est dangereux. Cela alimente le climato-scepticisme. A l’insu du plein gré de Benjamin Dessus, je n’en doute pas. Mais quand même.