Le site de préparation des éoliennes offshore de Saint-Nazaire, en mai 2022
Ci-dessousl’interview que Nadia Gorbatko a réalisé pour Actu-Environnement à l’occasion du colloque national éolien organisé par la Fédération de l’énergie éolienne, publié le 13 octobre.
Cédric Philibert
Consultant indépendant sur l’énergie et le climat, chercheur associé du centre énergie et climat de l’Ifri
Actu-Environnement : Vous critiquez la stratégie du gouvernement en matière d’éolien. Ne vous semble-t-elle pas à la hauteur ?
Cédric Philibert : Dans ce domaine, les intentions du gouvernement ne sont pas claires. Certes, il met en chantier une loi d’accélération des renouvelables. Mais après avoir donné un sérieux coup de frein à l’éolien terrestre, en reculant à 2050 l’objectif fixé pour 2030. La vision pour l’énergie présentée par Emmanuel Macron, le 10 février, à Belfort, épouse en réalité le scénario le plus nucléaire de l’étude « Futurs énergétiques 2050 » de RTE (Réseau de transport d’électricité), qui inclut 14 EPR, des Small Modular Reactor (SMR) et la prolongation de 24 000 mégawatts des parcs nucléaires actuels jusqu’en 2050.
AE: L’éolien et le nucléaire ne peuvent-ils pas se compléter?
CP : En 2050, un certain nombre de centrales auront dépassé soixante ans. Or, si le programme industriel « Grand Carénage » en cours vise leur prolongation de quarante à cinquante ans, celle-ci n’est pas encore garantie. Encore moins jusqu’à soixante ans. Par ailleurs, d’ici à 2035, aucun nouveau réacteur nucléaire ne pourra être mis en service, sauf l’EPR de Flamanville. Or, on assiste à l’épuisement du parc. On l’a vu de façon spectaculaire avec les problèmes de corrosion sous contrainte, sur des réacteurs assez jeunes. On ne peut pas exclure que des problèmes se présentent sur les réacteurs vieillissants. Dans le même temps, on se propose d’électrifier les secteurs de consommation finale d’énergie, aujourd’hui basée sur les énergies fossiles. Cela suppose d’augmenter la consommation d’électricité, même si elle sera réduite dans d’autres secteurs. Il va falloir plus d’électricité et, dans les douze ans à venir, nous n’aurons pas d’autres sources nouvelles d’électricité bas carbone que les énergies renouvelables. Si elles n’ont pas pour origine les renouvelables, d’où pourraient-elles venir ?
AE : La situation ne changera-t-elle pas après 2035 ?
CP : Le gouvernement fait le pari que l’on pourra construire de nouveaux modèles d’EPR dans ce délai, qui reste court. Mais si l’on regarde les temps de construction des réacteurs nucléaires en France, en Finlande, au Royaume-Uni ou même en Chine, ils ont toujours été plus longs que prévu. Les difficultés rencontrées hier seront-elles toutes résolues dans la prochaine étape ? Nous n’en sommes pas sûrs. Et si ces réacteurs n’arrivent pas à temps, nous serons à nouveau en déficit d’énergie.
AE : Quelle conclusion en tirez-vous ?
CP : Dès aujourd’hui, il faudrait se caler sur les scénarios les plus ambitieux en matière d’énergie renouvelable, au moins pour les douze ans qui viennent. Cela implique de s’orienter vers un rythme d’installation beaucoup plus important. Il est absurde de reculer l’objectif fixé par la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), en France. L’Allemagne, par exemple, ambitionne d’atteindre un rythme d’installation d’éoliennes de 10 gigawatts (GW) par an en 2025.
AE : La loi d’accélération des ENR ne va-t-elle pas dans ce sens ?
CP : Ce n’est pas évident. Selon Agnès Pannier-Runacher, le rythme devrait être celui « que la société française peut supporter ». L’objectif semble même être inférieur au rythme actuel, alors qu’il faut le quadrupler en installant 4 à 5 GW par an d’éolien terrestre. Le développement de l’offshore ne compensera pas le ralentissement sur terre. Nous avons besoin des deux. Dans un scénario sans nucléaire en 2050, il nous faudrait 75 GW d’éolien terrestre, en plus du maritime. Les deux fourniraient 50 % de l’électricité. On en est à 8 % seulement.
AE : Quadrupler les capacités de l’éolien terrestre, est-ce réaliste au vu de la trajectoire actuelle?
CP : L’Allemagne, qui possède un territoire plus petit que le nôtre, compte 28 000 éoliennes. Nous n’en avons que 10 000… Nous pouvons passer à 20 000. Certaines régions sont bien équipées, mais dans la majorité, nous sommes très loin du niveau des Hauts-de-France, par exemple. De plus, on peut aujourd’hui en construire de plus grandes, plus puissantes, avec un facteur de charge plus important, ce qui facilite leur intégration dans les systèmes.
AE : Comment surmonter les obstacles qui perdurent ?
CP : Il s‘agit surtout de freins administratifs. Les préfets ne délivrent pas les autorisations et de multiples actes administratifs donnent lieu à autant de recours. Les recours et la justice font partie de la démocratie, mais en multipliant les actes de procédures avant de délivrer une autorisation, on multiplie les occasions de recours. On n’en finit pas. La loi ENR est censée offrir des possibilités d’installations plus rapides. Mais ce qui n’est pas clair, c’est l’objectif.
AE : L’intermittence des ENR ne conduira-t-elle pas au maintien parallèle des énergies fossiles ? C’est ce que l’on reproche souvent au modèle allemand.
CP : L’Allemagne a réduit de 35 % sa consommation de charbon depuis 2010, précisément grâce aux renouvelables. À cause de la guerre en Ukraine et de la faiblesse du parc nucléaire français, elle fait aujourd’hui appel à moins de gaz et à plus de charbon. Cette situation est imposée par les circonstances. À partir de 2035 ou 2040, dans un système 100 % renouvelable, on aurait seulement besoin de centrales au gaz brûlant de l’hydrogène issu des ENR. Ce système de stockage de longue durée permettrait de passer les quelques jours ou quelques semaines où le vent et le soleil manquent. Cela représente 20 térawattheures sur un total de 645, soit 3 %. Même s’il s’agissait de gaz non renouvelable, cela ne serait pas contradictoire avec la trajectoire de réduction forte des émissions de CO2 du pays. Les centrales au gaz sont cinq à dix fois moins coûteuses en capital que le nucléaire. Nous pouvons en construire, même si c’est pour un facteur de charge faible.
AE : Vous proposez donc d’adopter le scénario 100 % renouvelable de RTE ?
CP : Parce que c’est le plus robuste, il faut commencer par aligner notre stratégie de développement des ENR sur celui-ci. Si nous disposons de nouvelles capacités nucléaires, d’ici à 2035, et que nous voulons produire moins d’ENR, nous en ferons moins… Mais mieux vaut parer au risque que le nucléaire ne soit pas là et faire comme s’il ne devait pas l’être par la suite. Il faut se mettre sur cette trajectoire que l’on amplifiera, ou pas, en 2035. EDF l’a justement dit, dans sa contribution à l’étude de RTE : « Vu le délai et les incertitudes, il n’est pas opportun de décider aujourd’hui précisément ce que devrait être le mix de production électrique en 2050. Il faut affiner les hypothèses et donc les résultats dans dix ans, en fonction du rythme de développement réel des renouvelables… » Et surtout du nucléaire, beaucoup plus incertain !