« Le bilan climatique des véhicules électriques serait médiocre, mais que valent ces griefs ? »

Dans une tribune au « Monde », l’expert de l’énergie Cédric Philibert démonte une par une les critiques adressées aux voitures électriques. (Ma tribune dans le Monde daté du lundi 28 mai, en ligne depuis le 24 mai à 13 heures).

La résolution européenne d’imposer des émissions de CO2 nulles à partir de 2035 aux voitures particulières neuves et aux utilitaires légers a été prise en 2023, mais la volonté politique d’y parvenir remonte à 2015. Elle a été mûrement réfléchie et longuement débattue entre la Commission, le Parlement et les vingt-sept exécutifs européens. En effet, l’accord de Paris sur le climat, signé en 2015, engage l’humanité à maintenir « l’augmentation de la température moyenne mondiale bien au-dessous de 2 °C au-dessus des niveaux préindustriels » et, si possible, au-dessous de 1,5 °C. Il faut, pour cela, plafonner au plus vite les émissions mondiales de gaz à effet de serre, puis atteindre des émissions nettes nulles dans la seconde moitié du siècle. Les Etats-Unis, l’Europe, le Japon, le Royaume-Uni et d’autres s’y sont engagés pour 2050, la Chine suivra en 2060, l’Inde en 2070.

Les candidats de droite et d’extrême droite aux élections européennes du 9 juin veulent abroger cette décision, requalifiée en « choix du tout-électrique ». Leurs principaux griefs : ce choix « viole la neutralité technologique », en excluant « d’autres moyens » de réduire les émissions, selon François-Xavier Bellamy, tête de liste des Républicains. Un coût trop élevé priverait les classes moyennes et populaires d’un moyen de transport accessible financièrement. Le bilan climatique des véhicules électriques serait médiocre. La concurrence chinoise, enfin, en avance dans la technologie électrique, ferait peser une lourde menace sur l’industrie automobile européenne, « désorganisée » par le passage à l’électrique, selon Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement national. Que valent ces griefs ?

Concernant la neutralité technologique, la réglementation européenne admet les voitures à hydrogène, munies d’une pile à combustible ou d’un moteur thermique. Mais leurs coûts d’acquisition et d’usage sont très supérieurs encore à ceux des véhicules électriques à batterie, leur efficacité médiocre et leur performance climatique catastrophique si l’hydrogène n’est pas lui-même rigoureusement zéro carbone. Existe-t-il « d’autres moyens » de réduire autant les émissions automobiles ? Les biocarburants sont limités, les hybrides rechargeables ont montré leur inefficacité. Et les solutions de sobriété, d’ailleurs jamais évoquées à droite de l’échiquier politique, ne sauraient suffire à ramener progressivement les émissions à zéro.

Quant au bilan climatique, la fabrication d’une voiture électrique, batterie incluse, entraîne certes davantage d’émissions de CO2 que celle d’une voiture « thermique ». Mais ensuite, les émissions sont nulles. Affirmer que, pour les longs trajets routiers, les émissions des voitures électriques sont équivalentes à celles de voitures utilisant des carburants pétroliers est grossièrement inexact. En Europe, que la voiture soit fabriquée sur place ou en Chine, les émissions totales du cycle de vie (fabrication et utilisation) sont réduites en moyenne des deux tiers. En France, elles sont divisées par quatre ou cinq, l’électricité étant largement décarbonée grâce au nucléaire et aux renouvelables. On s’étonne d’ailleurs que les plus vibrants partisans de l’énergie nucléaire ne veuillent pas l’exploiter plus à fond en militant pour l’électrification des transports, qui réduirait du même coup nos émissions de gaz à effet de serre, la pollution atmosphérique et notre dépendance aux énergies fossiles importées.

L’avantage climatique des véhicules électriques est en réalité sous-estimé, du fait du développement exponentiel des énergies renouvelables dans le monde. Fournissant moins de 20 % de l’électricité encore en 2010, les renouvelables en produisent désormais 30 %. Elles atteindront les 40 % avant 2030 et les 50 % peu après. Les véhicules électriques bénéficieront donc d’une électricité toujours plus décarbonée. Mieux, leurs batteries permettront d’absorber, lorsqu’elles sont à l’arrêt, les surplus d’électricité renouvelable, moins chère et moins carbonée que le kilowattheure européen moyen, améliorant encore la performance climatique et facilitant l’intégration de l’éolien et du solaire.

Quant au coût trop élevé des voitures électriques, les constructeurs européens ont effectivement d’abord favorisé les modèles haut de gamme, sur lesquels ils obtiennent de meilleures marges. De nombreux modèles plus accessibles arrivent maintenant chez les concessionnaires. Leur coût total au kilomètre parcouru sera rapidement égal, voire inférieur, à celui de leurs équivalents thermiques.

Enfin, le retard des constructeurs européens sur la concurrence chinoise tient au fait qu’ils ont initialement émis des réserves sur l’abandon des carburants. Mais ce stade est maintenant dépassé. Même Carlos Tavares, le patron de Stellantis, l’admet. Notant la croissance à deux chiffres des véhicules électriques, et le fait qu’en Chine on trouve déjà des modèles électriques moins chers que les modèles thermiques comparables, le syndicat des constructeurs allemands a été clair en déclarant, rapporte le magazine en ligne spécialisé L’Automobile Magazine, que « maintenir les efforts du secteur automobile dans “l’ancienne technologie” reléguerait le marché européen à un marché de niche en diminution ».

L’obligation de vendre des voitures neuves « zéro émission », à partir de 2035, permet d’organiser la décroissance des carburants pétroliers et illustre la possibilité même d’une transition énergétique, substituant les renouvelables aux énergies fossiles.

2 réflexions sur « « Le bilan climatique des véhicules électriques serait médiocre, mais que valent ces griefs ? » »

  1. Evariste

    Un véhicule électrique à batterie utilise de l’électricité du réseau pour alimenter un onduleur puis un moteur électrique.
    Un véhicule à hydrogène « vertueux » utilise de l’électricité du réseau pour produire de l’hydrogène, qui sert ensuite à produire de l’électricité pour alimenter un onduleur puis un moteur électrique. Un véhicule H2 « non vertueux » utilise de l’hydrogène provenant du reformage de méthane (CH4).

    Pour charger une batterie entre 10% et 90% de sa capacité (SOC de 10 à 90%), un chargeur est utilisé avec un rendement de 96% à 98%, car il utilise de 20% à 100% de sa puissance nominale. Lorsque la capacité de la batterie tend vers 100%, la puissance utilisée diminue et le rendement du chargeur diminue.

    Le rendement du cycle de la batterie à ses bornes est de 98% (charge et décharge. Ce qui donne un rendement global entre le réseau et l’entrée de l’onduleur de 94% pour une utilisation courante dans le cas d’un véhicule électrique à batterie.

    … suite : partie hydrogène … / …

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  2. Evariste

    … / … partie hydrogène …

    Le rendement réel de la production d’hydrogène par électrolyse est 62% pour une installation (usine) de grande puissance (200 MW/1.500 GWh), avec une consommation de 54 kWh/kg H2 :

    https://www.h2v59-concertation.net/wp-content/uploads/2019/09/H2V-Dossier-concertation-Dunkerque_HD.pdf (cf. p. 26)

    La compression à 700 bars ajoute une consommation d’énergie de 4 kWh par kg d’hydrogène, dont le pouvoir calorifique est de 33,3 kWh/kg. En réalité, on doit comprimer à 900 bars et refrodir pour charger un réservoir de véhicule à 700 bars. Ce qui porte la consommation à 58 kWh/kg H2 et donne un rendement de 57%, hors transport et stockage intermédiaire (cavité saline ou autre).

    Le rendement pour une station hydrogène reliée au réseau électrique est de 49% selon des données constructeur.

    Le rendement d’une pile à combustible est de 50%. Au total, du réseau à l’entrée de l’onduleur, le rendement est de 25% à 28%, contre 94% avec une batterie.

    Un véhicule électrique à batterie est donc environ 3,5 fois plus efficace et économe en ressources (électricité) qu’un véhicule à hydrogène.

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