Les deux premiers volets du sixième rapport d’évaluation du GIEC, parus en août dernier (The Physical Science Basis) et en février (Impacts, Adaptation and Vulnerability) furent les plus inquiétants jamais parus. Le troisième (Mitigation of Climate Change), publié le 4 avril, apporte une lueur d’espoir en plaçant les énergies renouvelables au cœur de toute stratégie de lutte contre les dérèglements climatiques. Quant au nucléaire, jamais le GIEC ne lui avait accordé un rôle aussi mineur.
Cinq minutes et douze secondes : c’est le temps qu’il a fallu à António Guterres, secrétaire général des Nations Unies, pour résumer d’une façon saisissante le troisième volet du sixième « rapport d’évaluation » du groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat, le GIEC.
Jamais la menace climatique n’a été aussi pressante. Le premier rapport du GIEC, c’était en 1992. La science est plus affirmative aujourd’hui, mais les mécanismes du dérèglement climatique étaient déjà connus. En trente ans, les gaz à effet de serre se sont accumulés dans l’atmosphère, et les émissions annuelles ont fortement augmenté – à peine un peu moins vite dans la dernière décennie. « Nous sommes sur la voie rapide d’un désastre climatique, un réchauffement au moins deux fois supérieur à la limite de +1.5°C décidée à Paris » en 2015. C’est une urgence absolue, nous sommes dangereusement proches de points de bascule conduisant à des cascades de dommages climatiques irréversibles.
Pourtant, certains gouvernements et dirigeants d’entreprises disent une chose mais en font une autre, bref, « ils mentent, jettent de l’huile sur le feu, étouffant notre planète pour protéger leurs intérêts particuliers et investissements passés dans les énergies fossiles », alors que « les renouvelables sont moins chères, fournissent des jobs, la sécurité énergétique et une plus grande stabilité des prix ». Antonio Guterres évoque une « litanie de promesses climatiques non tenues, un dossier de honte, un catalogue d’engagements creux ». Investir dans de nouvelles infrastructures d’énergie fossile est « une folie morale et économique ». Les gouvernements doivent cesser de financer le charbon, chez eux et à l’étranger.
Nous devons réduire de 45% les émissions mondiales de gaz à effet de serre dans cette décennie. Les engagements actuels, s’ils sont tenus, n’empêcheront pas qu’elles augmentent de 40%. Pourtant, il n’y a aucune fatalité. Le rapport liste des options financièrement viables dans tous les secteurs, qui peuvent encore limiter le réchauffement à 1,5°C. Tout d’abord, « nous devons tripler le rythme d’investissement des énergies renouvelables, déplacer maintenant les investissements et les subventions des fossiles vers les renouvelables, qui dans la plupart des cas sont déjà bien moins chères. »
D’autres politiques sont évidemment très importantes. Guterres cite la protection des forêts et des écosystèmes, la réduction rapide des émissions de méthane. Mais revient sur les renouvelables : « Exigez qu’elles soient développées maintenant, à grande échelle et à grande vitesse. Exigez la fin de l’électricité ex-charbon. Exigez la fin de toutes les subventions aux énergies fossiles ». Il évoque les turbulences du monde, les inégalités jamais vues, l’inflation, la guerre en Ukraine qui fait exploser les prix de l’alimentation et de l’énergie. Mais « accroître la production des énergies fossiles ne fera qu’aggraver les choses ». Passer aux renouvelables « offrira un espoir aux millions de gens souffrant à cause du climat. Il est temps d’arrêter de brûler notre planète et de commencer à investir dans les abondantes énergies renouvelables ».
Bien sûr, ce bref discours du boss des Nations-Unies ne donne pas toutes les clés d’un rapport de 2913 pages, effort collectif de 632 scientifiques basés sur plus de 18 000 articles et près de 60 000 commentaires. Une autre manière assez facile de l’aborder, c’est de regarder les 28 slides de la conférence de presse du GIEC.
Certains l’ont relevé à raison, c’est le premier rapport du GIEC qui donne un rôle aussi important aux changements de modes de vie – la marche et le vélo, les transports électriques, la réduction du trafic aérien, l’adaptation des maisons – tout en reconnaissant que certains sur cette planète auront besoin de plus de logement, d’énergie et de ressources. Le premier également qui donne un rôle aussi central à l’électrification des bâtiments, industries et transports.
D’autres s’empressent de mentionner que ce rapport, dans ses profondeurs, reconnaît que l’énergie nucléaire émet fort peu de CO2, faisant mine de ne pas voir que jamais les scientifiques du GIEC ne lui ont accordé un rôle aussi mineur, le citant dans le Résumé technique surtout pour noter une adoption plus lente qu’anticipé qui contraste avec « l’amélioration importante ces dernières années de la faisabilité politique, économique, sociale et technique de l’énergie solaire, de l’énergie éolienne et des technologies de stockage de l’électricité ». Les technologies « granulaires », faites de millions de petites unités, bénéficient de progrès « d’apprentissage » plus rapides et se diffusent plus vite. La production de masse l’emporte sur les économies d’échelle, d’autant que la construction de grosses unités nécessite une très complexe intégration de millions de pièces.
En cinq minutes et douze secondes, Antonio Guterres ne pouvait pas tout aborder – les secteurs plus difficiles à décarboner, l’utilisation des sols, l’agriculture, l’alimentation, les rôles de l’hydrogène… Mais on ne lui reprochera pas d’avoir enfoncé le clou, exprimé la quintessence de ce rapport : lutter contre les changements climatiques, c’est avant tout faire prévaloir les énergies renouvelables sur les énergies fossiles. Et ce n’est pas une « question d’argent », au sens où il en faudrait davantage – ce n’est pas le cas – mais uniquement une question de volonté politique.