Voici le texte brut de notre tribune parue sur le site du Monde dimanche 9 février au matin, laquelle renvoie à la version longue.
« D’ici à 2050, la consommation française d’électricité pourrait atteindre 600 à 700 milliards de kWh (600 à 700 térawattheures/TWh) par an, soit 10 000 kWh par Français, contre 500 TWh aujourd’hui, selon la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Cette augmentation permettrait de beaucoup réduire l’utilisation de combustibles fossiles dans les bâtiments, l’industrie et les transports ; 60 TWh proviendraient comme actuellement des barrages et, pour respecter nos engagements climatiques, environ 640 TWh devraient être fournis par l’éolien et le solaire ou par le nucléaire.
Une option sans nucléaire pourrait par exemple inclure 120 TWh de solaire (soit une capacité de 100 GW), 180 TWh d’éolien terrestre (72 GW) et 340 TWh d’éolien en mer (80 GW). L’option nucléaire pourrait théoriquement remplacer 50 % des productions renouvelables par 320 TWh de nucléaire, avec des réacteurs à construire sur une quinzaine de sites. Très peu de réacteurs actuels seront encore en service à cette échéance…
Ces deux solutions nécessitent un investissement important, comparable à celui qui fut réalisé entre 1975 et 1995 pour créer le parc nucléaire. Ce choix était alors justifié par l’indépendance énergétique et l’économie de devises. Aujourd’hui, l’option nucléaire conserverait des avantages qu’on peut comparer à ses inconvénients.
Elle réduirait les besoins de stockage d’énergie et de centrales à gaz ou à hydrogène liées à la variabilité de l’éolien et du solaire. L’économie annuelle sur ces installations, incluant les pertes énergétiques associées, serait d’environ 3,5 milliards d’euros pour 600 à 700 TWh au total, environ 1/2 centime par kWh. Sur cette question-clé de la sécurité d’une production d’électricité dominée par l’éolien et le solaire, souvent mal comprise, le lecteur est invité à se reporter à la version plus détaillée de cette tribune, publiée le 16 janvier dans Enerpresse.
L’utilisation de gaz naturel, quelques centaines d’heures par an, pour soutenir le réseau lorsque la demande d’électricité dépassera la production renouvelable, pourrait, dans un premier temps, entraîner des émissions résiduelles de CO2 de l’ordre d’une quinzaine de millions de tonnes par an. Le remplacement de ce gaz par du gaz renouvelable, biogaz ou hydrogène produit par électrolyse de l’eau avec de l’électricité renouvelable, dont la combustion n’émet pas de CO2, permettra d’éliminer progressivement ces émissions à partir de 2035.
La principale difficulté d’une option renouvelable porte sur l’acceptabilité des impacts en France de 72 GW d’éoliennes sur un territoire de 550 000 km2. C’est la densité actuelle d’éoliennes en Allemagne ou au Danemark, ce qui permet de les évaluer objectivement. Un soin particulier doit être apporté à la réalisation de ces projets qui semblent néanmoins accessibles. L’option nucléaire en réduirait le nombre de moitié.
En 2010, le nucléaire était beaucoup moins coûteux que l’éolien ou le solaire, mais un nouveau parc réalisé dans vingt ans à base d’EPR serait plus coûteux, même en tenant compte du stockage d’énergie et des besoins de renforcement de réseaux. En outre, contrairement aux énergies renouvelables, l’investissement nucléaire deviendrait public – c’est le sens du projet Hercule lancé par EDF – et les subventions liées à l’écart entre le coût et le prix de marché seraient plus importantes que pour les énergies renouvelables. La dette publique augmenterait.
En termes d’emplois, le problème principal de l’option sans nucléaire est la reconversion des emplois directs du nucléaire, dans une quinzaine d’années (après le grand carénage des réacteurs actuels) et étalée sur vingt ans, soit plus de 5 000 emplois par an. Ce réemploi peut s’anticiper dès aujourd’hui, au vu des emplois à créer dans d’autres filières.
Le risque majeur du nucléaire est l’abandon d’un territoire important en cas d’accident. La France est, avec dix-neuf sites nucléaires, le pays actuellement le plus exposé. Ce risque pourrait être réduit par des réacteurs plus sûrs évitant les sites proches des grandes métropoles mais resterait non nul et un nouveau parc nucléaire augmenterait beaucoup le volume des déchets nucléaires, problème très sensible aux yeux de l’opinion et, à ce jour, non réglé.
En dehors de la France, l’option nucléaire est très limitée : la production nucléaire mondiale est voisine de 2 000 TWh/an depuis 1995 et changera peu d’ici 2030. Elle fournira alors 6 % de l’électricité. En résumé, l’expertise nucléaire de la France et son potentiel en énergies renouvelables lui permettent le choix entre deux solutions réalistes, dont les avantages respectifs schématisés ci-dessus pourront être précisés après publication dans quelques mois de l’étude de l’équilibre du réseau sans construction nucléaire nouvelle que le gouvernement a demandée à RTE.
Alain Grandjean (Président de la Fondation pour la nature et l’homme) , Cédric Philibert (Ancien analyste à l’Agence internationale de l’énergie) et François Lempérière (Président d’HydroCoop)
… (suite du message paru dans la « version longue » de l’article.
Passons aux choses sérieuses. Votre « calcul simplifié, en grandes masses » ne tient pas la route.
Pour le solaire photovoltaïque, cela correspond bien au facteur de charge annuel moyen des années 2011-2018, mais pas pour l’éolien terrestre qui n’a été que de 23,0% sur la période. Porter ce facteur de charge à 28,6% pour générer 180 TWh ne semble guère possible, y compris en équipant une partie du parc avec des éoliennes plus « toilées » de nouvelle génération, car celles-ci seront placées sur des sites moins ventés.
Pour l’éolien en mer, difficile de se prononcer puisqu’aucun site n’est installé aux abords des rivages français. Mais le facteur de charge varie de 32% à 50% pour les parcs récents des pays voisins, dont 32% à 43% pour la Belgique. En conséquence, il est plus prudent de ne considérer qu’un facteur de charge moyen de 40 à 42% pour l’éolien en mer français des vingt prochaines années.
Cependant, une partie de l’énergie produite devra être stockée sur le lieu de production, à la fois pour un lissage de celle-ci (passage de nuages, rafales ou chutes de vent) et pour la participation aux services système (fréquence et tension). Ainsi, le facteur de charge sera plus faible (1 à 2 points de pourcentage ?).
Pour un mois donné, la production d’un GW d’éolien terrestre peut varier selon les années de 173 à 293 GWh en janvier, de 166 à 301 GWh en février, de 128 à 305 GWh en décembre, mois auxquels l’éolien à le plus d’importance. Ces données correspondent aux années 2012 à 2018, au niveau national.
La variation est moindre pour le photovoltaïque, environ 10% en plus ou en moins que la moyenne en été.
Au niveau hebdomadaire, celui auquel peuvent se faire les équilibre du stockage par batteries et STEP, la production éolienne a été de 1,23 – 0,40 – 1,30 et 0,75 GWh lors des 4 premières semaines de 2018 pour une capacité installée de 13,5 GW et un très bon facteur de charge mensuel de 39,4%, le meilleur des années récentes. Selon les jours, l’éolien a produit de 1,7% à 17,4% de la consommation.
Pour l’éolien en mer, on pourrait prendre le facteur de charge quotidien de la Bretagne comme « proxi », à la façon des études sur les paléoclimats, et extrapoler en appliquant un coefficient à déterminer. Les données sont disponible depuis 2013.
On voit que les variations d’un jour à l’autre de l’éolien breton sont très importantes, plus semble-t-il qu’au niveau national, ce qui est normal (le fameux foisonnement).
Mais alors, jusqu’à 50 km des côtes, la situation en mer serait sans doute semblable et, en donnant toute cette importance à l’éolien marin, les variations de celui-ci entraîneraient de fortes contraintes.
Toutefois, bien que cela ne soit pas toujours évident, nous pourrons nous passer du nucléaire et des fossiles pour la production d’électricité d’ici trente ans … et plus … à suivre.
Vous me dites: « Porter ce facteur de charge à 28,6% pour générer 180 TWh ne semble guère possible, y compris en équipant une partie du parc avec des éoliennes plus « toilées » de nouvelle génération, car celles-ci seront placées sur des sites moins ventés. »
C’est une erreur commune. Les faits prouvent le contraire. Ainsi, aux USA, les éoliennes installées en 2014 avaient un facteur de charge de 40%, contre 25% pour celles installées jusqu’en 2001, 32% pour celles installées jusqu’en 2011 et ce, malgré leur installation sur des sites moins ventés. Je vais publier le graphe dans une note séparée. Et non, aucune énergie n’est stockée sur place, en revanche certaines éoliennes peuvent fonctionner légèrement au-dessous de leur puissance nominale afin de mieux participer aux services de réserves.
Les facteurs de charge mirobolants aux USA proviennent d’une interprétation erronée: « Aux États-Unis, selon les circonstances, deux notions différentes sont utilisées : «capacity factor», correspondant à la notion de facteur de charge, et «load factor», qui est obtenu en divisant la production constatée par la puissance maximale atteinte (puissance de pointe) sur la période concernée. Ceci peut entrainer des confusions et des interprétations erronées. »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Facteur_de_charge_(électricité)
Vous m’avez annoncé une démonstration sur le besoin de stockage saisonnier, je ne la vois pas là… Par ailleurs, le facteur de charge en français est défini, comme aux Etats-unis, par « le rapport entre la puissance moyenne effective sur une période donnée et la puissance nominale de la centrale ». Sur une année, c’est la même chose que le facteur de capacité.