Plus d’énergie éolienne et photovoltaïque dans le mix électrique française… De moins en moins un problème de coût, mais qu’en est-il de leur variabilité? Ne faudra-t-il pas construire des centrales thermiques à combustibles fossiles en « back-up » pour produire l’électricité quand il n’y a pas de vent ni de soleil, combien cela va-t-il coûter,et les émissions de CO2 de ces centrales ne vont-elles pas réduire à zéro, voire, pis encore, augmenter les émissions de gaz à effet de serre de la production électrique, en remplaçant des centrales nucléaires qui, elles non plus, comme les éoliennes ou les systèmes photovoltaïques, n’émettent pas de gaz à effet de serre?
Eh bien, en gros, la réponse est non… ou presque. Il y a dans ce type d’affirmations un zeste de vérité, beaucoup de fantasmes et parfois un brin de mauvaise foi.
L’électricité ne se stocke pas facilement, en tout cas sous forme d’électricité. A tout instant il faut donc équilibrer production et consommation ou plus exactement « injection » (production et imports) et « soutirage » (consommation et exports). Il faut pour cela des moyens pilotables et flexibles, car les besoins des consommateurs – particuliers, industriels, etc. – varient dans la journée, dans la semaine, au cours de l’année… Il faut aussi faire face aux aléas, aux imprévus, une nuit plus froide qu’annoncée, une centrale en panne, une ligne à haute tension coupée. Les réseaux électriques permettent de mutualiser ces moyens et de gérer ces imprévus au moindre coût. En France, mais aussi dans toute l’Europe, grâce aux interconnexions .
RTE – Réseau de Transport d’Electricité – a publié l’an dernier un bilan prévisionnel de cet équilibre offre-demande avec quatre scénario prospectif de long terme. En bref:
- Le scénario « Médian » s’inscrit dans la continuité des tendances actuelles, avec une diminution graduelle de la capacité nucléaire installée jusqu’à 56 GW en 2030 ;
- Le scénario « Consommation forte » de caractérise par une accélération de la consommation, notamment via le développement du véhicule électrique, et un maintien à niveau élevé de la part du nucléaire ;
- Le scénario « Croissance faible » s’inscrit dans une perspective de ralentissement économique durable ;
- Le scénario « nouveau mix » explore une réduction à 50% environ de la contribution du nucléaire, et un essor significatif des renouvelables, en particulier l’éolien et le solaire photovoltaïque.Dans ce scénario, les moyens dits de pointes (effacement et production) comptent pour 15 GW (ou 15 000 mégawatts). Par ailleurs, la capacité totale des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) augmente de 2 GW (ce qui est prévu depuis 2009). La capacité maximale d’import est de 23 GW, en augmentation significative par rapport à l’existant (9,5 GW à l’import, sans prendre en compte la nouvelle ligne Espagne France de 2000 MW entièrement souterraine, qui a franchi en avril 2013 une étape décisive avec le percement du tunnel entre les deux pays).
- Ce qui est intéressant, c’est de comparer ces chiffres avec ceux des scénarios « Médian » et « Consommation forte ». En effet, le volume des moyens de pointe nécessaires est pratiquement le même dans les trois scénarios. La différence principale porte sur les interconnexions, car celles-ci ont évidemment une double fonction:
- Dans ce dernier scénario, qui est pour ainsi dire un scénario central à court terme de la transition éneergétique, d’importants efforts sont réalisés afin de permettre une plus importante maîtrise de la demande globale, cela favorisant par ailleurs le développement de nouveaux usages de l’électricité (pompes à chaleur et véhicules électriques notamment), un fort développement des énergies renouvelables, et une réduction très significative du parc nucléaire par le déclassement d’une partie des groupes.
- assurer la sécurité énergétique des consommateurs français, en partie parce que plus on prend des ressources renouvelables variables dispersées géographiquement, plus on atténue leur variabilité. Par exemple, les régimes de vent du nord européen et de la péninsule ibérique sont très peu corrélés. Mais aussi parce qu’on mutualise ainsi les centrales flexibles, aujourd’hui sous-employées chez nombre de nos voisins;
- également permettre aux producteurs d’exporter, notamment les productions « fatales » des énergies éoliennes et photovoltaïque, des centrales hydrauliques au fil de l’eau, et des centrales nucléaires ou thermiques dont on réduit la puissance mais qu’on ne peut pas ou ne veut pas arrêter car elles seront utiles quelques heures plus tard, par exemple quand le soir tombe, que la production PV s’effondre et que la consommation s’envole….Bon – moins de centrales nucléaires et plus de centrales à gaz, même si ces dernières ne fonctionnent que peu de temps dans l’année, cela fera un peu plus d’émissions de CO2 dans la production d’électricité française. Mais cela ne veut pas forcément dire plus d’émissions du pays, car une partie de cette électricité doit servir à déplacer l’utilisation directe de carburants et combustibles fossiles dans l’habitat (pompes à chaleur, induction), les transports (véhicules électriques et hybrides rechargeables), l’industrie (recompression mécanique de vapeur, induction et autres procédés efficaces). Et cela veut dire moins d’émissions en Europe, car in fine, grâce aux interconnexions, ce que l’éolien et le solaire français vont remplacer, ce n’est pas tant de l’électricité nucléaire française (dont la diminution progressive semble inéluctable, mais c’est un autre sujet) que de la production thermique ailleurs en Europe.
- Bref, ces interconnexions doivent être portées au même niveau dans les scénarios « Médian » et « Consommation forte », même si les raisons diffèrent quelque peu.