Troquer une politique efficace de développement des énergies renouvelables contre une promesse incertaine de développement du prix du carbone – ce que ferait l’Europe à suivre les propositions de la Commission en date du 22 janvier, ne serait-ce pas échanger la proie pour l’ombre? Il est permis de s’interroger.
Les objectifs en matière de renouvelables à l’horizon 2020 ont fait leurs preuves. Certes, il y a eu des erreurs, mais beaucoup ont été corrigées. L’un des grands mérites du déploiement des capacités éoliennes et solaires aura été de faire chuter les prix – considérablement dans le cas du PV, le prix des modules ayant été divisé par cinq, celui des systèmes complets par deux ou plus, en cinq ans. Ce serait donc le moment de récolter les bénéfices. Mais sur un continent où la demande d’électricité stagne, il faut pour faire de la place aux nouveaux entrants que les tenants du titre réduisent leurs ambitions, souvent prématurément. Ils protestent, on peut les comprendre. Ils accusent les renouvelables de tous les maux, on ne peut pas les suivre sur ce terrain. Enfin, on ne devrait pas.
La Commission propose un objectif pour les renouvelables à 27% de l’énergie finale en 2030 – réputé contraignant, mais pour l’Union entière. Ce que cela peut signifier, on l’ignore. Un nouveau mode de gouvernance « basé sur des plans nationaux pour une énergie compétitive, sûre et durable, fondés sur les prochaines orientations (?) de la Commission, établis par les États membres dans le cadre d’une approche commune, qui garantira aux investisseurs une meilleure sécurité juridique et une plus grande transparence et renforcera la cohérence, ainsi que la coordination au sein de l’UE et la surveillance. » Et en pratique? Eh bien, on ne sait pas.
Par ailleurs, ce projet est largement inspiré par l’idée de mettre toutes les renouvelables en concurrence à l’échelle de l’Europe. Est-ce une si bonne idée? Des technologies différentes ont des coûts différents. Les premières victimes seraient l’éolien maritime et les biocarburants avancés, incapables de soutenir la comparaison avec l’éolien terrestre et le photovoltaïque. Ensuite, il faut échanger des électrons, donc des interconnexions robustes, pour développer – ce qui n’est pas dénué de toute raison – le solaire au soleil, et l’éolien au vent. Mais si on met tout le solaire au sud de l’Italie, en Espagne et en Grèce, et tout l’éolien au nord de l’Europe, sur la base d’un commerce européen de crédits en papier, on va rendre l’insertion physique des renouvelables variables beaucoup plus compliquée.
Donc, on abandonnerait une politique éprouvée en faveur des renouvelables contre un engagement vague et dont les moyens restent entièrement à définir. Oui mais on aurait aussi en échange un prix du carbone enfin efficace – autre volet de la proposition de la Commission.
Mais ce deuxième volet n’est pas moins incertain que le premier. Sa réalité est incertaine, ses effets également.
Sa réalité: afin de réduire la volatilité des prix du carbone et de faire en sorte qu’un prix « suffisant » soit délivré par le système d’échange de permis d’émissions, la Commission propose d’instaurer une « réserve de stabilité du marché ». Le bon point: ce mécanisme « fonctionnerait intégralement selon des règles prédéfinies qui ne laisseraient aucun pouvoir d’appréciation à la Commission ni aux États membres », condition de sa crédibilité pour les investisseurs. Le mauvais point: au lieu d’être activée sur la base de prix plafonds et planchers, clairement exprimés en euros, connus de tous et donc inspirant directement les décisions des investisseurs, la réserve sera activée par des observations quantitatives… et de prix relatifs. A partir de 2021, si les permis en circulation excèdent 100 millions de tonnes (ce qui sera inévitablement le cas), 12% seront placés en réserve. Et s’il y en a moins de 400 millions, un montant pré-défini sera relâché. De plus, si le prix dépasse pendant six mois le prix moyen constaté au cours des deux années précédentes, 100 millions de tonnes supplémentaires seront également retirées de la réserve et mises sur le marché.
Est-ce ainsi qu’on donnera aux investisseurs le minimum de visibilité nécessaire? Il est permis d’en douter. On ne peut pas vraiment lier quantités et prix à l’avance. La seule certitude, c’est que si les prix restent bas pendant deux ans – mettons à 5 euros la tonne – et qu’ils grimpent ensuite, des permis supplémentaire seront mis sur le marché s’ils dépassent 15 euros…
Ses effets: même un prix du carbone doté d’une certaine stabilité (celle que donnerait l’introduction de prix plafond et plancher), ne donnerait probablement pas les signaux de long terme nécessaires. Il faudra du temps pour parvenir à un prix conséquent. On freinerait le charbon au profit du gaz – tant mieux! Mais les politiques de soutien aux renouvelables ont commencé de faire bien plus – libérer un immense potentiel de production d’énergie libre de toute émission. Et c’est surtout ça dont nous avons besoin. Le jour où un prix du carbone permettra d’en finir avec les politiques de soutien aux renouvelables viendra peut-être. Mais nous n’y sommes pas encore. En attendant, espérons que l’Europe n’abandonnera pas la proie pour l’ombre.