La transition énergétique allemande est vraiment incomprise de ce côté du Rhin, c’est le moins qu’on puisse dire. Les articles assassins sont légion, et très souvent biaisés de façon étonnante, médias reprenant en boucle idées reçues et désinformations. Un exemple? Eh bien, cet éditorial de l’Union Française de l’Electricité, par exemple, où l’on peut lire ceci:
« L’essor massif des renouvelables, décorrélées de l’évolution réelle de la demande, se heurte à une sombre réalité : pour couvrir l’intermittence des ENR, l’Allemagne est contrainte de faire massivement appel aux centrales à charbon, dégradant ainsi considérablement son bilan carbone ».
Commençons par la « dégradation considérable » du bilan carbone de l’Allemagne… On parle d’une augmentation de 2 à 3% des émissions du secteur électrique, pour la deuxième année consécutive, interrompant une baisse constante depuis 1990. Regrettable, sans doute, mais considérable?
On comprend que l’UFE regrette l’abandon du nucléaire en Allemagne, et voit dans le non-redémarrage de sept centrales qui en a suivi l’annonce, l’une des sources de l’augmentation récente de la consommation de charbon pour la production d’électricité en Allemagne. Mais l’enchaînement de causalité que nous propose l’UFE… eh bien, pour faire simple, c’est du grand n’importe-quoi.
D’abord, l’essor des renouvelables en Allemagne n’a rien à faire avec « l’évolution réelle de la demande », il n’est pas là, comme en Chine ou au Brésil, pour répondre à une demande croissante, il est là pour substituer les renouvelables au nucléaire et aux fossiles, ce qui n’a rien à voir.
Ensuite, cette affirmation que c’est pour « couvrir l’intermittence des ENR » que l’Allemagne est « contrainte de faire massivement appel aux centrales à charbon » est dénuée de tout fondement. Sans les renouvelables, et compte-tenu du prix du gaz, l’Allemagne recourrait bien davantage encore au charbon – et l’augmentation de son usage résultant de la sortie progressive du nucléaire serait bien plus rapide encore.
S’il la production d’électricité à partir du charbon augmente en Allemagne, c’est en partie à cause du recul du nucléaire, et au moins autant en raison de l’explosion du prix du gaz, qui a en gros triplé depuis dix ans, étant indexé sur celui du pétrole. Et la faiblesse du prix du CO2 dans le système ETS n’a pu compenser. La part du charbon dans la consommation d’électricité en Allemagne a encore grimpé à 19,7% en 2013 (contre 18,5% en 2012), tandis que celle de gaz baissait de 12,1% à 10,5%.
Les renouvelables n’y sont pour rien – sinon pour n’avoir pas crû assez vite, de 22,8% à 23,4% en 2013. Quant à leur « intermittence »… chacun sait que les centrales à gaz sont en général plus flexibles que les centrales à charbon, donc mieux placées pour compléter l’éolien et le solaire. A terme, les centrales aux facteurs de capacité les plus élevés seront les plus impactées par l’essor des renouvelables. En France ce sont surtout des centrales nucléaires, donc peu éméttrices de CO2, et on peut légitimement trouver là un point de débat. Mais en Allemagne, ce sont et seront de plus en plus les centrales à charbon, plutôt que les centrales à gaz, qui seront gênées par l’essor des variables.
Ce n’est pas ainsi qu’on élève le débat!