Le solaire et l’éolien offrent les plus grands potentiels à coût nul de réduction d’émissions

Je reproduis ci-dessous la Tribune que Le Monde du 31 mars dernier a bien voulu publier. 

Le président de la République a justifié par de « trop grands risques économiques et financiers » son choix d’imposer une réforme des retraites refusée par trois Français sur quatre. Plus que l’équilibre du système par répartition, ce sont sans doute le déficit du commerce extérieur et la dette publique qui sont dans son viseur, le premier contribuant à creuser la seconde.

De la réforme des retraites, on attend 10 milliards à 13 milliards d’euros d’économies annuelles, alors que le déficit commercial est passé de 65 milliards à 164 milliards d’euros entre 2020 et 2022. D’après le ministre du commerce extérieur, « plus de 80 % de l’aggravation du déficit s’expliquent par l’augmentation de la facture énergétique, passée de 45 milliards à 115 milliards entre 2020 et 2022 ». En cause, les prix du gaz, du pétrole et de l’électricité, sur fond de guerre en Ukraine.

Pour réduire durablement ce déficit, il faut produire plus d’électricité sur notre sol, pour électrifier bâtiments, industries et transports, et ainsi réduire, puis supprimer les importations d’énergies fossiles. Pour cela, nous pouvons compter sur les énergies éolienne et solaire. D’autant que, comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat l’affirme dans son tout dernier rapport, le solaire et l’éolien occupent la première et la troisième place dans le hit-parade des solutions pour maîtriser le dérèglement climatique, et sont celles qui offrent les plus grands potentiels à coût nul.

Et le nucléaire, alors ? Bien sûr, il faut prolonger la durée de vie de nos réacteurs aussi longtemps que la sûreté le permettra. Mais de nouveaux réacteurs nucléaires ne produiront pas d’électricité avant 2035 au plus tôt. Les risques patents de retard et de surcoût dans la construction font fuir les investisseurs : les nouveaux réacteurs ne pourront être financés que sur fonds publics. S’ils pourront à terme contribuer à réduire le déficit commercial, ils feront d’abord augmenter la dette publique.

L’éolien et le solaire n’ont pas ces inconvénients. Ces énergies renouvelables sont financées par de l’argent des investisseurs, petits et grands, privés ou solidaires, et des prêts à faible taux, tant les banques sont assurées d’être remboursées. Depuis mi-2021, elles produisent l’électricité à un prix inférieur au prix du marché. Eolien en tête, elles financent donc l’Etat, une contribution évaluée provisoirement par la Commission de régulation de l’énergie à plus de 30 milliards d’euros en 2022 et 2023.

Une fois autorisés, les projets sont déployés en quelques mois (sauf l’éolien maritime). Les grands parcs commencent à produire sans attendre la dernière turbine ou le dernier panneau photovoltaïque. Un défaut sur un panneau ou une turbine n’affecte pas les autres, alors qu’un défaut sur un seul tuyau d’un réacteur nucléaire peut le mettre à l’arrêt pour des mois – voire mettre à l’arrêt de nombreux réacteurs identiques. Autre atout, chaque jour plus précieux, l’éolien et le solaire ne prélèvent pas et ne consomment pas d’eau.

Dans un document récemment soumis à consultation, Réseau de transport d’électricité (RTE) évalue à 530-550 térawattheures (TWh) nos besoins en électricité en 2030, car les pompes à chaleur et les véhicules électriques vont commencer à réduire nos besoins en énergies fossiles. RTE compte sur une production nucléaire de 350 TWh (contre 379 en 2021, 280 en 2022, 300 à 330 en 2023, selon EDF) et une production hydroélectrique à 60 TWh (50 TWh en 2022). Les « nouvelles » fissures des centrales de Penly et Cattenom, apparues depuis, augmentent les doutes.

Réduire la domination chinoise

Au-delà, en 2035, avant qu’aucun nouveau réacteur nucléaire éventuel n’entre en service, le déficit atteindra 200 TWh au bas mot. L’éolien et le solaire ont produit en 2022 respectivement 37,5 et 18,6 TWh. Il faudrait donc multiplier leurs capacités de production par quatre pour revenir à un solde des échanges d’électricité proche de zéro avec nos voisins, pour réduire considérablement la consommation de gaz dans la production d’électricité et l’industrie, et pour entamer sérieusement notre consommation de pétrole.

On objectera bien sûr que les éoliennes et les panneaux solaires sont tous chinois… ce qui n’est qu’à moitié vrai. La très grande partie de la valeur ajoutée des éoliennes est européenne, et même française à 35 % pour l’éolien terrestre et à 50 % pour l’éolien maritime, avec 22 500 emplois sur le territoire, des usines de fabrication de pales, de mâts, de générateurs et de nacelles. Pour le solaire, le marché du panneau est dominé aujourd’hui par les acteurs chinois : le bilan vis-à-vis du commerce extérieur est donc moins favorable, même si le développement des projets et la pose des panneaux représentent un bon tiers de la valeur ajoutée.

La domination chinoise n’est pas fatale, et une bonne partie de la production de panneaux pourrait être relocalisée en Europe et en France. Mais les 16 milliards à 18 milliards d’euros pour toute l’Europe envisagés dans le Net Zero Industry Act de la Commission européenne pour soutenir les industries de l’éolien, du solaire photovoltaïque, des batteries, des pompes à chaleur et des électrolyseurs n’y suffiront pas, surtout face aux moyens déployés en Chine, en Inde… et aux Etats-Unis, avec l’Inflation Reduction Act. Au total, le déploiement de l’éolien et du solaire en France représente un enjeu d’une centaine de milliards d’euros à terme pour le déficit commercial, certes variable selon les prix futurs des fossiles et de l’électricité, mais largement aussi important, financièrement parlant, que la réforme des retraites.

Cédric Philibert est économiste, ancien analyste à l’Agence internationale de l’énergie et auteur d’« Eoliennes, pourquoi tant de haine ? » (Les Petits Matins/Institut Veblen, 2023)

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