La guerre des NERs (L’EROI est mort, vive l’EROI?)

Le NER, c’est le net energy return, ou ratio, en fait un autre nom pour l’EROI – energy return on investment. Je reviens ici sur le sujet avec quelques ajouts inspirés par de nombreux échanges avec divers correspondants.

Résumons rapidement les chapitres précédents: les études qui montrent des retours sur investissements énergétiques très faibles pour le photovoltaïque sont basées sur des données obsolètes, et l’industrie photovoltaïque dans son ensemble a désormais remboursé la dette énergétique de son démarrage, produisant maintenant des bénéfices nets.

Certains correspondants ont tenté de me convaincre que les études montrant des retours élevés étaient incomplètes ou biaisées. Elles auraient retranché des études des éléments essentiels tels que la « contrepartie énergétique des salaires » des employés du secteur, ainsi que « le capital ».  Par ailleurs, il faudrait calculer l’EROI correspondant à la fourniture d’une puissance garantie, pas seulement la fourniture de l’énergie, donc compter les connections, le stockage, le « back-up », etc.

Je suis en désaccord sur le premier point. L’intérêt postulé d’une analyse énergétique c’est de n’être pas atteint par les imperfections de marché ou « toutes sortes de fluctuations incontrôlables » comme l’écrit un correspondant. Le capital, au sens des biens physiques, est déjà présent dans l’analyse énergétique. Le coût du capital, ou taux d’intérêt, n’a pas de réalité physique. Les salaires rémunèrent le temps et les compétences des travailleurs, ce qui ne saurait être ramené à une dimension physique. Il est paradoxal de chercher à toute force à introduire dans l’analyse énergétique toutes les données économiques au motif qu’on se méfie des imperfections de cette dernière. Certaines externalités sont certes difficiles à monétiser, mais chercher à les mesurer en joules l’est encore plus. J’ai été convaincu sur ce point par Marcel Boiteux, qui expliquait que l’analyse économique qui prenait en compte toutes les raretés était in fine supérieure à l’analyse énergétique (je ne retrouve pas la citation exacte, de mémoire c’était dans un discours de remise des prix de concours général ou quelque chose comme ça, si ça vous dit quelque chose merci de m’en faire part).

Le second point est plus complexe. Je ne m’oppose pas par principe à la prise en compte de la variabilité, seulement c’est assez compliqué, et surtout éminemment … variable, selon les systèmes, et surtout les niveaux de pénétration considérés.

En réalité, sauf dans certains petits réseaux insulaires, on a constaté peu d’investissements à ce jour vraiment attribuables à la variabilité du soleil et du vent. Par exemple, le stockage en réseau: les 150 GW actuellement disponibles dans le monde de capacités de pompage-turbinage hydraulique, qui représentent 98% du stockage en réseau ont pour l’essentiel été construites pour accompagner l’essor du nucléaire en Europe, au Japon, aux Etats-Unis et même en Chine. Seules les plus récentes pourraient être « attribuées » au solaire et à l’éolien, et encore, seulement partiellement puisqu’il s’agit de mettre de la flexibilité entre deux formes d’énergies peu flexibles, celles qui marchent mieux, économiquement au moins, en continu, et celles qui sont intrinsèquement variables.

Dans les scénarios à plus long terme, sauf à aller à tout prix vers 100% de renouvelables dans l’électricité, ce qui à mon avis est moins urgent que d’utiliser une électricité largement décarbonée pour chasser les fossiles des secteurs de consommation (bâtiments, industries, transports), les investissements nécessaires augmentent mais sans excès. Quant à comptabiliser dans l’EROI du photovoltaïque ou de l’éolien (duquel, d’ailleurs, si les deux sont présents?…), ce que certains analystes estiment indispensable, l’énergie consommée par des centrales dites de « back-up » pour garantir la puissance électrique, cela me semble absurde puisque cette énergie serait également consommée sans eux.

Autre point: plusieurs correspondants m’ont reproché d’avoir écrit: « je me fiche de l’EROI tant qu’il est supérieur à un ». Il vaut mieux qu’il soit largement supérieur, écrit ainsi Olivier Daniélo, « étant donné qu’il permet de consommer moins de matières premières par unité d’énergie délivrée. Bien sûr, il a raison. Cependant, je persiste et signe: ce qui compte avant tout, c’est que l’EROI soit supérieur à un, c’est-à-dire que la technologie considérée soit une source d’énergie et non pas un puits – ce que certains auteurs s’appuyant sur des données vieilles de 18 ans prétendaient pouvoir écrire à propos du PV en Suisse. Et pour prendre un autre exemple… celui de la bioénergie, un EROI qui ne serait que légèrement supérieur à un ne suffit pas, en tant que tel, à discréditer définitivement mêmes les agro-carburants de première génération. Il faut regarder mille autre choses – le coût, l’espace au sol, les interactions avec la production de nourriture, la biodiversité, les émissions de gaz à effet de serre…. pour se faire un avis. Après tout, si cela ne coûtait rien, n’avait aucun impact négatif… obtenir 1,5 unités d’énergie par unité d’énergie investie serait toujours une bonne affaire. Le NER c’est bien, le NER de la guerre, c’est-à-dire la monnaie, c’est plus complet.

Bref, au fond l’EROI n’a pas grand chose à nous apprendre – hors le cas extrême où il démontre(rait) que telle technologie ne produit rien. On a voulu comparer l’EROI des nouvelles énergies renouvelables avec celui des fossiles, en général pour tenter de montrer que les premières ne sauraient jamais remplacer les dernières, ou qu’il faudrait toujours consacrer plus de ressources à la quête de l’énergie, ce qui conduirait à un appauvrissement général. Ce faisant, on a généralement omis le progrès technique, qui ne s’applique d’ailleurs pas qu’aux énergies nouvelles (l’EROI des huiles, de schistes est bien meilleur aujourd’hui qu’il y a cinq ans), même si la tendance longue des fossiles est sûrement une décroissance de l’EROI: il faut dans certains cas, les pétroles lourds par exemple, dépenser un baril d’équivalent pétrole pour obtenir trois ou quatre barils bleus.

Par ailleurs, on a souvent négligé de distinguer plusieurs types d’EROI. On peut utiliser l’EROI équivalent énergie primaire – et alors on multipliera l’EROI du PV ou de l’éolien par… 2 à 3, soit l’inverse du rendement moyen des centrales thermiques, si on chercher à évaluer quelle quantité d’énergie primaire on va économiser dans la production d’électricité avec du PV (sauf si on l’utilise pour un chauffage résistif, directement substituable par un fossile). Ou alors, utiliser un EROI électricité, et alors diviser par deux ou trois l’EROI des fossiles – plutôt 3 pour le charbon et le pétrole, plutôt 2 pour le gaz naturel.

L’EROI du PV le plus performant est probablement aujourd’hui meilleur que celui du pétrole marginal, et sans doute moins bon que celui du charbon.  So what? Ce n’est pas pour ça qu’on va rouvrir les mines (même aux Etats-Unis…) comme si le changement climatique était une invention des Chinois, ce n’est pas l’EROI qui va nous dire comment combiner l’éolien, le PV, le CSP, la biomasse, l’hydraulique, le pompage-turbinage, le centralisé et le décentralisé, voire le nucléaire et la capture du CO2, de la façon la plus astucieuse et la plus économique.  Ni comment on va réduire les émissions liées aux consommations directes des fossiles dans les bâtiments, l’industrie, les transports… Bref, ce n’est pas l’EROI, mais éventuellement le retour sur investissement (économique), l’effet sur le climat ou la qualité de l’air, l’épuisement des ressources, l’accessibilité, la demande en eau, la répartition dans le monde, etc. qui aideront dans leurs choix l’investisseur, la compagnie d’électricité, le banquier, le consommateur, l’élu, l’électeur, le citoyen…

Et si l’on insiste pour avoir une métrique « énergétique », il faut admettre que l’EROI est plutôt un indicateur de court terme parce qu’il indique quelle quantité de vecteur énergétique on peut obtenir en investissant de l’énergie déjà disponible pour « cultiver » une ressource primaire, laquelle n’est en elle-même pas comptabilisée dans l’équation « output/énergie investie ». Pour le long terme, et tenir compte de l’épuisement progressif des ressources,  le programme de collaboration technologie de l’AiE « PV-PS » – photovoltaic power systems – recommande d’utiliser de préférence la demande cumulée d’énergie, (« Cumulative Energy Demand: énergie investie + énergie primaire)/output ») ou, mieux encore, la « demande cumulée d’énergie non-renouvelable » (non-renewable CED: énergies investie et primaires non-renouvelables/output) . La première mesure l’efficacité de l’utilisation de l’énergie primaire, la second l’efficacité de l’utilisation de l’énergie primaire non- renouvelable. L’EROI est mort, vive le nr-CED!

Une réflexion sur « La guerre des NERs (L’EROI est mort, vive l’EROI?) »

  1. Cédric Philibert

    Marco Raugei et 21 co-auteurs (Vasilis Fthenakis, Christian Breyer, Mariska de Wild-Scholten, Arnulf Jaeger-Waldau, Wim Sinke notamment) ont publié une déconstruction en règle du papier de Ferroni et Hopkirk dans Energy Policy 102, daté mars 2017: 377-384, disponible en open access: Energy Return on Energy invested (ERoEI) for photovoltaic solar systems in régions of moderate insolation: A comprehensive response.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *