L’avion hydrogène n’est pas pour demain

En juin dernier, le gouvernement français annonçait un plan de soutien à l’aéronautique de 15 milliards d’euros, assorti de l’exigence de lancer un avion « vert » à l’hydrogène dès 2035.  Dès septembre, Airbus présentait trois concepts d’avion à l’hydrogène. Mais tout suggère que des avions à hydrogène liquide, s’ils volent un jour, n’emporteront guère de passagers avant 2050, c’est-à-dire trop tard pour réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre. Voici pourquoi – mon analyse également exprimée sur l’excellent site Revolution énergétique sous forme d’entretien.

Les deux premiers concepts présentés par Airbus sont de configuration classique, à fuselage cylindrique: un court-courrier à hélices, un moyen-courrier à réaction. Le troisième est plus disruptif – une aile volante, plus exactement un avion à fuselage intégré. Également moyen-courrier au départ, celui-ci pourrait préfigurer un futur long-courrier à l’hydrogène.

Ces avions resteront principalement basés sur des turbines, d’une plus grande densité de puissance que les piles à combustibles : turbopropulseurs pour les avions à hélices, turboréacteurs à double flux dits « turbofans » pour les autres. Mais la motorisation est le moindre des problèmes. Celui des réservoirs est autrement coriace. Les défis techniques et opérationnels sont « d’une ampleur inégalée », écrit Eric Dautriat, ancien directeur des lanceurs du CNES dans la Lettre 3 AF de l’Association Aéronautique et Astronautique de France.

Un A320 contient 23 tonnes de kérosène. Il suffit de 9 tonnes d’hydrogène pour disposer de la même énergie. Mais cet hydrogène s’il est liquide occupe un volume quatre plus fois plus important que le kérosène, et près de huit fois s’il est comprimé. Dans les deux cas c’est très compliqué. Les voitures à hydrogène brûlent de l’hydrogène comprimé, le poids des réservoirs est dix-huit fois celui de l’hydrogène qu’ils contiennent… Pour l’aviation, l’hydrogène liquide s’impose mais les réservoirs devront être extrêmement bien isolés pour limiter l’inévitable ébullition de l’hydrogène, car l’hydrogène n’est liquide qu’à -253°C.

Leur poids reste une question clé. Les amener à ne pas peser beaucoup plus que les réservoirs remplis de kérosène serait un exploit – mais il est nécessaire. Au décollage, le kérosène représente déjà 30% de la masse d’un moyen-courrier, 45% de celle d’un long-courrier.  Si l’énergie embarquée pèse davantage que le kérosène, c’est autant de moins pour les passagers, autant de plus pour la consommation, avec le risque d’un effet boule-de-neige : plus de poids, donc plus d’énergie pour décoller, donc encore plus de poids..

Le volume lui-même oblige à repenser totalement les avions. Impossible en effet de stocker l’hydrogène liquide comme le kérosène, dans des ailes somme toutes assez minces: pour conserver le froid au mieux, il faut se rapprocher le plus possible de la forme qui offre le plus grand volume pour la plus petite surface – la sphère. Les avions de forme classiques seront fortement allongés pour loger l’hydrogène dans le fuselage, à l’arrière de la cabine. Le circuit d’alimentation des turbines risque d’être assez complexes, et doit être à l’abri du givrage.

Un fuselage intégré, proche d’une aile volante, libère davantage de place intérieure et facilite le stockage du volumineux hydrogène. Le projet d’Airbus est basé sur deux propfans, et les images publiées suggèrent une propulsion de type « aspiration de la couche d’air superficielle », plus efficace. CHEETA, un projet comparable de la Nasa, repose, lui, entièrement sur des piles à combustibles et des hélices électriques assurant ce même type de propulsion. En réalité, rien ne sera arrêté avant 2025. Des attelages hybrides pourraient associer la densité de puissance des turbines pour le décollage et l’ascension, et la meilleure efficacité énergétique des piles pour la croisière.

Mais revenons aux réservoirs, car il faut d’abord les remplir. Admettons que l’on puisse produire suffisamment d’hydrogène vert, avec de l’électricité renouvelable électrolysant de l’eau. Il faut encore liquéfier cet hydrogène, opération couteuse et énergivore. Le transport de l’hydrogène liquide jusqu’aux grands aéroports en wagons ou camions serait un désastre économique et énergétique : un 38 tonnes ne transporte que quatre tonnes d’H2 liquide.

On pourra livrer l’hydrogène comprimé par pipe-lines, ou le produire par électrolyse sur place, et dans tous les cas le liquéfier sur place. Puis remplir l’avion en conservant cette température incroyablement basse, lentement pour limiter l’ébullition, « naturellement à l’écart du public » écrit Dautriat. Toute fuite en espace clos représente un risque majeur, l’hydrogène étant susceptible d’exploser à de faibles concentrations. A l’air libre en revanche l’hydrogène fuyard monte rapidement dans l’atmosphère, à la différence d’un hydrocarbure.

C’est sur cette partie du problème qu’un récent brevet d’Airbu, déposé en décembre dernier, apporte peut-être un relatif soulagement. Il s’agit d’un court-courrier à six hélices, fixées sur autant de « pods » attachés sous les ailes mais amovibles, comprenant chacun un réservoir à hydrogène liquide, une pile à combustible et un moteur électrique. Il n’est pas certain que le concept améliore de beaucoup les performances, il devrait au moins simplifier le remplissage du carburant et améliorer la sécurité de l’avion et de ses passagers.

Airbus affirme pouvoir répondre aux vœux du gouvernement de voir l’avion à hydrogène « entrer en service » dès 2035. Mais il ne suffit pas de résoudre les problèmes techniques, encore faut-il réussir à faire qualifier ces avions. Un responsable de l’autorité fédérale américaine de l’aviation nous confiait récemment douter que des avions bourrés d’hydrogène soient jamais certifiés pour une utilisation commerciale. Mettons qu’ils se trompe et que le modèle à « pods » puisse être développé, certifié et commencer à voler dans quinze ans. Il en faudra autant sinon davantage pour remplacer peu à peu les flottes des compagnies.

Les avions à hélice représentent 10% du parc mondial d’avions commerciaux, volent moins vite et parcourent moins de distance, ils sont responsables d’environ 5% des émissions de gaz à effet de serre de l’aviation. Même un succès dans ce secteur ne changerait pas fondamentalement la donne : d’ici à 2060, l’avion à hydrogène ne sera pas en mesure d’infléchir sensiblement ces émissions. Si l’économie mondiale doit parvenir à des émissions nettes nulles à cette échéance, il ne faut pas compter sur lui pour y parvenir.

Si l’’hydrogène vert doit pourtant contribuer fortement à réduire les émissions de l’aviation mondiale, ce sera sous une tout autre forme, celle d’un composant de kérosène paraffinique de synthèse. Celui-ci peut être mis tel quel dans les avions d’aujourd’hui, il semble même un peu plus propre que le kérosène raffiné du pétrole ; son utilisation pourrait réduire la contribution « hors CO2 » de l’aviation au dérèglements climatiques. Une question importante est alors de savoir quel carbone on utilise pour produire ce kérosène.

La seule alternative, dans le prolongement de la politique actuelle de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale, c’est d’obliger les compagnies à « compenser » leurs émissions par des « réductions d’émissions » financées dans d’autres domaines. Mais à terme, dans un monde visant les émissions nettes nulles, la compensation prendra nécessairement la forme d’émissions négatives.

2 réflexions sur « L’avion hydrogène n’est pas pour demain »

  1. Eric Lombard

    Bonjour,
    vous indiquez qu’un 38 tonnes ne peut transporter qu’une tonne d’H2 liquide alors que le rapport de McKinsey sponsorisé par la Commission européenne (Hydrogen-powered aviation, p 40) parle de 4 tonnes. Un rapide calcul me fait dire que votre chiffre est sans doute plus proche de la réalité, car 4 tonnes d’H2 liquide, ça fait 56 m3. Si on ajoute à cela l’encombrement du calorifuge, ça me parait dépasser le volume d’un camion standard. Auriez-vous une référence à fournir à l’appui de votre chiffre ?

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    1. Cédric Philibert Auteur de l’article

      Eh bien… c’est McKinsey qui a raison, et je me suis trompé! Ce sont les camions d’hydrogène comprimé qui ne dépassent guère une tonne – 1,1 t exactement pour les plus récents semi-remorques à 500 bars de Linde. Les camions transportent jusqu’à 4,6 t d’hydrogène liquide aux USA, 3,5 t en Europe. Merci pour votre commentaire, je vais rectifier. Source: Bloomberg New Energy Finance, Hydrogen: The Economics of Transport & Delivery, 17 Oct. 2017.

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