Découpler les émissions de CO2 et l’économie, c’est possible et souhaitable

Avec l’aimable autorisation du Monde, je reproduis ici le texte de la Tribune que le quotidien du soir a publié aujourd’hui dans son édition datée du 5 novembre 2021

D’un fétichisme de la croissance assurément critiquable, quoiqu’encore très prégnant parmi le personnel politique, serions-nous en train de basculer sans transition vers un fétichisme de la décroissance ? C’est affaire de transition, justement, énergétique et environnementale, mais l’idée se répand qu’elle ne serait possible qu’à raison de la décroissance du volume de l’économie. Autrement dit, on ne saurait « découpler » l’activité économique des atteintes à l’environnement, et d’abord des émissions de gaz à effet de serre. Or, au moins en ce qui concerne ce dernier paramètre, clé de notre maîtrise – ou non – des dérèglements climatiques, ce pessimisme radical et démobilisateur est erroné. Non, ce fameux « découplage » n’est pas une chimère.

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Dans la transition, l’extraction minière diminue!

Oui voilà qui va surprendre les fans de Pitron ou Jancovici, et même beaucoup d’autres, par exemple les lecteurs de l’étude l’AIE que je mentionne ici. Car jusqu’ici, on a rarement rapproché les quantités de roches à extraire du sous-sol pour obtenir les minéraux dont nous avons besoin pour la transition énergétique (et bien d’autres choses), des quantités de combustibles minéraux solides dont on peut économiser l’extraction grâce au développement des renouvelables. Les chercheurs de l’institut japonais des études environnementales (NIES) viennent de le faire, et à ma connaissance c’est une première. Du coup, vous n’avez jamais vu un tel graphe – sauf bien sûr si vous étiez le 7 octobre à l’Unesco, au Colloque du Syndicat des Energies Renouvelables.

Takuma Watari et ses collègues des universités de Tokyo et Sidney ont étudié les besoins en métaux des renouvelables et des véhicules électriques sur la base du scénario Beyond 2° de l’AIE (Energy Technology Perspectives 2017), évalué l’ensemble des extractions nécessaires (incluant donc tous les déchets miniers), et rapporté cela à la baisse des extractions de charbon (et très accessoirement de gaz et de pétrole). Pour cela, ils se sont basés sur le scénario développement durable de l’AIE. Ils ont présenté leurs résultats séparément, on voit ainsi que pour les véhicules les quantités augmententd, mais pour la production électrique elles diminuent fortement. Les échelles étant différentes, j’ai simplement repris leurs chiffres et construit un graphe unique avec les deux domaines – véhicules et production électriques – et les deux types de extraction minières – les extractions de combustibles, et les extractions visant à obtenir des métaux. On voit mieux ainsi qu’au fil de la transition énergétique les besoins de l’extraction minière diminue – si l’on veut bien tenir compte du charbon.

Ce serait bien de garder ça à l’esprit quand on vous dit que les renouvelables, les voitures électriques, le numérique, c’est horrible, il faut fouiller la terre pour extraire des matériaux, dépenser de l’énergie, etc.: toujours regarder ce qu’on vise à remplacer – le charbon notamment, le pétrole, une part importante des voyages d’affaires (pour le numérique), etc. Après, on compare ici les tonnages, on ne compare pas tous les effets sur l’environnement, l’eau, les sols… Mais sur la pollution de l’air et le changement climatique en tout cas, c’est sûr qu’il n’y a pas photo!

How green are green and blue hydrogen?

Je développe sur le site d’ammoniaenergy mes arguments en défense de l’hydrogène bleu remis en cause cet été par Howard et Jacobson.

J’explique notamment pourquoi prétendre choisir un horizon temporel pour le potentiel de réchauffement global (PRG – GWP en anglais) spécifique à un gaz donné, en l’occurrence le méthane, c’est ne pas comprendre ce qu’est un PRG. Un horizon de 20 ans ignore totalement les effets du CO2 au-delà de 20 ans, c’est-à-dire l’essentiel des effets du CO2! A l’inverse, un horizon de 100 ans n’ignore aucun des effets du méthane.

Je montre tout l’intérêt de l’électrification des vaporéformeurs de méthane pour améliorer la performance environnementale de l’hydrogène bleu.

Enfin, je montre que l’hydrogène bleu peut avoir des domaines d’applications, au moins transitoires, pour lesquels l’hydrogène vert (produit localement) ne ferait pas sens – car sa disponibilité supposerait qu’on dispose d’électricité bas-carbone en quantité suffisante, mais alors on ferait mieux de l’utiliser directement dans la très grande majorité des cas. Si par contre on en manque, structurellement ou temporairement, alors l’hydrogène bleu – sous certaines conditions – vaut mieux que l’hydrogène gris et même souvent, contrairement à ce qu’ont soutenu Howarth et Jacobson, que l’usage direct de combustibles fossiles.

Après que la bulle hydrogène aura éclaté

Que restera-t-il après que la bulle hydrogène aura éclaté? Quand on se sera rendu compte, enfin, que l’hydrogène « bas-carbone » peut être très utile pour réduire et pratiquement éliminer les émissions de gaz à effet de serre de la sidérurgie, des industries chimiques, du transport maritime, peut-être du transport aérien, et permettre aux systèmes électriques basés sur de très importantes proportions d’énergie éolienne et solaire de supprimer tout recours à des combustibles fossiles. Mais que l’hydrogène ne jouera pratiquement aucun rôle dans les bâtiments, et à peine plus dans les transports terrestres, l’électrification directe de la mobilité étant nettement plus efficace que la production et l’utilisation d’hydrogène « vert ». Quant à la production d’hydrogène vert en Europe, entre importations de matières premières et de combustibles à base d’hydrogène vert en provenance de régions plus ensoleillées et/ou plus venteuses, et la production d’hydrogène bleu, elle n’est pas forcément promise au brillant avenir que certains lui prédisent. Surtout, l’urgence n’est pas là, mais bien à développer la production d’électricité éolienne et solaire. Voilà en gros les thèses que je défends dans ce briefing de l’IFRI.

English readers can go here.

Le document complet, en anglais uniquement, peut être téléchargé ici.

La controverse sur l’hydrogène bleu

Faire paraître un article scientifique au cœur du mois d’août : on pourrait croire que c’est gâcher toute chance d’avoir un impact. Il semble qu’au contraire, nombre de commentateurs n’ayant rien de mieux à se mettre sous la dent, ce soit une stratégie gagnante, si l’on en croit par l’abondance de commentaires suscités sur les réseaux sociaux « professionnels » par la parution d’un article de Robert Howarth et Mark Jacobson titré « How green is blue hydrogen ? », ce qu’on pourrait traduire par « l’hydrogène bleu est-il vraiment vert ? » – ou vraiment écolo.

Dans cet article, Howarth et Jacobson s’emploient à démontrer que produire de l’hydrogène « bleu » par vaporeformage de gaz naturel avec stockage des émissions de CO2 réduit peu les émissions du vaporeformage, et entraîne davantage d’émissions de gaz à effet que de brûler directement, et sans capture du CO2, du gaz naturel.

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La secte étrange des adorateurs de l’ammoniac

Un vent d’optimisme souffle en ce début juin sur le zoo de Rotterdam, où se réunissent (quoique pour la plupart à distance, pandémie oblige) les adorateurs européens de l’ammoniac, à l’occasion du « NH3 Event 2021 ». Depuis un an, les annonces n’ont cessé de pleuvoir, qui prédisent des productions massives d’ammoniac à partir d’énergies renouvelables. Les partisans de cet « autre hydrogène », verront-ils leurs efforts enfin récompensés ?

A Nouakchott, pas plus tard que la semaine dernière, le ministre mauritanien du pétrole, des mines et de l’énergie, annonçait la construction d’une usine de 30 gigawatts d’électricité éolienne et solaire, sur 8 500 kilomètres carrés, afin de produire et d’exporter « de l’hydrogène vert et ses dérivés » sur les marchés mondiaux. Un investissement de 40 milliards de dollars, selon le développeur CWP Global, déjà à l’origine d’un projet similaire en Australie, l’Asian Renewable Energy Hub.

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Perspectives énergétiques pour nos petits-enfants

Depuis un demi-siècle ce monde est hanté par la perspective d’une pénurie d’énergie, au point que nous peinons à reconnaître les prémices de l’abondance à venir. C’est aussi que nous n’y sommes pas encore, et que l’abondance actuelle repose massivement sur des énergies fossiles dont la production le transport et l’utilisation polluent les airs, les sols et les eaux et déséquilibrent le climat.

La féé électricité

L’électrification, clé de la décarbonisation de l’économie mondiale, est rendue possible par l’apparition de l’éolien et du photovoltaïque, qui sont eux-mêmes la clé de la décarbonation de l’électricité. Elle a de profonds effets sur le concept même d’énergie. Elle réduit fortement la demande d’énergie « primaire », c’est-à-dire des produits énergiques non transformés (Figure ci-dessus, reproduite de An Electricity Market for Germany’s Electricity). Jusqu’à présent, les énergies fossiles occupaient une grande part dans la production électrique. Or l’efficacité moyenne des centrales thermiques est de l’ordre de 40% – le reste est le plus souvent perdu. L’utilisation directe de combustibles, comme le gaz naturel, pour le chauffage et la chaleur industrielle, semble certes très efficace (les pertes sont minimes) mais les pompes à chaleur, qui capturent les calories dans le milieu ambiant, le sont bien davantage : 1 kWh d’électricité suffit à fournir en moyenne 3 à 4 kWh de chaleur utile. Les moteurs à combustion interne, eux aussi, produisent plus de chaleur que de mouvement, l’énergie est là aussi en partie perdue.

L’abondance de demain, il n’est plus permis d’en douter, sera celle des énergies renouvelables en général, et du solaire en particulier. « Je vois le solaire devenir le nouveau roi des marchés mondiaux de l’électricité, en piste pour de nouveaux records de déploiement chaque année après 2022 », dit Fatih Birol, le directeur exécutif de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE – IAE). Cette déclaration a frappé les observateurs. Ce n’est pourtant que le début.

Car le fait majeur de la décennie écoulée, c’est que l’énergie solaire photovoltaïque (PV) est devenue la moins chère de toutes les énergies, alors qu’elle était la plus chère. L’éolien terrestre ou maritime a vu lui aussi son coût chuter considérablement. Le potentiel du solaire est virtuellement illimité à l’échelle de nos besoins (IEA 2011), celui de l’éolien, notamment maritime, considérable (IEA 2019). Continuer la lecture

L’AIE tourne le dos aux énergies fossiles

« Ce rapport est l’une des entreprises les plus importantes et difficiles dans l’histoire de l’Agence Internationale de l’Energie », affirme Fatih Birol, le Directeur exécutif de l’AIE dans son avant-propos au rapport « Net Zero Emissions by 2050 »[1] publié ce 18 mai. Et de fait, il marque un changement sans retour dans la politique de l’AIE, longtemps accusée par les environnementalistes de ménager la chèvre et le chou, prétendant lutter contre le changement climatique mais ne cessant d’alerter sur le risque de sous-investissement dans le pétrole et le gaz.

L’AIE prône en même temps la fin immédiate du développement des centrales à charbon sans capture du CO2, la fin des ventes de chaudières au fioul ou au gaz dès 2025, l’arrêt des centrales à charbon sans capture dans les pays développés en 2030, la fin du moteur thermique en 2035 (voir « Key milestones » ci-dessus). Les fossiles dans leur ensemble, qui fournissent aujourd’hui les 4/5 de l’énergie, n’en fourniront plus que 1/5 en 2050, soient pour produire des marchandises dans lesquelles le carbone reste inclus, soit pour des combustions avec capture du CO2, soit pour quelques usages où la décarbonation sera plus difficile et plus lente.

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La transition énergétique va-t-elle manquer de métaux?

Les objets de la transition énergétique, de la voiture électrique à l’éolienne et au photovoltaïque, sont gourmands en métaux. Au point que beaucoup s’inquiètent – ou font mine de s’inquiéter – de savoir si cette gourmandise ne peut pas faire échouer la transition énergétique, ou faire sombrer les pays occidentaux dans une nouvelle dépendance géostratégique vis-à-vis de pays producteurs, de la Chine au Congo, voire en réduire à néant l’intérêt du fait des dépenses énergétiques et problèmes environnementaux associés.

L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) vient de publier sa première analyse approfondie du sujet, dans un rapport de 287 pages, « the role of critical minerals in energy transitions » (le rôle des minéraux critiques dans les transitions énergétiques). Ses conclusions ? Il y a aura bien une demande accrue de minéraux, notamment le lithium, le cobalt, le nickel, le cuivre et les terres rares, mais si on s’y prend à temps elle ne devrait pas handicaper à l’excès la transition énergétique, dont la nécessité n’est pas remise en cause. Et une nouvelle dépendance n’est pas le plus probable.

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Mijoteuses et autocuiseurs électriques : un espoir pour le tiers-monde !

Huit cents millions de personnes aujourd’hui dans le monde n’ont pas accès à l’électricité… et deux milliards et demi ne disposent pas d’une cuisson « propre » – gaz du réseau ou en bouteille, ou électricité. Ils utilisent du bois, des déchets végétaux ou animaux, du charbon de bois, du kérosène ou du charbon, dans des feux ouverts ou des fourneaux basiques.
La pollution « intérieure » qui en résulte pèse d’un poids terrible sur la santé des populations, causant attaques cardiaques, maladies pulmonaires, et près de 4 millions de morts par an – plus que le Sida, le paludisme et la tuberculose combinés. Sans parler des brûlures accidentelles ou des empoisonnements infantiles par ingestion de kérosène. L’Afrique et l’Asie du Sud-Est sont les plus touchées, mais le mal touche aussi des populations d’Amérique latine, d’Asie centrale, du Proche-Orient, d’Extrême-Orient et même d’Europe orientale.

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