Le train à hydrogène n’est pas un must

Si l’essentiel du trafic ferroviaire en France est électrifié, environ 20% serait encore « thermique », avec des locomotives ou des trains automoteurs roulant au gazole, selon l’évaluation du député Benoît Simian de fin 2018. Un quart des matériels roulants ont des moteurs diesel, notamment près de mille trains TER bimode ou seulement diesel, et la moitié des lignes ne sont pas électrifiées. La pollution est importante, oxydes d’azote, monoxyde de carbone, particules fines, et bien sûr dioxyde de carbone, donc des effets locaux, régionaux et globaux. Impossible de s’en tenir là, et d’imaginer que ces matériels seront renouvelés à l’identique.

Pour Benoît Simian, pour le Conseil de l’hydrogène, et pour beaucoup d’autres, l’hydrogène est la solution évidente. Deux trains Coradia Ilint d’Alstom circulent depuis septembre 2018 en Allemagne, d’autres sont en construction. Le matériel existe donc.

Et pourtant… Pourtant, des alternatives autant sinon plus écologiques existent, et pourraient s’avérer moins coûteuses. Notamment l’électrification « frugale », et l’ammoniac.

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Déconfits-nés: la ville du quart d’heure et le climat

Comment penser les transports urbains – métro, bus, vélo, voitures… – et au-delà le travail, le logement, les loisirs, bref, l’urbanisme dans le contexte du déconfinement, et sans perdre de vue, bien au contraire, nos objectifs climatiques? Je prête ici mes modestes colonnes à mon ami Denis Bonnelle, économiste et physicien, esprit curieux et inventif passionné d’énergies renouvelables en tous genres. Il a bien voulu rassembler  une suite de mails que j’ai trouvé très intéressants en en un article unique… que j’aurais aimé avoir écrit car j’y souscris sans réserves!

« Dans une semaine, les transports en commun reprendront avec des contraintes strictes de distance interpersonnelle de 1 m, c’est-à-dire, dans les plus grandes villes, en transportant de l’ordre de 20 % du nombre de voyageurs habituels en heure de pointe (sans compter que l’offre de trafic ne sera que de 70 % à la RATP). À première vue, ça ressemble à une mauvaise nouvelle pour le climat : toujours cette difficulté à convaincre que 2050, c’est une véritable urgence et qu’on ne doit pas perdre une minute – ou, en tout cas, pas une occasion de faire bouger les lignes. Continuer la lecture

Temps de travail…

Le patron du Medef a déclaré qu’il fallait « réfléchir au temps de travail ». Excellente idée! A l’heure où tout le monde ne parle que de relance, où les plus libéraux se réveillent keynésiens, « quoi qu’il en coûte », on peut se demander s’il est possible dans ce contexte de « réfléchir au temps de travail », en effet, mais non pas pour l’augmenter, comme le voudrait Roux de Bézieux, mais pour le réduire.

Ainsi, outre le choix entre une relance « tous azimuths » ou une relance sélective qui mettrait à profit les énormes stimuli économiques pour accélérer, plutôt que freiner, la transition écologique, se pose un autre question – peut-on penser « en même temps » une relance keynésienne et le partage du travail via la réduction du temps de travail contraint? Le mieux serait de demander à Keynes lui-même.

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Le numérique consomme peu

C’est un des lieux communs de la technophobie moderne – celle qui s’entoure des oripeaux de l’écologie pour mieux combattre  la transition écologique au travers de la critique de ses outils – voir par exemple les innombrables interviews de Guillaume Pitron, auquel j’ai répondu dans l’Obs  à propos des éoliennes et du solaire (cf La transition écologique). Les datas centers, au coeur de l’économie numérique, sont des goufres énergétiques, qui consommeraient à eux seuls 2% de l’électricité mondiale et en consommeront 13% dès 2030, selon une étude de Huawei que cite l’Ademe, généralement une bonne source. Autant dire qu’imaginer que le télétravail, le courrier électronique, la digitalisation, l’internet des objets, l’intelligence artificielle et autres pourraient aider à mieux gérer les flux énergétiques et in fine, contribuer à la lutte contre les changements climatiques, ne pourrait que procéder d’une dangereuse illusion techniciste, pour ne pas dire, horreur suprême, croissantiste, à laquelle participe évidemment l’Agence Internationale de l’Energie par ses initiatives dans le domaine.

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Peut-on se passer du nucléaire – réponses à quelques critiques

La plupart des critiques concernent le facteur de capacité et le crédit de capacité des éoliennes.

En ce qui concerne le premier, les faits sont pourtant têtus: le facteur de capacité des éoliennes récentes est bien plus élevé que celui des plus anciennes, bien qu’elles soient souvent installées dans des endroits moins favorisés, comme le montre l’exemple américain. Pourquoi? Parce qu’à partir de 2013 on a installé des éoliennes avec une plus grande surface balayée pour la même puissance électrique dans des endroits mieux ventés que ceux pour lesquels ces nouvelles éoliennes « low wind speed » avaient été initialement conçues… mais quand même moins bien ventés que ceux où on installait les éoliennes en 2005 comme le montrent les graphes publiés par Wyser and Bolinger. En 2014, la zone est moins favorable qu’en 1988-2001 mais le facteur de capacité des installations est passé de 25% à 40%.

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Peut-on se passer… (version courte)

Voici le texte brut de notre tribune parue sur le site du Monde dimanche 9 février au matin, laquelle renvoie à la version longue.

« D’ici à 2050, la consommation française d’électricité pourrait atteindre 600 à 700 milliards de kWh (600 à 700 térawattheures/TWh) par an, soit 10 000 kWh par Français, contre 500 TWh aujourd’hui, selon la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Cette augmentation permettrait de beaucoup réduire l’utilisation de combustibles fossiles dans les bâtiments, l’industrie et les transports ; 60 TWh proviendraient comme actuellement des barrages et, pour respecter nos engagements climatiques, environ 640 TWh devraient être fournis par l’éolien et le solaire ou par le nucléaire.

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Croissance et décroissance (2): la dynamique de l’éternuement

Les émissions mondiales de CO2, qui avaient paru stabilisées pendant deux ou trois ans, sont reparties à la hausse en 2018 et 2019. Pour beaucoup, la cause est entendue : c’est la preuve que le découplage est impossible. Il faudrait arriver à réduire chaque années nos émissions de pourcentages « sans précédent », et donc « irréalistes ». Notamment, comme l’a écrit un de mes contradicteurs sur LinkedIn, il faudrait réduire la consommation d’énergie très vite, irréaliste par la seule progression de l’efficacité énergétique, donc possible uniquement en faisant décroître l’économie. Bref, nous aurons bientôt perdu 30 ans – la Convention sur les changements climatiques fut signée à Rio en 1992 – à discutailler, ergoter et ne rien faire, ou si peu.

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A-t-on besoin du nucléaire en France?

Le quotidien spécialisé Enerpresse vient de publier une contribution au débat sur le nucléaire en France que nous avons rédigée, Alain Grandjean, Président de la Fondation pour la Nature et l’Homme, François Lempérière (Président d’Hydrocoop) et moi-même. Cliquez ci-dessous pour obtenir le pdf. Nous y comparons, à échéance 2050, deux situations hypothétique: une avec 50% de nucléaire dans la production d’électricité, l’autre sans – donc avec pratiquement jusqu’à 100% de renouvelables. Autrement dit, que se passerait-il si l’on ne construisait plus de nucléaire en France, sachant que des centrales aujourd’hui en fonctionnement, très rares sont celles qui pourraient l’être encore dans 30 ans.

 

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Croissance et décroissance. 1: la démystification démystifiée

 

La décroissance est à la mode, et ses défenseurs prétendent l’appuyer sur la démystification du « découplage » entre croissance et pressions sur l’environnement (et notamment les émissions de gaz à effet de serre), qui serait selon eux une impossible. Ont-ils raison?

« La croissance est malade, qu’elle crève ! » Cette condamnation sans appel, c’est l’auteur de ces lignes qui la formulait dans un éditorial de « la Gueule ouverte – combat non violent », le journal qui annonçait la fin du monde avec quarante ans d’avance, et peut-être, on l’espère, un peu plus. C’était en août 1978. André Gorz, alias Michel Bosquet, avait alors déjà évoqué la nécessité d’une « décroissance ». Mais si j’évoque ce passé lointain c’est pour questionner plus au fond ce concept de décroissance.

Tout d’abord, ce concept utilise au fond le même critère que la croissance. Implicitement, ce qui croît ou décroît, c’est le volume de l’économie, le produit intérieur (ou mondial) brut. Ce concept a été critiqué mille fois, car il compte dans le positif les accidents de la route et les journées d’hôpital, mais pas la bonne santé qui n’entraîne pas de dépenses spécifiques. C’est même de la critique du concept de PIB qu’est née, pour une bonne part, la critique du concept de croissance. Mais cette critique s’applique tout aussi bien au concept de décroissance. Si le thermomètre ne vaut rien, comment savoir si la température croît ou décroît, et que signifie une recommandation dont elle serait l’objet ?

J’avoue préférer au concept de décroissance celui de sobriété. Renoncer au superflu est une dimension essentielle de l’action pour préserver le climat. Mais cela ne saurait suffire. Dans le cas des émissions de gaz à effet de serre, dont l’utilisation de charbon, pétrole et gaz est la source principale, il faut associer à la sobriété l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables, comme l’illustre ci-contre l’association Negawatt.

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L’éolien maritime: un immense potentiel « en base et variable »

Pour une fois, mes ex-petits camarades du World Energy Outlook ont fait preuve d’audace. Leur évaluation du potentiel techno-économique mondial de l’éolien offshore est renversante – et disponible pour tous grâce à un rapport spécial, Offshore Outlook 2019, tiré du WEO 2019. Environ dix fois la consommation mondiale d’électricité, et ce, sans aller chercher très loin des côtes (mais en revanche, sans limite sur les côtes nord de la Sibérie et du Canada, cf. plus bas la carte des facteurs de capacité ). Et l’Europe est ici bénie des dieux, avec un potentiel propre plus de dix fois égal à sa consommation présente (voir ci-dessus). Attention, ne vous y trompez pas: le potentiel est en bleu, la demande est en jaune, pas l’inverse!

Les coûts? Appelés à diminuer de moitié – d’un coût moyen aujourd’hui de l’ordre de 100 US$ par mégawattheure en moyenne pour les projets raccordés en 2018, tombant à 50 US$ le MWh en 2025.

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