Le numérique consomme peu

C’est un des lieux communs de la technophobie moderne – celle qui s’entoure des oripeaux de l’écologie pour mieux combattre  la transition écologique au travers de la critique de ses outils – voir par exemple les innombrables interviews de Guillaume Pitron, auquel j’ai répondu dans l’Obs  à propos des éoliennes et du solaire (cf La transition écologique). Les datas centers, au coeur de l’économie numérique, sont des goufres énergétiques, qui consommeraient à eux seuls 2% de l’électricité mondiale et en consommeront 13% dès 2030, selon une étude de Huawei que cite l’Ademe, généralement une bonne source. Autant dire qu’imaginer que le télétravail, le courrier électronique, la digitalisation, l’internet des objets, l’intelligence artificielle et autres pourraient aider à mieux gérer les flux énergétiques et in fine, contribuer à la lutte contre les changements climatiques, ne pourrait que procéder d’une dangereuse illusion techniciste, pour ne pas dire, horreur suprême, croissantiste, à laquelle participe évidemment l’Agence Internationale de l’Energie par ses initiatives dans le domaine.

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Peut-on se passer du nucléaire – réponses à quelques critiques

La plupart des critiques concernent le facteur de capacité et le crédit de capacité des éoliennes.

En ce qui concerne le premier, les faits sont pourtant têtus: le facteur de capacité des éoliennes récentes est bien plus élevé que celui des plus anciennes, bien qu’elles soient souvent installées dans des endroits moins favorisés, comme le montre l’exemple américain. Pourquoi? Parce qu’à partir de 2013 on a installé des éoliennes avec une plus grande surface balayée pour la même puissance électrique dans des endroits mieux ventés que ceux pour lesquels ces nouvelles éoliennes « low wind speed » avaient été initialement conçues… mais quand même moins bien ventés que ceux où on installait les éoliennes en 2005 comme le montrent les graphes publiés par Wyser and Bolinger. En 2014, la zone est moins favorable qu’en 1988-2001 mais le facteur de capacité des installations est passé de 25% à 40%.

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Peut-on se passer… (version courte)

Voici le texte brut de notre tribune parue sur le site du Monde dimanche 9 février au matin, laquelle renvoie à la version longue.

« D’ici à 2050, la consommation française d’électricité pourrait atteindre 600 à 700 milliards de kWh (600 à 700 térawattheures/TWh) par an, soit 10 000 kWh par Français, contre 500 TWh aujourd’hui, selon la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Cette augmentation permettrait de beaucoup réduire l’utilisation de combustibles fossiles dans les bâtiments, l’industrie et les transports ; 60 TWh proviendraient comme actuellement des barrages et, pour respecter nos engagements climatiques, environ 640 TWh devraient être fournis par l’éolien et le solaire ou par le nucléaire.

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Croissance et décroissance (2): la dynamique de l’éternuement

Les émissions mondiales de CO2, qui avaient paru stabilisées pendant deux ou trois ans, sont reparties à la hausse en 2018 et 2019. Pour beaucoup, la cause est entendue : c’est la preuve que le découplage est impossible. Il faudrait arriver à réduire chaque années nos émissions de pourcentages « sans précédent », et donc « irréalistes ». Notamment, comme l’a écrit un de mes contradicteurs sur LinkedIn, il faudrait réduire la consommation d’énergie très vite, irréaliste par la seule progression de l’efficacité énergétique, donc possible uniquement en faisant décroître l’économie. Bref, nous aurons bientôt perdu 30 ans – la Convention sur les changements climatiques fut signée à Rio en 1992 – à discutailler, ergoter et ne rien faire, ou si peu.

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A-t-on besoin du nucléaire en France?

Le quotidien spécialisé Enerpresse vient de publier une contribution au débat sur le nucléaire en France que nous avons rédigée, Alain Grandjean, Président de la Fondation pour la Nature et l’Homme, François Lempérière (Président d’Hydrocoop) et moi-même. Cliquez ci-dessous pour obtenir le pdf. Nous y comparons, à échéance 2050, deux situations hypothétique: une avec 50% de nucléaire dans la production d’électricité, l’autre sans – donc avec pratiquement jusqu’à 100% de renouvelables. Autrement dit, que se passerait-il si l’on ne construisait plus de nucléaire en France, sachant que des centrales aujourd’hui en fonctionnement, très rares sont celles qui pourraient l’être encore dans 30 ans.

 

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Croissance et décroissance. 1: la démystification démystifiée

 

La décroissance est à la mode, et ses défenseurs prétendent l’appuyer sur la démystification du « découplage » entre croissance et pressions sur l’environnement (et notamment les émissions de gaz à effet de serre), qui serait selon eux une impossible. Ont-ils raison?

« La croissance est malade, qu’elle crève ! » Cette condamnation sans appel, c’est l’auteur de ces lignes qui la formulait dans un éditorial de « la Gueule ouverte – combat non violent », le journal qui annonçait la fin du monde avec quarante ans d’avance, et peut-être, on l’espère, un peu plus. C’était en août 1978. André Gorz, alias Michel Bosquet, avait alors déjà évoqué la nécessité d’une « décroissance ». Mais si j’évoque ce passé lointain c’est pour questionner plus au fond ce concept de décroissance.

Tout d’abord, ce concept utilise au fond le même critère que la croissance. Implicitement, ce qui croît ou décroît, c’est le volume de l’économie, le produit intérieur (ou mondial) brut. Ce concept a été critiqué mille fois, car il compte dans le positif les accidents de la route et les journées d’hôpital, mais pas la bonne santé qui n’entraîne pas de dépenses spécifiques. C’est même de la critique du concept de PIB qu’est née, pour une bonne part, la critique du concept de croissance. Mais cette critique s’applique tout aussi bien au concept de décroissance. Si le thermomètre ne vaut rien, comment savoir si la température croît ou décroît, et que signifie une recommandation dont elle serait l’objet ?

J’avoue préférer au concept de décroissance celui de sobriété. Renoncer au superflu est une dimension essentielle de l’action pour préserver le climat. Mais cela ne saurait suffire. Dans le cas des émissions de gaz à effet de serre, dont l’utilisation de charbon, pétrole et gaz est la source principale, il faut associer à la sobriété l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables, comme l’illustre ci-contre l’association Negawatt.

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L’éolien maritime: un immense potentiel « en base et variable »

Pour une fois, mes ex-petits camarades du World Energy Outlook ont fait preuve d’audace. Leur évaluation du potentiel techno-économique mondial de l’éolien offshore est renversante – et disponible pour tous grâce à un rapport spécial, Offshore Outlook 2019, tiré du WEO 2019. Environ dix fois la consommation mondiale d’électricité, et ce, sans aller chercher très loin des côtes (mais en revanche, sans limite sur les côtes nord de la Sibérie et du Canada, cf. plus bas la carte des facteurs de capacité ). Et l’Europe est ici bénie des dieux, avec un potentiel propre plus de dix fois égal à sa consommation présente (voir ci-dessus). Attention, ne vous y trompez pas: le potentiel est en bleu, la demande est en jaune, pas l’inverse!

Les coûts? Appelés à diminuer de moitié – d’un coût moyen aujourd’hui de l’ordre de 100 US$ par mégawattheure en moyenne pour les projets raccordés en 2018, tombant à 50 US$ le MWh en 2025.

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Solar energy: mapping the road ahead

Le 31 octobre dernier, à New Delhi, à l’occasion de l’Assemblée générale de l’Alliance Solaire Internationale, l’ISA et l’Agence Internationale de l’Energie ont rendu public ma dernière publication en tant qu’officiel de l’AIE, Solar Energy, Mapping the road ahead. Disponible gratuitement sur le site de l’Aie, ce manuel pratique essentiellement destiné à fournir une méthodologie et les informations de base nécessaires à l’élaboration de feuilles de route de développement du solaire sous toutes ses formes – photovoltaïque, solaire thermique et solaire thermodynamique à concentration.

Pas de révélation fracassante dans ce document, donc, mais je ne résiste pas à la tentation de montrer (ci-dessous) ce graphe qui souligne l’incroyable dynamisme du photovoltaïque, parti de rien il y a dix ans et qui déjà fournit davantage d’énergie que le solaire thermique – qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en afflige, car nous avons naturellement besoin des deux.

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In memoriam Weitzman

La fin tragique de l’économiste Martin Weitzman – il a mis fin à ses jours, à 77 ans le 27 aout dernier – nous invite à revisiter son œuvre, considérable et essentielle. Il a été en effet pendant un demi-siècle le meilleur et le plus fameux représentant de l’économie de l’environnement. Professeur d’économie à Harvard, il y dirigeait avec Robert Stavins un célèbre séminaire sur les politiques et l’économie de l’environnement. Il a publié près de cent articles dans des revues à comité de lecture, et trois livres.

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Le craquage du méthane: un game-changer pour la production d’hydrogène propre?

Bien entendu, mes fidèles lecteurs se sont rués sur le rapport de l’AIE The Future of Hydrogen. Ils auront peut-être même remarqué un encadré p.41 dans lequel nous évoquons la production d’hydrogène et de carbone solide par craquage du méthane. Je parlais déjà sur ce blog il y a un an des travaux de Laurent Fulchéri et des projets – en cours – de Monolith Materials aux Etats-Unis. Ce que j’ignorais, en revanche, et que j’ai découvert récemment, c’est à quel point le sujet intéresse les Allemands, au moins certains d’entre eux, et par exemple le géant de la chimie BASF. Qui se trouve bien plus avancé que je ne le pensais. Continuer la lecture